BusinessLes Experts

Bon, est ce que NiN et Radiohead ont vraiment révolutionné le business de la musique ! (bordel) par Virginie Berger

Vous me lisez, on se connait un peu maintenant, vous savez que mon obsession est de mettre en avant, réfléchir à des business models différents des business models classiques, à savoir « je vends mon CD » . Car vendre son CD, c’est devenu compliqué.

On voit émerger de « nouveaux » business models. On parle de direct to fans (D2F), de direct to fan sales, de pay what you want, de donation….

Le marketing et les ventes grâce au direct-to-fan (aux direct-to-fan sales) ont connu un pic ces dernières années grâce à la combinaison de différents facteurs. Tout d’abord, les technologies permettent maintenant aux artistes de tous niveaux de diffuser et vendre leur musique à leurs fans (public/audience) de manière claire, engageante et engagée, et bon marché. Ensuite, de nombreux artistes en développement ont maintenant fait le choix de ne pas signer avec des maisons de disques pour continuer à utiliser ces canaux alternatifs. D’ailleurs alternatif ne veut pas dire contradictoire. Le direct to fans peut parfaitement être utilisé par des maisons de disques, en coordination avec les artistes. Enfin, certains artistes établis ont choisi de ne pas renouveler leur contrat avec les maisons de disques, réalisant qu’ils avaient le public, la visibilité, la reconnaissance et la notoriété. Ces différentes situations ont grandement bénéficié à l’expansion du direct to fans.

Par pay what you want, on entend « payer ce que vous voulez ». L’artiste laisse sa musique gratuitement sur son site, et laisse le choix à son public de payer s’il le souhaite et du montant qu’il le souhaite. Prise de risque maximum pour un artiste en développement. Avoir une solide fan base est véritablement nécessaire pour se lancer.

Il y a aussi le « crowd funding, », la donation. Votre projet n’est pas développé, et vous faites appel à la générosité du public pour réunir suffisamment de fond pour le lancer. Différent d’un label participatif car les gens donnent sans aucune promesse de retour.

Radiohead reste le symbole le plus emblématique du direct to fans et du pay what you want avec le lancement de l’album “In Rainbows”. Ce qui a été véritablement révolutionnaire ici est la suppression des intermédiaires, le paiement et le téléchargement direct à partir du site et le choix par le fan de ce qu’il voulait payer.


Trent Reznor, l’homme derrière le groupe Nine Inch Nails, a fait de très nombreuses expériences qui démontrent bien comment fonctionne ce modèle du direct to fans. Il en est même devenu le chef de file. Il explique que pour lui, il n’y avait rien de nouveau dans ce marketing car NIN a toujours été très à l’écoute de ses fans.

Il encourage par exemple ses fans à remixer ses titres, ils peuvent utiliser appareil photos et caméras en concert. Ils peuvent également utiliser les contenus vidéo et audio de NIN comme ils le souhaitent, tant qu’ils ne le vendent pas. C’est ainsi qu’ils ont pu monter le projet « This one is on us », un DVD open source qui suivait la tournée de NIN en 2008. Trent Reznor donne sa musique sur son site et vend des coffrets premium à différents prix.

Mais ma véritable question est : Est-ce que Radiohead et NIN ont réellement ouvert la voie vers une (r)évolution de l’industrie musicale avec leurs modèles ?

Après tout, pourquoi inclure un intermédiaire, la major, quand vous pouvez garder tous les profits pour vous-mêmes avec des coûts très réduits ?

Trent Reznor résume ainsi les grandes lignes du problème, majeur, de l’industrie musicale :

« Le plus grand réveil de ma carrière fut quand j’ai commencé à m’intéresser à mon contrat. « Attend », me suis-je dit, « tu vends des CD pour 18.98$ et tu ne récupères que 80 cents ? et je dois vous rembourser l’argent que vous m’avez prêté pour faire ma musique et ensuite elle vous appartient ?  ».

