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La French Tech a-t-elle un maillot de bain?

Par Jean-David Chamboredon, CEO de ISAI et co-Président à France Digital

Warren Buffet est réputé avoir dit: «You only find out who is swimming naked when the tide goes out».

Posons-nous aujourd’hui la question: notre écosystème de start-up innovantes porte-t-il un maillot de bain alors que, plein d’exubérance, il enchaîne record sur record et sabre le champagne presque chaque semaine?

La tendance générale observée depuis 5 ans est, en effet, un spectaculaire triplement de cet écosystème: les montants levés par les investisseurs (gérants de fonds) et ceux levés par les entreprises innovantes (soutenues par ces investisseurs) ont effectivement triplé depuis 2012. Faits historiques: en 2016, la France a connu plus de tours de financement de type capital-risque que la Grande Bretagne et en 2017, les capitaux-risqueurs français ont levé sur les 3 premiers trimestres plus d’argent que leurs homologues Britanniques. La France a un portefeuille de start-up «early to mid stage» extrêmement fourni et prometteur. Les VCs Français ont les moyens d’être offensifs pendant les 3 ou 4 prochaines années….

Mais, tout va-t-il si bien que cela au pays de la French Tech?

Quand on y regarde de plus près, les progrès spectaculaires réalisés sont essentiellement dus à 3 phénomènes parallèles:

  1. BPIFrance lancée fin 2012 a, depuis sa création, fait feu de tout bois en mobilisant des montants en forte croissance à la fois en financements non dilutifs et en investissements directs dans des start-up ou indirects (souvent accompagnée par le Fonds Européen d’Investissement) dans de nombreux fonds de capital-risque tricolores;
  2. Les grandes groupes Français ont, dans leur quasi-totalité, lancé des initiatives de type «open innovation/corporate venture» investissant eux-aussi en direct ou en indirect dans l’écosystème Français;
  3. Les investisseurs internationaux basés à Londres, Berlin, New York voire Moscou ont également redécouvert l’hexagone depuis la belle entrée en bourse de Criteo (fin 2013) et ont, depuis, été les chefs de file de plus de 60% des gros tours de tables réalisés par nos «start-up/scaleups».

Sachant que le dernier retournement de cycle économique date de fin 2008, que lesdits cycles économiques durent rarement plus d’une dizaine d’années, la question de la résilience de notre écosystème en cas d’un tel retournement va bientôt se poser… Quand je dis «bientôt», je le dis en tant qu’un investisseur «long», je parle des 3 années à venir!

Ceux qui répondent un peu vite affirment que «cela sera pareil pour tout le monde». A chaque retournement de cycle, il est exact que les écosystèmes financés par le capital-risque connaissent des périodes plutôt rudes lors desquels les investisseurs «font le tri» dans leurs portefeuilles et les entreprises de leurs portefeuilles sont contraintes à minima de s’ajuster et souvent de se restructurer pour tenir compte d’un contexte où le capital redevient subitement beaucoup plus rare et où l’activité de fusion-acquisition est en jachère… Ces périodes de bas de cycle sont, d’ailleurs, très propices à l’émergence de leaders solides qui, dans un premier temps, résistent bien puis, s’accaparent un marché laissant vacant par leurs compétiteurs plus fragiles… Ceci va se passer à Paris, Berlin, Londres, Tel Aviv, New York, San Francisco…

Ayant vécu ce type de périodes après l’éclatement de bulle internet puis à la suite de la crise des «subprimes», je pronostique malheureusement un retournement d’une violence plus forte pour l’écosystème French Tech que pour ses homologues étrangers. Pourquoi?

