Bertrand Duperrin

Qui trop embrasse mal étreint : questionnements sur l’intéraction facile

Les logiques social media, qu’elles soient internes ou externes, reposent sur un certain nombre de principes connus, au nombre desquels on trouve la serendipité et la sagesse des foules (wisdom of crowd en anglais, cela fait plus sérieux…). Ces deux principes reposent pour une large partie sur l’émission de signaux sociaux qui permettent dans un cas de se laisser guider d’une information recherchée à une information inattendue et dans l’autre de recueillir en temps réel les gouts, avis, actions des membres d’une communauté ou d’un réseau donné pour prendre ses propres décisions.

Au début des médias sociaux, la donne était relativement simple : les blogueurs écrivaient sur ce qui leur plaisait et pilotaient (inconsciemment ou pas) l’un et l’autre. Puis est venu Twitter. Plus besoin d’essayer d’écrire quelque chose de consistant et donc d’investir le temps nécessaire : tout doit tenir en 140 caractères. Avantage : émettre un signal est plus simple, rapide. Inconvénient : c’est moins argumenté, voire pas argumenté du tout. Et le “retweet” qui permet de partager avec son réseau une information préalablement publiée par quelqu’un d’autre rend la chose encore plus facile. C’est le “one-click signal” sans aucun apport par l’intermédiaire.

On assiste alors à une prolifération des signaux qui est une bonne chose car la “base” oriente notre navigation, nos choix, est plus importante. Mais le coté sombre n’est pas loin non plus : rendu plus simple, l’acte de partager, d’émettre, est moins engageant. J’en veux pour seul exemple le fait que beaucoup “retweetent” un lien parce que le titre suggère qu’il est intéressant mais sans avoir pris la peine de le lire. Ou encore pour faire comme tout le monde : “je ne veux pas être celui qui aura l’air d’avoir laissé passer une information que tout le monde reprend”.

Un premier constat pour le moins paradoxal s’impose : pour élargir la base et donc, a priori, la fiabilité des signaux, on doit mettre en œuvre des solutions techniques qui rendent par définition le signal moins engageant alors même que ce qui fait sa valeur est l’arbitre de celui qui décide de l’émettre ou pas et l’effort consacré à l’émission qui est la preuve de l’engagement de l’émetteur. Alors qu’avant l’émission relevait majoritairement d’une volonté d’informer et de partager, elle peut désormais être dictée par une forme de suivisme (je ne dis pas qu’il n’y avait pas de suivisme auparavant ni que tout est suivisme aujourd’hui…j’ai simplement des doutes sur l’évolution des proportions dans le temps).

Un stade ultime vient d’être franchi avec le “like” de Facebook. Désormais un simple clic vous permet d’émettre un signal vers vos contacts leur disant, au fil de vos pérégrinations, ce que vous avez “aimé”. Le bouton à la fin de ce billet vous permet de dire à tout vos amis que vous l’avez aimé, le “badge” dans la barre latérale que vous aimez ce blog tout simplement. J’espère dans quelques semaines pouvoir vous livrer mes premières conclusions après l’installation de ces “gadgets”, lorsque j’aurai assez de recul sur l’utilisation qui en sera faite.

La question qui se pose derrière tout cela (en dehors même des questions de confidentialité des données…sujet récurrent chez Facebook) c’est la pertinence de tout cela : à force de “like” faciles, suscités tant par l’instinct grégaire (mes amis aiment donc je dois aimer), un ersatz de sentiment d’appartenance (dire que j’aime ce blog me rapproche de tous ceux qui l’aiment…d’ailleurs on peut se demander si l’ensemble de ceux qui “like” un blog forment une communauté…sujet sur lequel je suis on ne peut plus dubitatif), on dénature la nature du signal et lui fait perdre de sa valeur.

Mais cela va plus loin. La question va naturellement se poser d’importer ces pratiques dans l’entreprise parce que cela a du sens. “Flécher” une ressource, une idée, “pousser” des idées émises par d’autres etc… en un clic au fur et à mesure qu’on navigue dans les méandres de l’intranet a forcément de la valeur. Le “like” est forcément réducteur. Il couvre un spectre qui va de “j’adore” à “pourquoi pas mais j’ai des doutes” en passant par “ça va plus vite de cliquer que de réfléchir” ou “tout le monde like donc je ne me distingue pas”. Sans même parler des multiples traductions qu’on peut trouver à la chose : j’aime, je recommande, je ne suis pas contre, je trouve cela intéressant à lire mais pas à mettre en place.

Alors on peut se poser la question du “dislike”, du “warning : danger”, du “intéressant mais sensible…”. Trop de nuance et de tergiversation peut tuer l’idée et s’avérer contre-productif, j’en ai bien conscience, voire générer débats et conflits à l’opposé du positivisme qui ne nous laisse le choix que d’aimer ou nous taire. Parce qu’à ne mettre en valeur que les opinions positives en ignorant doutes et contre-propositions on peut prendre le risque de fausser ce qui est supposé contribuer à une nouvelle forme d’intelligence collective.