Alors tout cela est une évidence pour les artistes majeurs, qui ont une fan base loyale et massive, et qui n’a aucun problème à diffuser et partager la musique avec d’autres. Mais l’histoire est très différente pour les artistes en développement…comment faire du direct to fans quand on n’a pas de fanbase, d’infrastructure, de connaissances et compétences. Comment faire payer pour sa musique, si personne ne la connait sa musique ? Comment ?

Radiohead et NIN ont décidé de supprimer les intermédiaires de leur équation pour aller vendre directement à leurs fans. Dans le passé, la voie traditionnelle consistait à fractionner les bénéfices en plein de petits morceaux en ne laissant qu’à l’artiste qu’une fraction des profits. Et ils ont raison, pourquoi un groupe installé, suivi, établi, continuerait à faire ça ?

Ce type de modèle est donc véritablement intéressant pour des groupes déjà bien établis car ils ont déjà une taille critique de fanbase. Et il y aura toujours un fan qui sera prêtà payer. Mais la question est, que payera ce « un » pour un album s’il on lui donne la possibilité de l’avoir gratuitement ? Et là, on peut avoir des indications sur le prix auquel un album devrait être vendu…

Traditionnellement, on trouve des albums à 9,90€ en téléchargement numérique et 12, 90€ à 14,90€ à plus cher en physique. En moyenne, sur la totalité des fans qui ont téléchargé les albums de Radiohead et de NIN (gratuitement et acheté), le prix moyen d’achat était de 4$. On est bien loin des prix des albums vendus de manière traditionnelle.

En extrapolant un peu, est-ce que l’on doit voir cela comme une indication que les prix des albums ne correspondent pas à la demande du marché et de ce qu’un fan de musique perçoit comme le vrai prix d’un album ?

D’après les chiffres communiqués par NIN, 800 000 transactions ont généré 1.6 millions de revenus la première semaine de vente de “Ghosts I-IV” malgré le fait que l’album était largement disponible sur les sites torrent et les réseaux P2P. Le « In Rainbows » de Radiohead a généré approximativement 6 millions de $ de revenus avec 1, 200 000 téléchargements.

Dans ces deux cas, la plupart des fans ont choisi de ne PAS payer. Mais du point de vue du groupe, on est dans une situation gagnant/gagnant. En échange du téléchargement gratuit de l’album, le groupe obtient des informations vitales sur leur fanbase : email, localisation…ce qui veut dire un moyen de communiquer directement avec ses fans. Le groupe possède ainsi sa propre liste d’emails, et peut ensuite l’utiliser pour vendre des choses pour lesquelles les fans seraient prêts à payer. C’est pourquoi donner des choses gratuitement crée réellement de la valeur, pour vous. En plus, vous attirez l’attention. Mais attention, pour attirer l’attention et donner envie, il faut donner véritablement quelque chose qui ait de la valeur.

La beauté du « gratuit » a surtout donc à voir aves les informations personnelles des utilisateurs.

Maintenant, est-ce que les groupes en développement peuvent utiliser ces modèles de direct to fans et de pay what you want ?

Alors tout d’abord, tout dépend de votre stade de développement, et de votre public. En début de développement, sans fanbase, ces modèles ne sont pas efficaces. Car votre objectif doit d’abord être de créer votre fanbase (ce qui fera l’objet d’un prochain article : « comment partir de rien même s’il y a toujours quelquechose? »). Idem pour le modèle de la donation. Les artistes financés sont souvent les artistes qui sont les plus actifs sur le site de donation (contenus, forums, etc..).

Pour vendre, il faut avoir créé « l’adhésion ». Donc avoir touché une masse critique de gens, qui diffuseront votre musique de votre part. Et avant de vendre, il faut donner…Ce qu’à fait John Mayer est un bon exemple. Au départ, il a décidé de distribuer toute sa musique sur les réseaux P2P de partage de fichiers gratuitement. Il a été remarqué, téléchargé, partagé et diffusé. Mais il a également beaucoup beaucoup travaillé. Sa musique, ses tournées..

Concernant les groupes en stade de développement plus avancé, avec une fanbase conséquente, le direct to fans, comme le pay what you want peut être véritablement intéressant. Encore plus intéressant si vous vous adressez à une niche.

