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Et si vous faisiez du business sur la marque de votre concurrent ?

Observations sur l’arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2012.

Il vous est désormais possible de déposer la marque de votre concurrent à titre de mot-clé Adwords. La Cour de cassation vient de rendre un arrêt (25 septembre 2012) dans lequel elle considère que l’usage par un annonceur d’une marque déposée comme mot-clé Adwords n’est pas constitutif de contrefaçon ou de concurrence déloyale . L’enjeu pratique de cette décision est important.

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Depuis plusieurs années maintenant, les juridictions françaises ont été régulièrement saisies de demandes de condamnation de Google et d’annonceurs pour avoir fait usage de marques protégées (souvent des marques renommées) comme mots-clés dans leurs campagnes Adwords, sans l’autorisation de leur titulaire.

Les tribunaux, qui ont rendu une cinquantaine de décisions environ sur le sujet, ont prononcé des condamnations de l’ordre de quelques dizaines de milliers d’euros, ce qui s’explique par la difficulté pratique à démontrer l’étendue du détournement de clientèle pouvant être occasionné par des liens promotionnels et la perte corrélative de revenus.

D’où vient ce débat ? 

Sans rentrer dans le détail technique, il faut savoir qu’en droit français, les marques sont protégées dans la limite de leurs classes d’enregistrement (et, dans une certaine mesure, de leur exploitation effective), sauf dans le cas d’une « marque de renommée ».

Selon les textes de droit français, l’utilisation non autorisée d’une marque pour promouvoir des produits identiques à ceux désignés dans l’enregistrement est un acte de contrefaçon. Ainsi, le fait de reproduire la marque « Chanel » pour vendre des sacs à main est en soi un acte de contrefaçon.

Si l’utilisation de la marque tend à promouvoir des produits non pas identiques, mais « similaires », la contrefaçon suppose, pour être établie, la démonstration d’un risque de confusion dans l’esprit du public. 

Bien entendu, la question de savoir si des produits sont « identiques » ou « similaires » est une question d’appréciation au cas par cas et la frontière est parfois difficile à établir.

S’il s’agit d’une marque de « renommée », la règle est un peu différente. Le titulaire de la marque peut rechercher la responsabilité de l’annonceur si son utilisation de la marque lui cause un préjudice ou constitue une « exploitation injustifiée ».

Il y a donc, en droit français, trois cas de figure possibles dans le fait d’utiliser la marque d’un tiers : (i) produits ou services identiques (situation de concurrence), (ii) simplement similaires (connexité des activités) ou (iii) marque de renommée.

S’il s’était agi d’appliquer à la lettre ces principes, la question aurait été définitivement tranchée depuis fort longtemps : la simple utilisation, sans autorisation préalable, à titre de mot-clé, d’une marque déposée, pour promouvoir des services directement concurrents, aurait été systématiquement constitutive d’un acte de contrefaçon.

Cette solution mécanique, qui aurait eu le mérite de l’automaticité, aurait permis de rendre les décisions de justice prévisibles en la matière et d’accroître ainsi la sécurité juridique, au risque de restreindre le jeu de la concurrence.

Seulement voilà, si la nature a horreur du vide, le droit a horreur de la simplicité. Le droit communautaire est venu y ajouter son grain de sel.

Saisie à plusieurs reprises par questions préjudicielles sur l’utilisation d’une marque déposée comme mot-clé Adwords pour des produits ou services identiques, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), après avoir écarté la responsabilité de Google, a posé les principes suivants :

  • Pour être constitutive de contrefaçon, l’utilisation de la marque d’un concurrent doit porter atteinte à l’une des trois fonctions de la marque (« identification d’origine », « publicité » et « investissement »), ce qui est le cas :
  • lorsque la publicité affichée à partir dudit mot clé ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers
  • s’il gêne de manière substantielle l’emploi, par ledit titulaire, de sa marque pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser des consommateurs.

En d’autres termes, si votre annonce Adwords laisse croire à l’internaute que vous êtes liés à votre concurrent ou que vous vendez ses produits et services, vous serez exposés à une action en contrefaçon. Inversement, plus vous mettrez la spécificité de votre marque et de vos produits en avant, plus vous vous écarterez de ce risque.

La question reste de savoir ce qu’il faut entendre par le fait de « gêner » le titulaire de la marque pour acquérir ou conserver sa réputation et fidéliser ses clients. Si « Attractive World » utilise la marque « Meetic » comme mot-clé pour promouvoir son site, ne devrait-on pas considérer que cette gêne est nécessairement caractérisée ?

Une chose est claire, c’est que la position de la CJUE ne l’est pas.

