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[Expert] Médias, le marketing éditorial n’est pas (forcément) le mal, par Cyrille Frank

“Brand-content”, marketing éditorial, “native advertising” … le contenu de marque est la nouvelle marotte des experts du marketing qui ne jurent plus que par le “storytelling”. Ils ne sont pas les seuls : les médias s’y mettent aussi, soucieux de retrouver les faveurs des annonceurs. Une bonne idée, à condition de respecter quelques règles.

Les mots ont changé, mais le fond reste le même : on parle bien de publi-rédactionnel, d’infomertial ou, en anglais d’”advertorial”. Un contenu crée par une marque pour la marque. Il y a toutefois deux grands changements.

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D’abord, la forme s’est modernisée. Il n’y a plus grand chose à voir entre les clips de RedBull (ci-dessous) et les traditionnels encarts publicitaires dans les magazines qui attirent l’attention du lecteur en jouant sur la confusion avec du contenu journalistique. Le brand-content est à la publicité ce que cette dernière était à la réclame, ou cro-magnon à Néanderthal : un cousin plus éduqué.

Ensuite, les marques sont désormais diffuseurs de leurs propres contenus et s’affranchissent de plus en plus des médias, ce qui n’est pas sans susciter quelques inquiétudes sur le modèle de financement traditionnel de la presse par la publicité.

Les canaux de diffusion se sont multipliés et les marques s’en sont emparés, qu’il s’agisse de blogs, de chaînes Youtube, de web-tv propriétaires, de chaînes sur les box de fournisseurs d’accès, ou même de réseau de distribution alternatif. Sans oublier les réseaux sociaux, vecteurs de diffusion privilégiés des marques qui utilisent Facebook à 85% et 73% Twitter selon le dernier rapport Technorati.

Les marques ont aussi compris combien le consommateur avait mûri, était devenu plus critique et n’adhérait plus aussi facilement qu’avant aux annonces publicitaires d’image, purement positionnelles. Quand il n’oblitère pas la publicité, tout bonnement.

LE CONTENU DE MARQUE SE REPAND DANS LES MEDIAS

Les médias, soucieux de retenir au maximum les budgets de leurs annonceurs, se sont adaptés. Ils proposent désormais eux-mêmes du contenu embarqué dans leurs colonnes. C’est ce que les Américains appellent le “sponsored content” ou le “partnered content”qui peut appeler plusieurs degrés de collaboration. Une pratique pas vraiment neuve puisque AOL le pratiquait déjà dès 2000, comme en témoignent les captures ci-dessous.

Le niveau de collaboration minimum consiste à créer un contenu et à chercher ensuite un annonceur pour sponsoriser l’aire éditoriale, moyennant la présence d’un logo et d’un lien vers le site officiel de la marque, comme ci-dessous :

Dossier APN 2002 AOL

Dossier APN 2002 AOL


Mais le brand-content “moderne” est celui qui conçoit un contenu éditorial sur-mesure par le producteur/diffuseur lui-même, comme dans l’exemple suivant (datant de 2002). Ce contenu a été crée sur la base d’une demande du client (La sécurité routière), l’initiative ne provenant pas d’AOL lui-même.

Page accueil aire AOL sponsorisée 2002

LES HUIT COMMANDEMENTS DU MARKETING EDITORIAL

Scott Lamb de Buzzfeed était venu nous expliquer à Science Po combien le contenu sur-mesure réalisé par son équipe éditoriale pour le compte d’annonceurs était efficace et plaisait à la fois aux annonceurs et aux lecteurs. Son modèle à succès semble avoir entraîné de nombreux médias dans son sillage, à l’instar de The Atlantic (via cette rubrique éditoriale sponsorisée par IBM) ou du Washington Post lui-même.

Je ne suis pas définitivement opposé à ce mouvement et tout comme Matthieu Ingram de Gigaom, je pense que le contenu de marque n’est pas le diable et peut même représenter un ballon d’oxygène appréciable pour les médias. A condition de respecter quelques règles.