Je prends souvent l’exemple de Misteur Valaire, mais il est assez parlant. 1er album planté, ils décident alors de faire leur deuxième album en étant très actif sur Internet, en laissant toutes les pistes de leurs titres, en partageant leur quotidien, en postant vidéos, photos, etc….ils commencent à avoir une fanbase conséquente, un bon retour critique et un bon réseau de fans. Ventes faibles, distributeur moyen.

Pour le 3e album, ils décident alors de demander à leurs fans de les aider à le produire car ils ne pouvaient plus investir, et ils décident également de le distribuer gratuitement sur leur site. Pas par volonté de prouver quelque chose, mais parce qu’ils n’avaient pas le choix. Entre temps, et après 6 ans de travail, de tournées partout où ils pouvaient, un label décide de les héberger, et leur souffle l’idée du pay what you want (« Nous on veut bien qu’il soit distribué gratuitement sur le site, mais obtenez alors l’adhésion de vos fans »). Résultat : sur 100% des albums distribués par Misteur Valaire, 70% sont vendus.


D’ailleurs élément étonnant, le prix moyen sur la totalité des albums téléchargés est de 4$, comme NIN et Radiohead. Et de 11$, sur la totalité des albums qui ont été téléchargés en payant.

Ils vendent aussi du physique en magasins et du digital sur Itunes, Amazon, Archambault (6e au top au Québec, 40 000 albums vendus). Mais tout ça après 6 ans de travail, de développement artistique, de live, de développement de la fanbase….

Et puis Misteur Valaire est un groupe québécois. Pays ou la tradition du piratage est bien moindre….

« What happens with Radiohead stays with Radiohead »

Et c’est à ça que je veux vous amener. NIN et Radiohead sont de formidables cas à étudier, mais comme des autopsies, pas comme des cas pratiques à copier littéralement…j’aurais envie de dire « What happens with Radiohead stays with Radiohead ». Le groupe tourne depuis 17 ou 18 ans, encore plus pour Trent Reznor, le leader de NIN. Ils ont démarré comme tout le monde avec rien, ont travaillé, crée, tourné, construit une fanbase. Oui, alors installé, ils ont provoqué des électrochocs, montré que d’autres modèles étaient possibles. Mais soyons clair, Ils ont d’abord révolutionné leur propre modèle.

D’ailleurs Brian Message, le manager de Radiohead est très clair là-dessus et le répète régulièrement. Leur modèle est un modèle adapté à leur groupe, mais certainement pas à tout le monde. Et il ne supporte pas qu’on les prenne en exemple. Comme il le dit « chacun doit trouver son propre modèle, adapté à sa propre évolution ».

Aujourd’hui, il y a beaucoup trop de bruit pour que l’on puisse prêter attention à tous les artistes. Tout le monde veut être entendu, tout le monde veut vendre.

La clé du succès est de vous faire remarquer et de distribuer votre musique en utilisant des moyens novateurs de distribution et de commercialisation et en éliminant les restrictions.

Mais ne faites pas passer le « comment » avant le « pourquoi ».

Ne passez pas plus de temps sur les outils que sur votre stratégie. Posez-vous les bonnes questions. Le direct to fans, d’accord, mais êtes vous prêt ? Avez-vous le contenu ? La fanbase ? Le merch ? La possibilité ? Savez vous comment définir des packages ? Savez-vous comment vous adresser à vos fans ? Qui fera le suivi derrière les achats ? Et puis vous n’êtes peut être pas non plus un artiste entrepreneur, alors qui vous entoure ?

Idem pour le pay what you want. Peut-être êtes-vous à un stade où il suffit seulement de donner votre musique gratuitement afin de construire déjà votre fanbase avant de vouloir en plus, proposer à des gens qui ne vous connaissent pas d’acheter?