Le cluetrain manifesto nous disait que les marchés sont des conversations. On a fini par comprendre que la collaboration était un marché interne qui se nourrissait des mêmes conversations. De par sa facilité, le “one click like” ne va-t-il pas tuer les dites conversations ? Et ne va-t-il pas détruire la valeur du “signal social” ? A aimer trop facilement ne risque-t-on pas de mal étreindre à force de trop embrasser ?

Aucune réponse à ce jour, mais un sujet (de plus) qu’on se devra d’apprivoiser.

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Crédit Photo: Benjamin Boccas

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2 commentaires

  1. Belle analyse, qui fait un point nécessaire et éclairant, mais dont il semble, pour ma part, manquer une dimension importante, au moins pour le web (car les réseaux sociaux peuvent s'entendre bien au-delà du web, ce sera d'ailleurs mon second point de ce commentaire) : le web crée en permanence les nouveaux outils qui me permettront, moi en tant qu'individu, de me distinguer et d'aller à la rencontre de nouvelles communautés identifiantes… jusqu'à ce que ces communautés réunissent trop de monde, perdent leur sens identifiant, et se retrouvent dans d'autres sous-minorités. C'est une affaire de boucle permanente, en somme. D'une certaine façon (mais c'est une image qui ne vaut pas analyse), l'IRC a créé des communautés identifiantes ("chouette, moi je connais mieux le web que mon voisin, et je sais que le web peut rapprocher les gens, la preuve : sur IRC j'ai mes amis, ma communauté, à laquelle je m'identifie, avec ses rites et ses principes relationnels"). Puis, perdu dans la masse des salons où je ne retrouvais plus mes amis, j'ai créé ma page Myspace, avec le sentiment privilégié que j'étais (pardon pour le jeu de mot) sur le devant de la scène. Mes amis se sont retrouvés autour de moi, et moi autour d'eux, mais bientôt la bulle a explosé et j'ai été obligé de créer une page "Myspace.com/moi+un_chiffre_trop_long" pour qu'on me retrouve, ce qui du coup m'éloignait un peu de mon identité. Alors j'ai ouvert un compte sur Facebook, et j'étais fier de rejoindre une communauté dont la croissance encore maîtrisable me donnait encore le sentiment d'appartenir à quelque chose de valorisant. Et puis Facebook a réunit 500 millions de profils et a dépassé Google en termes de fréquentation, noyant ainsi mon âme… What's next ? J'en sais rien, mais j'y serai.
    De la même façon, les boutons "like" donnent d'abord le sentiment nécessaire à tout individu d'appartenance à une commuanauté, une famille, jusqu'à ce que ce sentiment soit dévoyé (curseur de dévoiement variable pour chacun d'entre nous), et que j'aie besoin d'un autre outil pour affirmer mon identité via ma communauté. Alors je cherche et je trouverai cet outil qui me manque tant, et qui me redonnera le sentiment d'appartenance identifiante. Là-dessus, faisons confiance au web : c'est un outil vivant, en permanente évolution. Parce qu'il répond simplement à des besoins humains.
    Mon second point (et je vais tenter de faire court, par exemple en évitant les parenthèses) est que le web, oui, rapproche les gens entre eux. Prenons les apéro Facebook, ou les réunions de bloggers, prenons les salons du web, E3 ou que sais-je encore, prenons même les concerts : c'est fait pour que la communauté concernée se réunisse. Et la communauté concernée, elle aime ça. Je prends à titre perso l'exemple des apéros-designers que nous organisons dans mon entreprise (ledito.com, on voudra bien me pardonner de la citer, sinon mille excuses), et qui réunit de jeunes designers et le grand public qui n'y connaît pas forcément grand chose au design : ce n'est bien souvent qu'à l'issue de ces rencontres que le modèle économique se met en marche (le public coédite des meubles de designers sur le modèle participatif de MyMajorCompany, mais pour du meuble), alors que la coédition est possible à tout moment sur le site, et accessible à une population "infinie". Pourquoi alors 30 personnes à elles-seules génèrent plus de business, pour parler vulgairement, que l'ensemble des internautes ? Pourquoi est-ce que je continue à aller au Stade de France ne pas voir et à peine entendre U2 alors que je suis convaincu qu'ils écrivent leurs chansons pour moi seul et que le son est mille fois meilleur sur CD ? Parce qu'à la fin, à la toute fin, les gens, ils aiment se rencontrer. Quel autre but que les réseaux sociaux et tous leurs outils ? C'est en tout cas, pour ma part, toute la beauté du métier de community manager.

  2. Ca fait réfléchir ! Merci…

    (faut que créé un truc, avec tout le monde connecté et qui à l’impression qu’il est unique…)

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