1- Il faut bien séparer le pôle “agence” du pôle purement journalistique qui doit garder son indépendance totale. Le même mur infranchissable doit exister qu’entre régie et rédaction au sein des médias. Et le directeur de publication ou le patron doit jouer son rôle de filtre et résister comme il se doit aux pressions des annonceurs. Scott Lamb concédait lui-même que des tensions existaient parfois entre l’équipe de rédacteurs brand-content et les journalistes. Quand deux dossiers l’un plutôt positif, l’autre plutôt négatif entraient en collision éditoriale.

2- Le service au lecteur doit être la priorité : les dossiers sponsorisés doivent donc être tenus à des objectifs d’audience également. Une condition nécessaire pour maintenir un niveau de qualité sur le long terme.

3- Il ne faut en aucun cas mentir au lecteur, même par omission. Si l’on prétend faire un comparatif produits sérieux, il est impossible de ne pas parler des autres concurrents de la marque, ni de mentir sur ses défauts éventuels. C’est pourquoi il y a des sujets qu’il ne faut pas accepter, comme un banc d’essai d’objectifs payé par une marque d’appareils photo. Il est très peu vraisemblable que la marque acceptera que l’on pointe ses faiblesses. Ici on entre sur le terrain purement journalistique, il n’y a pas de compromis acceptable.

4- Le contenu de marque doit être présenté comme tel, dans un encart spécifique, avec un design facilement reconnaissable.

5- Certains annonceurs sont inacceptables comme les marchands de cigarette, d’armes ou les partis politiques. Un choix qui est fonction aussi de sa ligne éditoriale. Difficile d’accepter Areva quand l’on publie un magazine dédié aux énergies renouvelables, c’est une question de cohérence et de crédibilité.

6- L’éditeur doit rester maître de sa ligne éditoriale dans la phase de conception et proposer un contenu à l’annonceur qui est libre de l’accepter ou pas. Il peut y avoir discussion et négociation sur la nature du contenu (honnête), susceptible d’intéresser le lecteur. Mais à aucun moment, le commercial ne doit mettre la pression sur l’éditeur pour lui forcer la main. C’est le meilleur moyen pour remplir les caisses à court terme et tuer le média à petit feu.

maket_tekken

Dans l’exemple ci-dessus de l’aire éditoriale “Tekken 4″, je suis allé au rendez-vous client avec le commercial pour discuter des prochains jeux dont l’éditeur voulait faire la promotion. J’ai choisi ce jeu parmi d’autres, car il était bien noté par les critiques et attendu des lecteurs. Ce sujet permettait d’atteindre donc un triple objectif : audience, fidélisation lecteurs et satisfaction client. Charge à moi d’affiner ensuite la proposition éditoriale pour apporter le maximum de “biscuit” au lecteur, en m’appuyant sur les ressources de l’annonceur, d’où les goodies, astuces, diaporamas etc.

7- Les annonceurs doivent jouer le jeu et faire confiance aux producteurs de contenus. S’ils veulent tirer bénéfice de ce genre de communication, ils doivent faire preuve d’honnêteté et refuser de tordre les faits ou maquiller la réalité comme ça les arrange. Une agence de voyage ne pratique pas les meilleurs prix ? Qu’elle communique sur sa fiabilité et surtout qu’elle produise un contenu de valeur en adéquation : des guides de voyage sérieux et exhaustifs par exemple.

8- Les services journalistique et marketing contenu doivent se parler et arrêter de jouer la guerre de tranchée. Faire vivre son média est un impératif démocratique et le modèle 100% payant n’est pas répliquable pour tous. Il faut donc trouver des solutions et tâcher de faire des compromis acceptables sur le plan déontologique autant qu’économique.

Pour réussir le délicat équilibre du marketing éditorial, les journalistes sont les mieux placés, car ils connaissent à la fois bien leur domaine, leur lectorat et les exigences déontologiques de l’information. Tout comme Willy Braun, et vu la crise de la presse, je pense qu’à l’avenir, ils travailleront davantage pour les marques. En espérant que celles-ci ne tuent pas la poule aux oeufs d’or en abusant de leur nouveau pouvoir.

