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[#BitcoinLes10ans] L’appréhension des blockchains par le droit. Les questions d’Assas Legal Innovation.

Par Florence G’sell, agrégée de droit privé et professeur à l’Université de Lorraine

La jeune et dynamique (et sympathique) équipe  d’Assas Legal Innovation publie désormais sur son site toutes sortes de contributions intéressantes sur le thème du droit et de l’innovation. J’ai pour ma part eu le plaisir de répondre aux questions de Baptiste Camus.

 

Baptiste Camus: La France peut-elle rater le tournant de la blockchain et des fintech comme elle a pu rater le tournant d’Internet au milieu des années 1990, comme certains observateurs le craignent ?

Florence G’sell: Le parallèle se comprend car il y a eu à l’époque, côté français, une minimisation du potentiel d’internet, largement liée au fait que la France avait été un pionnier de la télématique. N’oublions toutefois pas qu’avoir réussi à équiper, quasiment gratuitement, des millions de foyers de minitels dans les années 1980, c’était quelque chose ! Et que l’un des principaux représentants, en France, de la « nouvelle économie », Xavier Niel, a construit sa fortune à partir de ces fameux services 3615… Il est vrai, cela dit, que les français, absorbés par une économie du minitel encore florissante au milieu des années 1990, ont été pris de court par la croissance rapide et exponentielle des services internet.

Les circonstances actuelles me paraissent un peu différentes. Il est cependant légitime de vouloir attirer l’attention des autorités sur la nécessité de voir se développer et prospérer en France un éco-système blockchain performant. Les français disposent des qualités et des atouts nécessaires pour développer des applications et des services innovants, pour être leaders… mais la concurrence est mondiale et féroce. Sans compter que les choses vont extrêmement vite. Dans ce contexte, il faut que les entreprises françaises disposant de projets innovants et prometteurs puissent lever les fonds dont elles ont besoin pour se développer, notamment auprès des investisseurs étrangers. Or les ICO leur permettent de le faire facilement et rapidement. Il est donc vital que les autorités françaises soient conscientes de cet enjeu de manière à créer un environnement qui permette de favoriser les initiatives et de faire émerger des acteurs français de la blockchain compétitifs.Apple-converted-space »> Il faut parvenir à trouver le bon équilibre entre la protection des investisseurs, le respect des règles fiscales et anti-blanchiment et la nécessité de voir les entreprises française prospérer et réussir.

Qu’attendez-vous des décrets d’application attendus pour mettre en œuvre l’ordonnance de Décembre 2017 sur la transmission de titres via blockchain ?

Il y a de très nombreuses précisions, juridiques et techniques, qui vont être nécessaires pour mettre en œuvre l’ordonnance relative à l’émission et la cession des titres financiers du 8 décembre 2017. De même, d’ailleurs, que pour l’application de la précédente ordonnance d’avril 2016, relative aux mini-bons. Le principal point va être de déterminer si l’émission et le transfert d’actifs financiers pourront se faire sur des réseaux ouverts et décentralisés ou s’ils seront réservés à des réseaux permissionnés et gérés par une ou plusieurs personnes. Il me semble probable que cette seconde possibilité sera privilégiée, au moins dans un premier temps, pour de simples raisons de sécurité et de responsabilité.

Il est, en effet, encore difficile d’envisager un réseau sans gestionnaire répondant de son bon fonctionnement. Par la suite, il faudra préciser les conditions auxquelles il sera possible de passer progressivement à des plateformes entièrement décentralisées. Il y a notamment, d’après moi, une réflexion à mener sur la gouvernance des blockchains publiques et décentralisées. Une telle réflexion doit permettre de déterminer les caractéristiques requises de ces plateformes pour pouvoir valider les transactions qui y sont passées.

Que pensez-vous des options envisagées par l’Autorité des marchés financiers sur les initial coin offering(ICO), à savoir établir un simple guide des bonnes pratiques, étendre la législation existante ou alors demander une législation ad hoc ?

Il me semble, depuis le départ, que la blockchain pose des questions spécifiques qui justifient largement l’adoption d’une réglementation ad hoc. En outre, la réglementation existante est très contraignante et peu adaptée à l’écosystème blockchain. Dans le même temps, les émissions de crypto-monnaies doivent se faire dans des conditions sécurisantes pour les investisseurs, en respectant au minimum un impératif de transparence. C’est la raison pour laquelle je suis personnellement favorable au régime optionnel qui offre des garanties dans le cas où l’émetteur choisit de faire viser son opération par l’AMF, mais permet aussi d’opérer une levée de fonds sans visa de l’AMF. Je pense qu’il s’agit là d’un bon compromis.

Une remarque toutefois : l’adoption d’une législation sur les ICO ne peut aller sans une clarification de leur régime fiscal. Il existe, à ce jour, beaucoup d’incertitudes quant à la fiscalité des ICO. Surtout les taux d’imposition sont de nature à décourager les entreprises de réaliser leur levée de fonds en France… Il y a, là encore, une réflexion à mener sur ce terrain.

Jusqu’où cette révolution peut-elle aller ? Peut-on imaginer demain que se financer via ICO ou prouver sa propriété via blockchain soit banal ?