Imaginons un «coup de grisou» sur les Bourses mondiales. Dans les semaines qui suivront, se dérouleront 3 phénomènes:

  1. Les grands «corporates» Français prendront la décision au sein de leur Comex de stopper ou de limiter fortement leur activité de «corporate venture». Ils décideront, ici de ne pas refinancer des sociétés dans lesquels ils détiennent une participation ou là, de faire défaut lors de l’appel de fonds de tel ou tel fonds de capital-risque dont ils sont souscripteurs. Ils mettront une partie de l’écosystème dans l’embarras. Ils en seront «un peu gênés» mais mettront logiquement la priorité sur leur «core business».
  2. Les investisseurs internationaux se replieront naturellement sur leurs marchés domestiques, assumeront à minima leurs engagements d’actionnaires vis-à-vis de leur portefeuille tricolore mais arrêteront, au moins pour un temps, de faire des nouveaux «deals». Passant d’offensifs à défensifs, ils créeront une pénurie subite de capital pour nos start-up les plus ambitieuses.
  3. BPIFrance (et le FEI), comme c’est leur mission, essaieront autant que faire se peut de combler la nouvelle «défaillance de marché» mais leur emprise déjà importante se trouvera naturellement capée par les ratios admissibles en termes de financements publics…

De la même façon que nous avons connu un triplement sur les 5 dernières années, nous connaîtrons en tendance une division par 2 ou 3 des montants levés et des tours de table «externes» (avec un nouvel entrant). Ce freinage sera suivi d’une difficulté retrouvée pour les capitaux-risqueurs français à lever de nouveaux fonds… «Gloomy» sera le bon terme pour désigner l’atmosphère au sein de notre écosystème.

La raison pour laquelle ce retournement sera plus violent en France qu’ailleurs est simple à expliquer: hormis BPIFrance et les entrepreneurs, il n’y a pas d’investisseurs «longs» dans l’innovation et la technologie en France!

Quand on sait qu’il faut à minima 10 ans pour construire un champion du numérique, on comprend que, seuls les investisseurs ayant un horizon de ce type, peuvent soutenir une croissance pérenne et vertueuse d’un écosystème comme French Tech…

Nos compétiteurs ont la chance d’avoir beaucoup plus d’investisseurs «longs»: qu’il s’agissent des «university endowments» (exemple, $35bn pour la seule Harvard) pour les Américains ou des caisses de retraite par capitalisation (que beaucoup satanisent en les désignant comme «fonds de pension spéculatifs» voulant faire oublier qu’il s’agit de simples gérants de retraites souhaitant servir un bon rendement à leurs futurs retraités) de nos amis Américains, Britanniques, Germaniques ou Nordiques qui investissement de 5 à 10% de leurs actifs dans le non-coté dont un quart dans le capital-risque (exemple, la seule caisse de retraite des fonctionnaires de Californie, nommée Calpers, détient environ $30bn d’actifs soit 8% de son bilan dans le non-coté).

Par comparaison, nos quelques caisses de retraite par capitalisation sont minuscules et les gérants de la principale épargne longue des français (assurance-vie) ont dans leur bilan environ 0,4% de non-côté dont «epsilon» en capital-innovation! Les raisons sont prudentielles (Solvency II) et culturelles (épargne à capital garanti, liquidité permanente et faible rendement)… CQFD!

Vous l’avez compris la réponse à la question-titre de ce «post» est que la French Tech, si elle ne nage pas totalement à poil, a pour costume de bain un minimaliste «micro string ficelle». Quand la marée se retirera, il sera difficile de le cacher! Il nous reste peut-être encore un peu temps pour nous vêtir plus décemment?!

Voir proposition N°9 du Manifeste France Digitale publié au printemps dernier.

L’expert:

Jean-David-Chamboredon-ISAI-France-digitale-2016

 

Jean-David Chamboredon est CEO de ISAI et co-Président à France Digital.

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2 commentaires

  1. Comme quoi avant de se jeter à l’eau, il faut savoir nager voire surfer sur ses clients au lieu de partir à la pêche aux financements :-)
    Cordialement,

  2. Merci Jean David ! Très belle contribution ! Je partage ton avis en tous points ! Puisse l’Europe agrandir rapidement le bassin de nage des Start Ups françaises afin que des vraies entreprises Tech de taille intermédiaire émergent enfin et sachent tricoter leur propre maillot de bain ! A quand Europe Tech ?

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