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14 commentaires

    1. Bonjour Jérémie,

      Joli moment de nostalgie hein ? :-)
      J’ai grave des welcome screen : toutes mes archives de 2002 à 2010. Tu veux quoi ?

      1. Ah ben je suis preneur d’à peu près tout. Tu peux mettre ça sur un répertoire Dropbox temporaire ?

  1. Point de vue très intéressant.

    J’ai exploré cette piste coté éditeur, mais les grands groupes de presse ne sont pas encore murs pour cette démarche.

    J’ai pris un chemin différent mais finalement proche en créant une agence éditoriale uniquement composée de journalistes et auteurs au service des marques.

    Les marques deviennent des médias, qui d’autres que des professionnels des médias pour s’en occuper ?

  2. Merci Marc-Philippe,

    Ils y viendront, car c’est ce que demandent de plus en plus les annonceurs et il faut bien financer cette fameuse info de qualité.

    Mais le risque est toujours de passer d’un extrême à l’autre.

    Il y a aussi votre option : l’agence de communication externe. Ainsi, plusieurs groupes de presse ont des participations dans ce genre d’activité Le Télégramme, Editialis… Interne ou externe, en tout cas les activités doivent être bien distinctes, même si nous sommes d’accord, les journalistes sont quand même bien placés pour parler aux lecteurs.

    A bientôt !

  3. Votre billet est intéressant car il compile toutes les erreurs de jugement de votre profession celle qui se bat désespérée. Du Monde à Electron libre. On oublie Libé soutenu par Le conseil régional d’Ile de France ou les pure-players dont les résultats sont peu transparents. Sans oublier le truc racheté par AOL dirigé par Anne Sinclair en France, ou le NYT qui réduit la voilure année après année
    .
    Je suis d’autant plus affirmatif que toute ma famille achète du papier moi depuis l’âge de 15 ans, ma femme, ma fille (18 ans).

    Ce qui m’inquiète c’est que Frenchweb vous qualifie « expert ». J’aime bien Frenchweb.

    Pour aller à l’essentiel on achète, et même simplement on lit sans payer, une tierce partie plus ou moins indépendante et non un go-between.

    Une grande partie de la crise occidentale est liée au mélange des genre: les amis, entre amis, aux plus hauts nivaux des structures décisionnelles ou réglementaires des structures publiques ou privées, cf conseils d’administration consanguins, agences de sécurité sanitaires achetées.

    Pourquoi payer pour un miséreux journaliste go-between.
    On repayera pour un journaliste indépendant, dans une structure indépendante, avec un accès payant simple.

    1. Bonjour Didier,

      Enfin un peu de contradiction, chouette !

      Oh « expert » veut tout et rien dire, comme vous le savez. J’ai un peu d’expérience sur ces sujets, disons. Frenchweb trouve intéressant de porter mon opinion sur la place publique, ce n’est pas forcément la leur, que cela ne vous fâche pas avec ce site intéressant et sympathique ;-)

      Sur le fond.
      Il y aura toujours un modèle économique pour les classes supérieures dont vous faites très certainement partie, ne serait-ce que par le niveau d’études (dites-moi si je me trompe). Mediapart, Le Monde, Okapi… Parce que les gens instruits sont prêts à payer pour de l’info de « qualité » et parce que cela les rassure de le penser.

      Pour les autres, c’est plus compliqué. Les gens n’achètent plus de journal, d’une part parce que les infos qu’ils contenait sont disponibles ailleurs (en hyperlocal la presse s’en sort bien car il n’y a pas de concurrence ou presque). D’autre part, parce que les services qui motivaient un achat sont accessibles sur le web, gratuitement : petites annonces, prgs tv, shopping (si,si) etc. Les gens n’achètent pas les journaux que pour les infos, c’est une erreur de le croire.

