A la uneBertrand DuperrinLes ExpertsMedia

L’avenir des médias repose-t-il sur la monétisation de la médiocrité?

Il fut un temps où le lecteur était roi et les médias se devaient de leur apporter de la valeur ajoutée pour se vendre. Cette valeur ajoutée c’était à minima de l’information et idéalement de la réflexion et de la mise en perspective. Plus on allait loin dans cette dimension plus on gagnait en audience et en revenu. C’était vrai à une époque très lointaine où le média n’était que papier. Puis la radio et la télé sont arrivées, offrant plus d’immédiateté et concurrençant la «vieille» presse en investissant un champ nouveau. La multiplication des offres média a offert plus de choix mais a également commencé à saturer l’offre à tel point que l’objectif de ces médias est devenu de capter l’attention avant même de délivrer de la valeur ajoutée.

Internet n’a fait que porter la situation à un niveau infiniment plus élevé. Voire insoutenable. Ca n’est plus un ou des canaux mais un océan de courants dans lequel on nage. Ou se noie. A ce moment c’est devenu définitif : c’est l’attention qui compte. La forme l’emporte alors sur le fond : à quoi cela sert il de donner de la valeur si personne ne vient la chercher.

Les contenus gratuits sont un mythe

Internet a changé une seconde chose en imposant le mythe de la gratuité des contenus. Je dis bien mythe car rien n’est gratuit : si vous ne payez pas pour des contenus c’est que d’autres payent. Ils payent en affichant de la publicité ou on se paie sur vos données. Et là d’un seul coup l’intérêt du contenu devient secondaire : peu importe que vous lisiez ou non, regardiez ou non, ce qu’il faut c’est que vous voyiez une publicité et idéalement cliquiez dessus. Ou que vous donniez quelques précieuses données d’une manière ou d’une autre.

Guerre de l’attention et importance décroissante de la valeur du contenu : le ver est dans la pomme.

D’ailleurs vous remarquez bien qu’au début de cet article je parle d’information et maintenant de contenu. Ca n’est pas sans raison et en passant j’en profite pour signaler à quel point le mot contenu m’exaspère, justement parce qu’il est la conséquence d’une évolution qui quoiqu’inéluctable me semble déplorable.

Le métier du média change : d’informateur à rabatteur

Une informations nous apprend quelque chose. Une mise en perspective nous enrichit. Un contenu ne se définit que par rapport à un contenant : il est là pour remplir de l’espace peu importe sa valeur ajoutée pour le lecteur. Et l’objectif n’est plus d’apporter de la valeur au lecteur, on s’en moque il ne paie pas. L’objectif c’est d’amener le lecteur à l’annonceur qui, lui, paie. Le contenu n’a pas de valeur propre et pas d’autre objectif que de servir d’hameçon. Les médias ne sont plus des diffuseurs d’informations mais des appâteurs de proies. Alors bien sur ça n’est pas nouveau (souvenez-vous l’histoire du temps de cerveau disponible) mais là on atteint des sommets difficilement tolérables.

A la limite on peut envisager l’expression la plus radicale de ce modèle : titre aguicheur et contenu inexistant ou débilitant. Oh. Attendez…. Je crois en fait qu’on y est déjà.

Buzzfeed. Upworthy. Le Démotivateur. Topito. Pour n’en citer que quelques uns. Je suis certain que vous avez déjà cliqué sur un de leurs liens pour vous rendre compte qu’en matière de valeur on frisait le néant absolu. Cela aurait été dommageable à l’époque où derrière un média il y avait des journalistes dont le métier était de donner de la valeur. Là ça n’est pas le même métier : usines à contenu sans valeur ni intérêt car le modèle, rappelons-le, n’est plus de vendre de la valeur au lecteur mais du trafic à l’annonceur.

Médias et journalisme ne vont plus de pair et c’est grave

Internet, le digital, sont des sources de progrès dans nombre de domaines, inventant de nouvelles offres, challengeant le status quo, poussant des secteurs d’activités à se réinventer et s’améliorer. Mais en matière de média j’ai peur qu’on soit plutôt sur une pente régressiste. Car si la presse et médias traditionnels souffrent, c’est sûrement dans une certaine mesure de leur propre fait et en raison de leur lenteur à se réinventer mais c’est aussi parce que ces usines à médiocrité monopolisent l’attention. Pire : au fil du temps ils se pourrait même qu’ils formatent les goûts et attentes en matière de contenus de ceux qui n’ont connu que ça. Imaginez ce qu’est un bon contenu pour une génération née avec Buzzfeed…

Cette monétisation de la médiocrité est-elle l’avenir des médias digitaux? Le modèle est-il pérenne? Si oui c’est bel et bien la fin de quelque chose. La fin d’une ère où les médias étaient tenus par de vrais professionnels qui essayaient d’apporter quelque chose à leurs lecteurs. Une ère ou l’information et le journalisme l’emportaient sur le buzz et le contenu.

