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Retour sur les fondamentaux de la stratégie digitale

Par Jean-Philippe Timsit, expert FrenchWeb

Il existe aujourd’hui un très grand nombre de définitions de la stratégie, avec plusieurs écoles de pensée qui prônent des définitions souvent contradictoires. Et avec l’avènement des technologies numériques, la complexification s’accroissant, la question de définir ce qu’est spécifiquement la stratégie digitale s’est imposée. Parce qu’il est souvent essentiel de faire simple, je vous propose une définition pragmatique et opérationnelle qui devrait s’adapter à la plupart des situations que vous rencontrerez.

L’art de la stratégie digitale, c’est l’ensemble des méthodes et techniques digitales qui permettent à l’entreprise de construire un avantage concurrentiel.

Cette définition repose sur cinq éléments déterminants: «stratégie», «digital», «méthodes et techniques», «avantage concurrentiel» et «art». Explorons-les ensemble.

1. La stratégie

Pour schématiser ce qu’est la stratégie, il faut savoir qu’il existe deux conceptions principales: l’approche intentionnelle et l’approche émergente.

L’approche intentionnelle plaide que la stratégie consiste à aller d’un point A à un point B. A, c’est le point où l’entreprise se trouve actuellement qui est défini précisément par le diagnostic. B, c’est la projection dans le futur de l’entreprise, là où nous voulons aller. La stratégie consiste à caractériser A, identifier un B souhaitable, esquisser le chemin de A vers B, et définir comment arpenter ce chemin.

La question clé en stratégie digitale dans le cadre intentionnel est donc de déterminer les moyens et les compétences qui vont être mis en œuvre pour:

  • Déterminer A avec le plus de précision possible 
  • Concevoir un point B pertinent et crédible, tout en sachant que B évoluera au fur et à
    mesure de la formulation de la stratégie et des évolutions de l’environnement 
  • Élaborer un chemin menant de A à B et permettant de créer de la valeur 

L’approche émergente quant à elle part du principe que la stratégie se formule au fur et à mesure des actions qui sont entreprises. En effet, à chaque action conduite, le marché réagi ce qui va affecter les actions suivantes. C’est de cet ensemble d’actions et de réactions qu’émerge la stratégie de l’entreprise. Ce qui signifie qu’il n’y a pas de diagnostic à proprement dit qui est conduit en amont, et qui précèderait les décisions.

Il faut savoir que c’est l’approche intentionnelle qui la plus enseignée, mais que la spécificité du digital c’est que c’est plutôt l’approche émergente qui domine car celui-ci a des marchés animés de bouillonnements intenses.

2. Digital

La révolution industrielle à laquelle nous faisons tous face aujourd’hui, à la fois en tant que citoyen mais aussi en tant que managers, a été qualifiée à très juste titre de 3ème révolution industrielle. La première ayant eu lieu suite aux réformes agraires et les « enclosure acts » en Angleterre en 1793. La réforme agraire a conduit les « gens des champs » à devenir des « gens des villes », fournissant en cela la main-d’œuvre aux usines. Cette main d’œuvre nouvelle fut convergente avec l’arrivée de nouvelles technologies conduisant à la première révolution industrielle propulsée par l’avènement de la machine à vapeur. La deuxième révolution industrielle est provoquée par la diffusion massive de l’électricité, puis l’arrivée de la télévision et du téléphone. La troisième révolution industrielle, c’est le passage d’une économie analogique à une économie numérique, ou digitale.

En effet, la mutation des économies et l’avènement des technologies digitales ont changés radicalement les comportements des consommateurs. Et si la demande change, l’offre doit s’adapter. Cette révolution a donc impacté fortement le comportement des entreprises.

Pour faire court, la révolution digitale peut être résumée en 3 points:

1. Inter-connectivité des individus

L’inter-connectivité, mue entre autres par la mobilité et les réseaux sociaux, a conduit à une prolifération des données. La collecte, la reconfiguration, l’analyse puis l’exploitation des données sont au cœur de la stratégie digitale. Connaître mieux le client, ce qu’il fait, son process de prise de décision… tout cela est possible grâce aux technologies digitales.

2. Recherche (par les individus) et recommandations (par les entreprises)

La recherche, et donc la possibilité pour tous de trouver une information, a considérablement transformé le comportement des consommateurs. Il y a encore quelques années, pour acheter un réfrigérateur nous nous rendions dans un magasin, faisions confiance au vendeur, ou à un guide publié dans les journaux, comparions les caractéristiques, les prix… Aujourd’hui, le consommateur peut aller sur un comparateur en ligne, chez lui pour choisir un magasin, ou alors dans le magasin, grâce à son mobile, pour savoir si le produit n’est pas moins cher ou en promotion ailleurs.

Les moteurs de recommandations, propulsés par de puissants algorithmes, peuvent comparer le comportement d’un consommateur à celui d’un grand nombre d’autres personnes afin d’anticiper ses besoins. Ces moteurs segmentent leur clientèle, plus ou moins finement en fonction de la qualité de l’algorithme et des données collectées préalablement (point 1), et déterminent les produits qui vous plairont le plus probablement en fonction du segment auquel vous appartenez. Qui n’a pas été surpris par la qualité des recommandations sur Amazon?