  • S’il s’agit d’une marque de renommée, les tribunaux doivent apprécier si l’annonceur tire ainsi un profit indu du caractère distinctif ou de la renommée de la marque (parasitisme) ou si la publicité porte préjudice à son caractère distinctif (dilution) ou à sa renommée (ternissement).

Ce qui laisse encore une fois assez perplexe. Si un créateur de mode utilise la marque « Vuitton » pour promouvoir ses créations auprès des internautes ayant saisi «Vuitton » comme requête de recherche, il va de soi que l’objectif de ce créateur est de tirer profit de la notoriété de la marque pour mettre en avant ses propres produits. Va-t-on considérer que ce type de publicité constitue un « profit indu » de la marque Vuitton ? On serait bien tenté de répondre par l’affirmative.

Les Tribunaux se sont très vite rangés (Arrêts Promovacances et Rentabiliweb) à la décision de la CJUE, et la Cour de cassation a eu, quant à elle, l’occasion des les entériner en confirmant la décision d’une Cour d’appel qui avait reconnu la contrefaçon en se basant sur les critères posés par la CJUE.

Elle n’avait pas, inversement, confirmé une décision d’appel ayant refusé d’admettre l’existence d’une contrefaçon sur ces mêmes critères.

C’est désormais chose faite avec l’arrêt du 25 septembre 2012 qui consolide donc la position du droit français sur la question.

Que faut-il en penser ?  

D’abord, il faut avouer qu’il y a quelque chose de choquant à ce que des annonceurs aient pu, par le passé, être condamnés plus ou moins sévèrement pour des faits qui ne sont désormais plus regardés comme une contrefaçon. C’est une injustice inhérente à tout revirement de jurisprudence certes, mais ces fluctuations sont créatrices d’insécurité juridique et nuisent considérablement à la confiance que les acteurs économiques sont en droit d’espérer de leur système judiciaire.

Ensuite, comme nous l’avons souligné, il n’est pas certain que les critères posés par la CJUE soient de nature à accroître cette sécurité juridique. En effet, les critères retenus, que ce soit l’atteinte à la fonction de la marque, la perception de l’internaute moyen, la « gêne » dans l’exploitation de la marque, la notion de « profit indu » sont des critères de nature éminemment subjective et leur appréciation peut varier d’une personne à l’autre, et donc d’une juridiction à une autre. Ce qui donne un peu l’impression de jouer à la loterie sur ces questions…

Enfin, il y a une différence sensible entre la situation dans laquelle un annonceur essaye de se faire passer pour le titulaire de la marque et celle d’un concurrent qui cherche précisément l’inverse. Dans ce dernier cas, le but de l’annonceur est d’apparaître dans une page de résultats sur laquelle le titulaire de la marque n’était exposé à aucune concurrence, pour proposer des produits concurrents. Si l’on devait faire le parallélisme avec le monde réel (off-line), ce type de comportement s’apparenterait à celui des enseignes concurrentes qui s’installent l’une après l’autre, dans une même rue. Dans cette situation, l’annonceur cherchera à tirer profit du pouvoir d’attraction de la marque de son concurrent (l’achalandage, dans le off-line), pour présenter sous sa marque et ses couleurs ses propres produits. La position de la CJUE semble être de considérer, dans ce cas précis de figure, que l’utilisation de la marque du concurrent comme mot-clé, même s’il s’agit d’une marque de renommée, est désormais licite. Et c’est certainement à ce niveau que la portée pratique de la décision va se faire sentir puisqu’elle va catalyser la concurrence sur des pages de résultats qui en étaient exemptes.

La morale de l’histoire ?  

L’on ne peut faire abstraction de cette réalité, le grand gagnant de l’histoire, c’est Google qui va continuer d’accroître ses revenus en tirant parti des enchères pour les achats de mots-clés constitués de marques protégées.

Sur ce point, il ne serait pas étonnant qu’un nouveau contentieux surgisse, celui tendant à savoir si les revenus que Google est susceptible de tirer de l’exploitation de la marque d’un tiers par un annonceur ne constitue pas, d’un certain point de vue, un enrichissement injustifié.

L’arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2012, s’il assoit l’état du droit sur la question, ne va probablement pas tarir le contentieux autour de l’utilisation de marques protégées dans Adwords.

Sacha Benichou

Avocat au Barreau de Paris

SB Avocats

 

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2 commentaires

  1. Merci pour cet article clair et instructif.
    La logique commerciale « mortar » est plutôt respectée : on ne pourra jamais interdire un vendeur de vélos de s’installer près d’un magasin Décathlon. Les zones de chalandise créent des situations de saine concurrence ou au moins de saine stimulation. Mais comme le souligne Sacha, « à qui profite le crime ? » GG bien sûr !

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