Une autre voie existe et certains osent l’emprunter quitte à se compliquer la vie. C’est visiblement le choix d’un Melty qui aurait pu facilement tomber du coté obscur du buzz mais à décidé de se repositionner sur du qualitatif. Observons et prions.

Si l’avenir du media digital c’est Buzzfeed alors on peut s’inquiéter pour l’avenir de notre société

« Quand ça en a l’odeur, l’aspect, la couleur et la consistance c’est que que ça en est » comme dirait l’autre.

Alors si l’avenir des médias c’est Buzzfeed et ses clones laissez-moi dire qu’une partie de la révolution digitale s’arrêtera à ma porte. Rendez-moi ma presse papier, ma PQR, mes vrais journalistes qui de l’article de fonds du grand quotidien national à la rubrique chiens écrasés essayaient, chacun à leur niveau, de m’apporter quelque chose. Parce que si le seul moyen de gagner de l’argent pour un média en ligne c’est d’adopter le modèle Buzzfeed alors je suis inquiet, très inquiet pour l’avenir de notre société.

BeCapture d’écran 2015-01-07 à 16.48.12rtrand Duperrin est Digital Transformation Practice Leader chez Emakina. Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au travers du social business et de l’utilisation des technologies sociales.

Il traite régulièrement de l’actualité social media sur son blog.

 

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10 commentaires

  1. Première chose : Critiquer un média comme Topito qui a un concept original et mettre en avant la ferme de contenus Melty, ça donne légèrement envie de vomir.

    Deuxième chose : Votre constat est alarmant mais il est faux. Lemonde, Lefigaro,Ouest-France et j’en passe n’ont jamais succombé à ce que vous appelez « Le côté obscur ». Ils ne font pas partis des médias ?

    Troisième chose : Buzzfeed, Demotivateur etc… existent car il y a un marché. Les gens aiment. C’est comme ça. Vous pouvez trouver ça hallucinant mais OSEF.

    Quatrième chose : Prendre comme exemple Buzzfeed en France, c’est vraiment absurde. Ça ne marche pas et ça n’a pas du tout le même succès que Demotivateur et Minutebuzz.

    1. Etes-vous certain que Lemonde, Ouest-France, Lefigaro, Lepoint ne flirtent pas avec le côté obscur? Ne pensez-vous pas que les contenus de type « Les selfies tuent plus que les requins » (papier repris par peu ou proue l’ensemble des medias français) font partie de ce côté obscur? Et que, s’ils ne font pas -heureusement- le gros des articles publiés sur ces types, il sont d’une certaine façon nécessaires à leur trafic, et donc au maintien de leur CA?
      Par ailleurs, on parle ici de marques très fortes et installées, pas de succès « ex nihilo » sur le web. Mais pensez-vous que leur business model sur le web, en l’état, est pérenne? Jusqu’à présent, ça tangue… (et on arrive de plus en plus vers du contenu payant)

      Par ailleurs, la question de l’existence en raison de l’existence d’un marché est évidemment bonne. En revanche, il est indispensable de ne pas mettre sur le même niveau un top et une mise en perspective. Se rappeler que tout « contenu » n’est pas information, l’article est très clair là-dessus. Et le journalisme, dans son ensemble a pour mission non pas de produire de l’audience, mais de produire du contenu avec une valeur -ajoutée-. D’informer, non de divertir.

      Relisez l’article, il ne dénigre pas les business des acteurs cités, il dénigre le fait que l’information passe par leur format. Et c’est aussi à nous, consommateurs, de rester vigilants à ce sujet, de ne pas nous avachir dans le divertissement.

      1. Hello !

        Pardon mais lemonde et lefigaro n’ont jamais publié un article sur cette information après je vous accorde qu’employer « jamais » est un peu trop fort. Il peut arriver à ces organes de presse de surfer sur une actualité insolite néanmoins ça reste très rare.

        L’auteur de cet article a juste cette impression car il découvre certains nouveaux médias comme Metronews, DirectMatin, 20 minutes qui surfent sur cette tendance à faire du buzz à tout prix.

        Il voit beaucoup plus ces médias car c’est ceux qui sont les plus populaires notamment sur les réseaux sociaux. C’est les gens eux-mêmes qui plébiscitent cette presse….

        Ce que je n’apprécie pas du tout dans cet article, c’est de citer Melty. Je suis désolé mais Melty est le représentant du rabatteur.

        La plupart des articles sont rédigés en prenant en compte une suite de mots-clés afin d’obtenir du trafic venant de Google.

        1. Le Monde et le figaro ont fait pire en trafiquant les informations. Ex : Guerre en Syrie, Guerre En Libye.

          Bref, plus que le format, c’est l’état de l’indépendance de la presse qui m’inquiète davantage, même si je suis assez d’accord avec l’auteur de l’article sur la plupart des points avancés sur la dégradation de la qualité du contenu. Ce n’est pas parce que les gens se complaisent dans la médiocrité -qui n’est finalement ni plus ni moins qu’une façon d’entretenir leur paresse au niveau individuel- qu’il faut forcément renoncer à leur proposer autre chose que la merde dont il seraient capables de se satisfaire.