3. Le stockage, l’exploration et l’exploitation des données

Enfin, le troisième élément qui boucle la boucle et recoupe les points précédents, c’est la question du stockage. La baisse des coûts des matériaux et l’amélioration des technologies de bases de données, comme les bases de données non-relationnelles (noSql par exemple) ont permis d’accroître considérablement les capacités de stockage et d’exploitation des données, conduisant en cela à l’émergence de toutes les nouvelles technologies et méthodes de Big Data, de data visualization, et bien entendu l’intelligence artificielle. Maintenant, la donnée produite peut être stockée et exploitée, presque où qu’elle se trouve. Et cela recoupe la prolifération des données, la puissance des moteurs de recherche, et les moteurs de recommandations.

Cela veut dire que quand on parle de stratégie digitale, on parle de personnes et de comportements. On parle d’individu interconnectés qui font des choix et prennent des décisions aujourd’hui d’une manière bien différente d’hier. Mais on parle aussi de technologie, on parle de sécurité, d’ergonomie, de réseaux sociaux, de contenus…

3. Méthodes et techniques

Lorsque l’on parle de stratégie digitale, il est fondamental de comprendre que l’on parle plus de méthodes que d’outils. Il y a une dizaine d’année, trouver un outil spécifique qui répondait à une contrainte technique était un réel enjeu car il y avait peu d’alternnatives. Aujourd’hui, cet enjeu s’est déplacé. Si l’on prend la problématique data par exemple, il y a aujourd’hui plus de 7 000 logiciels et outils disponibles, donc face à un problème, on sait que l’outil dont on a besoin existe. Ce n’est donc plus l’outil l’enjeux, celui-ci existe. C’est donc par les méthodes spécifiques que la stratégie digitale tire son originalité par rapport à la stratégie traditionnelle.

A titre d’illustration, l’un des bouleversements introduit par la stratégie digitale par rapport à la stratégie traditionnelle, c’est la dimension inbound illustrée par le précepte « audience is your boss ». La logique inbound, en quelques mots, consiste à concevoir des dispositifs pour diriger l’audience vers l’offre. Et oui, en la matière on parle d’audience, car la stratégie digitale utilise beaucoup de media différents.

4. Avantage concurrentiel

La stratégie digitale a vocation à générer de la valeur. Pour générer cette valeur, la stratégie digitale vise à positionner l’offre de l’entreprise de manière à générer une performance plus élevée que la moyenne des performances de ses concurrents sur son marché. Pour reprendre un terme classique, on parle en la matière d’avantage concurrentiel. La notion d’avantage concurrentiel est complexe. De manière pragmatique, elle tient dans la combinaison de 3 paramètres: prix, caractéristiques, et quantité de l’offre.

  • Prix : quel est le prix public de votre offre (produit ou service) par rapport à vos
    concurrents ?
  • Caractéristiques : quelles sont les caractéristiques de vos produits ou services ? (par
    exemple, la qualité perçue).
  • Quantité : comment êtes-vous distribué sur le marché ?

N’importe quelle stratégie, n’importe quel avantage concurrentiel, finira par disparaître. Nous sommes sur des marchés dynamiques, très compétitifs. Toute sur-performance identifiée par des concurrents hors du marché les conduira nécessairement à rentrer un jour pour disputer l’avantage concurrentiel. Pour rendre l’avantage concurrentiel soutenable, défendable, il est donc indispensable de créer des dynamiques plus rapidement que les concurrents. La stratégie digitale peut permettre cela. 

5. Art

Pourquoi qualifier la stratégie digitale d’art ? Je ne cesse d’écrire que la stratégie digitale repose sur de l’analyse fine, sur des données, sur des compréhensions de mécanismes complexes. Alors pourquoi parler d’art? Et bien je parle d’art car après avoir mené l’analyse technique, il faut prendre une décision. Si nous étions des machines, la décision serait étayée à 100% par l’analyse technique, et tous les techniciens dans la même situation, avec les mêmes données, prendraient la même décision. Or nous ne sommes pas des machines. Nous sommes des êtres de passions, et lorsqu’un dirigeant doit prendre une décision, celle-ci est aussi le reflet de la gouvernance de son entreprise, de sa relation personnelle avec les administrateurs, de son histoire en tant qu’individu, de ses expériences passées, de sa formation, de sa vie privée, bref de ce qu’il est et de qui affecte son jugement.

La stratégie digitale décidée est donc un équilibre, fragile, entre la dimension analytique pure, la dimension systémique et la dimension émotionnelle. « Stratégie digitale ? stratégie digitale ? Qu’est-ce que c’est ce truc? ». Et bien c’est ça, l’art de la stratégie digitale. 

Le contributeur:

Je suis Professeur de Stratégie Digitale à Emlyon où je conçois des programmes qui répondent à de nouveaux besoins en compétences digitales, que ce soit en formation initiale pour de futurs diplômés, ou en formation continue pour des décideurs et leurs équipes.

Retrouvons-nous sur Linkedin: https://www.linkedin.com/in/jptimsit/

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Un commentaire

  1. j’ai arrêté après « chief people officer » ‘on ne dit plus « DRH », pardon?) le « digital » au lieu de numérique, le « pitching »
    « légalement compliant »,  » l’ awareness », « ce qu’on appelle le « workplace »
    mais sérieux j’ai cru à une blague tellement c’est gros, on dirait une parodie de la start up nation. Ridicule.

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