Il est probable que les applications blockchains qui devraient se généraliser le plus rapidement relèvent de la fonction de registre, qui ne pose pas de difficultés insurmontables. Par exemple, tester la blockchain pour les registres d’Etat civil a été récemment évoqué au Parlement. De même, certains établissements d’enseignement supérieur ont pris l’habitude d’enregistrer les diplômes qu’ils délivrent sur la blockchain. S’agissant des titres de propriétés, il m’apparaît très vraisemblable que le recours à la blockchain s’imposera tôt ou tard, y compris en matière immobilière, même s’il faut  tenir compte de l’existence d’outils de stockages centralisés déjà existants, performants et satisfaisants. Les choses se feront en leur temps.

De la même façon, les applications blockchain dans le secteur de la logistique ou de la distribution (traçabilité par exemple) ont vocation à se développer. Il existe également beaucoup de projets innovants et très avancés dans le secteur des Fintechs. Par ailleurs, à l’heure ou Telegram est en train de réaliser une ICO pharaonique qui connaît un réel succès, l’hypothèse de l’émergence d’une token economy n’est pas purement théorique : il est probable que l’on voit de plus en plus d’acteurs traditionnels et déjà installés se lancer dans l’aventure. Il n’est pas impossible, par exemple, qu’Amazon décide demain de créer son propre token…

Il convient, toutefois, d’être conscient des enjeux fondamentaux qu’impliquent l’apparition et le développement des crypto-monnaies et crypto-actifs, indépendamment des risques que l’on souligne fréquemment et à juste titre. Ces enjeux sont d’ordre économique et monétaire mais aussi politique et même géo-politique. Ce n’est pas pour rien que des Etats se lancent aujourd’hui dans la création de leur propre crypto-monnaie. Pas pour rien, non plus, que l’on voit réactivée l’idée selon laquelle la monnaie ne doit pas relever du seul monopole étatique… Il s’agit là de questions tellement fondamentales qu’elles vont et doivent susciter le débat. Et qu’il est difficile de prédire ce qui peut se passer sur ce terrain.

Les socialistes utopiques tel que Fourier avaient le rêve des communautés auto-suffisantes et administrées librement par des membres nourrissant une confiance commune. La blockchain et les DAO (decentralized autonomous organization) pourraient-ils revitaliser ce rêve ?

Vous employez vous-mêmes le terme de « rêve »… Il faut sûrement garder à l’esprit qu’il n’a pas fallu trois semaines pour que la première DAO fasse l’objet d’un détournement de fonds. Peut-être, cela dit, verrons-nous arriver à l’avenir des protocoles suffisamment robustes pour voir fonctionner de manière satisfaisante des plateformes totalement décentralisées. Mais là encore (je me répète), les questions de gouvernance sont majeures. Sur la blockchain Bitcoin comme sur Ethereum, ces enjeux de gouvernance ne sont pas encore résolus de manière parfaitement transparente ou satisfaisante.

La blockchain et plus globalement ce nouveau paradigme de la décentralisation peuvent-ils réellement mettre en danger les GAFAM, symboles de la centralisation d’Internet ?

Il est vrai que beaucoup ont ironisé, à juste titre, lorsque Mark Zuckerberg a, au moment de ses vœux, mis en exergue son intérêt pour la blockchain et les réseaux décentralisés. Facebook paraît, de ce point de vue, un véritable anti-modèle ! Cela étant dit, il me semble que, si menaces il y a, elles ne concernent pas au même degré ces entreprises. On aura toujours besoin de s’équiper en machines performantes et interopérables auprès d’un Microsoft ou d’un Apple. De même, il est tellement simple de pouvoir se fournir auprès d’un géant de la distribution comme Amazon, chez qui l’on peut tout trouver aux mêmes conditions. Il est sans doute plus difficile de déterminer ce qui pourra se produire pour Google ou Facebook mais… il est assez vraisemblable que ceux-ci vont réagir et s’adapter. Et il n’est pas impossible que les GAFAM utilisent leur actuelle position dominante pour imposer leur protocole voire… leur cryptomonnaie. Le risque existe sans doute. Mon impression est que, dans l’immédiat, les réseaux décentralisés vont se développer avec des applications et des cas d’usage qui leurs sont propres, en marge des grands acteurs centralisés. Pour le reste, difficile, là encore, de prédire ce qui pourrait bien advenir. C’est en tout cas une période extrêmement intéressante !

 

 

L’expert:

Florence G’sell (www.gsell.tech) est agrégée de droit privé et professeur à l’Université de Lorraine où elle enseigne principalement le droit des obligations, le droit des affaires et le droit comparé. Diplômée de Sciences Po Paris, où elle enseigne depuis plusieurs années, elle a commencé sa carrière dans la filiale américaine d’une banque française avant de rejoindre une compagnie d’assurance spécialisée dans la couverture des grands risques industriels, puis de choisir la voie universitaire. Ses recherches portent principalement sur le droit des affaires, le droit privé, les modes de règlement des litiges et les nouvelles technologies, qu’elle aborde de manière comparative, à la lumière des droits de Common Law, notamment le droit américain.

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