De nombreux outils existent, très facile à utiliser. Mais il faut aussi savoir pourquoi vous les utilisez. L’outil ne doit pas passer avant le contenu. Et c’est un peu le sentiment que j’ai en ce moment. On parle beaucoup des outils, du comment, mais pas du pourquoi. Vous devez savoir pourquoi vous allez vendre, si vraiment cela est important pour vous à votre stade de développement, à qui, et quoi…

Ne vous trompez pas, je suis persuadée que le Direct To Fans (ou label to fans, ou label to consumer) est un modèle viable et primordial. C’est vraiment pour moi le modèle de l’avenir. Mais mal utilisé, ou utilisé trop en amont, il ne marchera pas. Et ça serait dommage.

Nous sommes en train de développer de nouveaux business models. NIN et Radiohead ont ouvert la voie, à nous maintenant de nous en servir pour créer notre propre business model.

Virginie Berger
Music Marketing Machine, Music business analyst, strategist, digital marketer.
Contact me: twitter.com/virberg, mon blog, don’t believe the hype, ou par mail: virberg@gmail.com.

Crédit photo: 2Alterna, DR

Suivez moi
CATHAY INNOVATION EDUCAPITAL XANGE
A Global Venture Capital Firm Connecting Innovators Everywhere The largest European Edtech & Future of Work VC Today's disruption, Tomorrow's daily life
DECOUVRIR DECOUVRIR DECOUVRIR
Connaissez vous la DATAROOM de FRENCHWEB.FR notre base de données de startups et sociétés innovantes françaises: informations clés, fonds levées, chiffres d'affaires, organigramme, axes de développement. Accédez aux informations que nous avons collecté concernant plus de 2000 sociétés

3 commentaires

  1. Excellent article ! Merci.
    En espérant que ces systèmes se développent…

  2. Merci pour cet article !
    Il est important de rappeler que la simple mise à disposition gratuite d’un album sur Internet ne suffit pas et, comme vous le rappelez très justement, que le développement d’une fanbase est un travail de longue haleine. Communiquer avec ses auditeurs et mettre en vente sa musique sur ce type de modèle prend beaucoup de temps et d’énergie.
    Dans un second temps il faut, je crois, également préciser que la musique ainsi mise à disposition sur Internet (en particulier par les groupes en développement) sert aussi et surtout à augmenter le nombre de spectateurs les soirs de concerts, à développer l’expérience « live »Merci pour cet article.
    Il est important de rappeler que la simple mise à disposition gratuite d’un album sur Internet ne suffit pas et, comme vous le rappelez très justement, que le développement d’une fanbase est un travail de longue haleine. Communiquer avec ses auditeurs et mettre en vente sa musique sur ce type de modèle prend beaucoup de temps et d’énergie.
    Dans un second temps il faut, je crois, également préciser que la musique ainsi mise à disposition sur Internet (je parle ici pour les groupes "en développement") sert aussi et surtout à augmenter le nombre de spectateurs les soirs de concerts, à développer l’expérience « live ». En ce sens la musique en téléchargement libre est avant tout un produit d’appel, et le développement d’une stratégie de vente par Internet ne peut se faire qu’en lien avec la promotion et l’expérience du concert.

  3. « NIN et Radiohead ont ouvert la voie » – euh, quoi ?

    Dommage de ne pas parler de Marillion qui sont les vrais pionniers de ce nouveau marketing de la musique (et ce n'est pas un petit groupe inconnu, ils cumulent les tubes depuis 1981 et sont en tournée actuellement avec Deep Purple…).

    Les albums financés par les fans ? Il y a dix ans déjà. Supprimer les intermédiaires ? Oui, en 2000 aussi. Pay what you want ? C'était eux aussi. Et tout plein d'autres innovations intéressantes.

    Ou vous auriez pu parler de Prince qui a créé l'événement en 2007 en donnant son nouvel album Planet Earth gratuitement avec un journal dominicain britannique (Mail on Sunday), avec la logique que le journal lui paye cher ce privilège, et que de toute façon il gagne son argent plutôt par ses concerts, donc pour lui l'album n'était qu'une campagne de pub (réussie) pour sa tournée.

    Chapeau à Trent pour ce qu'il fait et je lui souhaite un grand succès, mais sachez il ne fait que suivre la voie éclairée par Marillion et qui marche particulièrement bien pour leur musique et leurs fans.

Bouton retour en haut de la page
Share This