          1. « en trafiquant les informations : Guerre en Syrie, Guerre En Libye. » de quoi parlez-vous ?

            Presse = Reflet de la société.

  2. Bizarre de redécouvrir Gala et autres Point de vue du Monde en mode web…. Bravo pour cette émancipation. Pour le reste l’amalgame parait un peu trop lourd.

  3. Plutôt d’accord avec cette tribune, à une exception près : c’est moins la stratégie d’un Topito ou d’un Buzzfeed qui me gênent – ils ne revendiquent pas autre chose que l’inutile- que celle d’un HufftingtonPost, totalement calquée sur celle des premiers.
    Me gêne également la présence des « Traffic Outbrain » sur les médias d’information.

    Si on parle de vers dans la pomme, Traffic Outbrain est bien le vers.

  4. Le constat est malheureusement juste et ce genre de sites cartonne chez les internautes et les annonceurs, laissant peu de place aux sites plus sérieux.

    Toutefois attention aux généralités : même la presse papier à son âge d’or (début XXe / plusieurs millions de ventes quotidiennes) était capable d’attirer le lecteur avec du contenu bas de gamme (les faits divers). Il y a tout le temps eu une presse sérieuse et une presse au rabais, en print ou en ligne, ou même à la TV.

    Si vous voulez critiquer la presse, c’est d’ailleurs ce média qui est le plus propice : les audiences légitiment aux yeux des responsables des traitements éditoriaux plus que limites (cf les JT et les chaînes en continu sur Charlie, Germanwings, les crashs des hélicos de TF1 en Argentine etc.). En ligne, on devrait plutôt se tourner vers les médias « sérieux » qui utilisent les mêmes méthodes que les sites critiqués ici (comme le Huff Post qui est cité en commentaire) ou qui trahissent totalement le métier de journaliste en se contentant de faire des articles à partir de tweets, bourrés de fautes d’orthographes… (le Figaro mais il y en a d’autres).

    Un site comme Le Monde propose une formule beaucoup plus honnête : les sujets sérieux sont traités (plutôt bien) sur le site en lui-même, ceux plus propices à faire du « buzz » sont laissés aux réseaux de blogs comme Big Browser (qui fait en plus du bon buzz). C’est un modèle qui a mis du temps à s’imposer, mais qui va se développer dans toutes la presse, avec plus ou moins la même recette (le plus de l’Obs).

    Bref, les médias n’ont jamais été réservés aux journalistes, il y a toujours eu et il y aura toujours des contenus « propres » et des choses un peu plus « sales », qui jouent sur notre propension à la procrastination ou sur notre curiosité malsaine pour faire du buzz/beurre.

    Pour conclure je trouve votre jugement sur Buzzfeed très sévère, alors que la version US (et de plus en plus FR) propose des contenus décalés mais de originaux et de qualité, à l’inverse justement de Melty qui fait du contenu pour faire du contenu, sans originalité, en pompant ce qui marche et qui est « trendy », en ciblant un public peut-être plus jeune et moins regardant…

    Et ne parlons pas du Démotivateur, qui pompe tout simplement des articles sur d’autres sites (expérience vécue).

    Bertrand, rassurez-vous ! Les gens qui vont sur ce genre de site savent parfaitement que c’est de la m***e, comme ceux qui regardent les anges ou les chtis ! Et justement, il y a une génération qui ne demande qu’à trouver / faire de la qualité en ligne !

  5. Le constat est juste mais l’analyse incomplète. il y une presse en ligne payante, sans pub, apportant de la valeur ajoutée à ses lecteurs. Plutôt dans le domaine de la presse pro mais aussi du coté de la presse généraliste avec Médiapart. L’avenir est à une segmentation information de divertissement financée par la pub / information à valeur ajoutée payante.

  6. C’est vrai que la « médiocrité » est invasive et source de clics mais d’autres l’appelleront légèreté. J’ai été presque choqué la première fois que j’ai entendu le terme « contenu » pour désigner le texte sur un site en 2000 mais je ne rechigne pas aujourd’hui à cliquer 15 fois sur « Next » pour regarder une suite d’images drôles ou choquantes. La synthèse n’est pas forcément navrante elle peut être aussi géniale (cf Twitter parfois) et le Monde diplomatique est toujours en vente libre dans tous les kiosques…les articles de Rue89 et Causeur sont également très très longs. Choisissez votre camp! LOL (<<< autre symbole de médiocrité gratuit placé volontairement) les sites de buzz sont comme les shows de télé réalité et les journaux gratuits, on est pas obligés de les prendre, même si j'ai bien compris votre message de ras le bol que je partage. Pour finir un Scoop prophétique: TMZ existera encore dans 50 ans. Les chansons d'Aznavour aussi ; )

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