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Google, entre optimisation fiscale et disruption sociétale

Une centaine de d’agents du fisc et de la brigade de répression de la grande délinquance financière, cinq magistrats du parquet national financier et une dizaine d’hommes en armes, la visite impromptue faite à Google par l’Etat français fin mai a fait la Une de l’actualité, tant en France qu’aux USA. Faut-il voir là un bras de fer entre l’Etat français et la Silicon Valley ? Oui et non.

Google, l’arbre qui cache la forêt

Se focaliser sur Google, c’est oublier qu’un nombre conséquent de multinationales ont fait l’objet d’une telle démarche de la part du fisc français. MacDonald, que l’on ne peut soupconner un instant de faire parti des GAFA, y a également eu droit.

On peut du coup voir dans l’opération menée contre Google une vaste offensive du fisc français, qui cherche à inverser une logique qui a structuré l’Europe depuis plus d’une décénie; un logique révélée récemment par le scandale des Luxleaks : l’Europe est le plus vaste paradis fiscal sur terre, et les multinationales n’y paient pas vraiment d’impôts. Une réalité qui ne dérangeait pas le moins du monde les Etats Européens, jusqu’à ce que la “pression fiscale” en France – qui ne concerne que les PME et la classe moyenne – devienne insupportable, pour ne pas dire contre productive, et suscite un certain mécontentement. Or ce mécontentement, à la lumière de scandales comme le précité Luxleaks, mais également des PanamaPapers ou des OffshoreLeaks, se transforme peu à peu en colère sourde contre des gouvernants, qui à l’image de Jean Claude Junker, font figure de complices.

Il semblait indispensable de donner un signal clair à la population pour contrebalancer l’effet d’accumulation causé par un nombre croissant de lanceurs d’alerte, et, au passage, focaliser l’attention sur les GAFA plutot que sur des multinationales Européennes, qui font elles aussi de l’optimisation fiscale à outrance.

Google, un GAFA qui concurrence les Etats sur leurs missions régaliennes

Mais Google n’est pas MacDonald, et la firme de Mountain View est un symbole, ce qui n’a pas échappé aux autorités françaises. Un symbole de bien des choses, rationnelles ou pas, à commencer par le dynamisme conquérant du capitalisme numérique américain. Sur les 5 plus grosses valorisations boursière de la planète, toutes sont américaines, et 3 sont technologiques. La seconde, Google, n’a même pas vingt ans d’existence. Comparez cela au CAC40, et on ne peut s’empêcher de penser que l’économie américaine tient de l’adolescent turbulent à coté duquel le CAC40 fait office d’hopital gériatrique.

Mais Google est bien plus menançant encore. L’entreprise, qui investit des sommes dans l’éducation à faire palir d’envie un ministère français, a en Europe un quasi monopole sur l’accès aux savoirs auprès du grand public. Un accès au savoir qui pour la plupart des gens s’effectue aujourd’hui de façon presque exclusive à travers internet, et du coup, avec Google. On ne peut que souligner l’importance d’un tel rôle dans la société. Un rôle longtemps dévolu à l’Eglise : il aura fallu l’imprimerie, l’alphabétisation des populations, le siècle des lumières et l’école publique obligatoire pour arracher au religieux une telle prérogative et construire par la même occasion une République. Mais ça, c’était avant. Avant Google. L’arrivée d’un acteur privé et étranger sur un domaine à ce point sensible pour un Etat est forcément une source d’inquiétude légitime.

Pourtant, le constat est implacable, en France, Google domine de la tête et des épaules, plus que partout ailleurs sur terre, et plus encore qu’aux USA, avec 94% de parts de marché sur le search, suivi par Bing de Microsoft (3%), Yahoo (2,5%) et DuckDuckGo (0,2%). Le Français Qwant n’apparait toujours pas sur l’écran radar, pas plus que le russe Yandex (qui cumule 0,5% de parts de marché mondial) ou le chinois Baidu (1% de parts de marché mondial) – ces deux derniers ont cependant conquis d’importantes parts de marché dans leurs pays respectifs. Pourtant, que ce soit pour la Chine, la Russie ou la France, le search s’impose de plus en plus comme un enjeu de souveraineté.

Google dans le viseur des Etats, partout dans le monde

Pour l’Etat, se faire déposséder, en moins d’une génération, d’une partie considérable d’un quasi monopole dans l’accès à l’information (hors actualités) alors qu’il le détenait jusqu’ici à travers une multitudes d’institutions, à commencer par l’Education Nationale, est le signe d’une perte de contrôle évident.

L’arrivée de Google dans le quotidien de milliards d’individus pose un réel problème à une multitude de pays, et on peut facilement imaginer qu’un Etat veuille remettre Google à sa place. La France n’est d’ailleurs pas, loin de là, le seul Etat à se lancer dans une bataille contre Google. L’Allemagne, l’Inde, la Russie, la Chine, le Brésil… c’est un peu comme si toutes les nations voyaient dans l’hégémonique Google une menace, chacune attaquant le moteur de recherche sous un angle différent : fiscalité, prérogatives en matière de censure de l’information, concurrence déloyale, etc.

Google comme “soft power” d’un impérialisme numérique américain

Les relations entre Google et l’Etat américain évoluent, et ressemblent de plus à plus à celles qu’entretient la Maison Blanche avec des entreprises comme Goldman Sach, où la règle des “revolving door” est de mise. Une relation où les intêrets sont confondus, sans pour autant être en conflit, le tout œuvrant à la puissance de l’économie et de l’influence américaine dans le monde.

Une réalité que n’a pas manqué de prendre en compte l’administration fiscale française, qui a pris des précautions extrêmes pour se protéger d’une surveillance dont personne ne peu nier désormais qu’elle est orchestrée par les Etats Unis, à travers la NSA, dans le but évident de protéger les intêrets économiques et stratégique des USA. C’est, après tout, la première mission des agences de renseignement, particulièrement depuis la fin de la guerre froide. Nos services ne font pas exception. Cela souligne, là encore, un véritable problème de souveraineté pour les autres nations, qui ne peuvent pas sereinement enquêter sur un acteur tel que Google sans risquer de voir leur travail intercepté et transmis à l’entreprise qui fait l’objet d’une investigation. On imagine par ailleurs facilement que Google n’est pas la seule enquête que Bercy soit obligé de réaliser avec une machine à écrire et des pigeons voyageurs, de peur qu’elle ne soit sabotée, et faute de maitrise d’une quelconque souverainté numérique Française.

Google, un problème très largement sous estimé par la France

Un milliard de fraude fiscale, au final, ce n’est peut être pas grand chose par rapport aux dégats que pourrait infliger, à terme, les algorithmes de Google à la société française. Google search propose en effet, et depuis quelques années déjà, des résultats “personnalisés”. Entendez par là que les résultats d’une recherche prennent en compte une quantité faramineuses de paramètres qui sont autant de données personnelles que Google détient sur la personne qui l'interroge.

Google n’ayant pas les mêmes objectifs qu’une bibliothécaire ou un prof en matière d’interface d’accès aux savoirs, il va chercher avant tout à faire plaisir à celui qui l’utilise, l’enfermant dans une “bulle” de contenus, un concept fort bien illustré par son concurrent DuckDuckGo et théorisé dans un excellent livre d’Eli Pariser.

Cette logique de “communautarisme informationnel”, parfaitement en phase avec la logique sociétale américaine et la logique publicitaire du modèle économique de Google, pourrait vite s’avérer toxique pour la société française. Une société qui, il y a une génération encore, était docilement alimentée en informations d’une uniformité remarquable, et dont la doctrine est basée sur l’opposé même du communautarisme, au sens le plus large qui soit.

Il y a une génération, c’était l’Etat, par le biais de l’Education Nationale, qui décidait de ce que devait être la culture générale en matière d’Histoire et de Géographie. Il suffit d’interroger un prof d’Histoire de lycée pour réaliser à quel point ce temps est révolu.

Il est temps de réaliser que Google, et plus encore Facebook, contribuent à imprimer dans les sociétés qui les adoptent, des logiques de transparence, de liberté d’accès à l’information, de liberté d’expression ainsi qu’une approche structurante très américaine, où les communautés s’assemblent et cohabitent. Une partie des mutations que connait la société Française aujourd’hui (ou la société Tunisienne hier) est à imputer à Google (et Facebook), et ce n’est pas un milliard d’euros d’arriéré fiscal qui va y changer quoi que ce soit. La mondialisation, c’est aussi celle des algorithmes.

fabrice-epelboinFabrice Epelboin est serial entrepreneur dans le numérique, il enseigne l’impact des technologies de l’information sur les gouvernances institutionnelles et corporate à Sciences Po. Paris et conseille de grands groupes quant à leur transformation digitale.

LinkedIn: epelboin

Twitter: @epelboin

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Un commentaire

  1. « Google n’ayant pas les mêmes objectifs qu’une bibliothécaire ou un prof en matière d’interface d’accès aux savoirs » : concernant les objectifs des profs et bibliothécaires scolaires, je suppose que vous faites allusion au penchant socialiste voire marxiste de la plupart d’entre eux ? C’est vrai que c’est problème de la plus haute gravité et il explique notamment pourquoi la France est le pays le plus anticapitaliste du monde (http://www.latribune.fr/actualites/economie/20110125trib000595445/les-francais-champions-du-monde-de-l-anti-capitalisme.html)

    Espérons en effet que Google parvienne à contrebalancer les choses, mais j’en doute un peu, hélas… Face à un bourrage de crane tout au long de l’année scolaire, le moteur de recherche américain me semble bien démuni. Mais bon, c’est toujours ça !

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