      Donc, vouloir faire reposer le financement de la presse sur le paiement du lecteur est une grosse erreur de jugement selon moi. Il faut trouver d’autres systèmes : l’aide publique, la publicité, le mécénat ?

      En matière de publicité, les tarifs chutent du fait de la concurrence de l’offre, mais aussi du fait de la moindre efficacité des annonces traditionnelles. Or, il est important que les annonceurs continuent de financer la presse, sans quoi notre système d’information s’écroule. D’où le marketing rédactionnel sous conditions que j’ai énumérées. Il s’agit d’une nécessité pragmatique, pas d’un sacerdoce.

      Il n’y a aucun système bon en soi. Tout comme Montesquieu et Locke, je crois que le plus important tient à l’équilibre des financements et donc des pouvoirs. Faire dépendre la liberté d’informer sur un seul acteur qu’il s’agisse de l’Etat, des annonceurs ou même des lecteurs est mauvais. Oui, même le système 100% payant a un risque : celui de la démagogie pour vendre plus de papier.

      Voilà, on peut pester, ruer, cabrer et se lamenter sur la fin d’une si belle époque (enjolivée par la cristallisation Stendhalienne). Ou regarder les choses avec lucidité et tenter de trouver des solutions qui, comme souvent, sont complexes.

      Il y va de la survie d’une presse de qualité pour tous et pas que pour quelques-uns : http://www.mediaculture.fr/2010/09/26/non-aux-ghettos-culturels-de-riches/

      A bientôt !

  4. Alors sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat (la rédac et la pub)… je viens de passer deux jours avec des start ups qui font des sites éditoriaux low cost, mais qui génèrent beaucoup de trafic avec des contenus de bonne qualité, voire de très bonne qualité : rien n’est séparé !!! Ce sont les mêmes personnes qui rédigent les articles et les « publis ».

    1. Hehehe

      C’est ce qu’on faisait à la belle époque d’AOL hein ;-)

      Pas impossible mais compliqué à installer dans des rédactions de journalistes traditionnels. Trop grande différence culturelle et méfiance très forte vis à vis de la pub. Mais sur le fond, je suis d’accord. Tout dépend de la rigueur intellectuelle et de la capacité de résistance face aux sirènes du court-terme et de l’argent facile.

      Et aussi de la capacité à convaincre et évangéliser le client… Les gens qui travaillent en agence savent de quoi je parle… ;-)

  5. Pour info je n’ai rien contre la pub, le libéralisme, le capitalisme, l’argent, le superflu etc.

    Je dis que votre valeur ajoutée est bien d’être une tierce partie.
    Celui qui paye commande. Et cela se voit et se lit chez tous les médias qui dépendent de la pub ou d’un capitaine d’industrie par exemple les Echos.

    L’article nous dit que le journaliste choisit celui qui le paye aujourd’hui la pub et non celui qui devrait le payer le lecteur.

    C’est une erreur.

    Aujourd’hui on ne s’informe plus avec le Monde ou les Echos ou Libé. On fait sa sauce avec commande + F. Et c’est Google qui y gagne.

    Par ailleurs comme la croissance a pris un long congé sans solde et que tout le monde va souffrir et se remettre en question.
    Il est certain que vous faîtes le mauvais choix.

    Même Fullsix, Himedia souffrent. Alors les sites d’audience c’est plié.

  6. Didier,

    J’aimerais comme vous être si sûr des choses. Moi, je continue de douter et chercher. Le problème du financement de la presse est plus complexe que vous ne le croyez.

    Le lecteur (hors catégories supérieures) est-il prêt à acheter aujourd’hui pour une information de « qualité » ? Non. Parce que le goût de la connaissance s’apprend à l’école et hélas notre système est déficient sur ce point (pour plein de raisons). Je mets le terme « qualité » entre guillemets, car c’est un terme très subjectif. On peut le résumer par infos sérieuses, compliquées et très souvent ennuyeuses pour « monsieur tout le monde ».

    En revanche, ce monsieur claque toujours plus d’argent pour le divertissement et comment le lui reprocher, vu que ne lui n’a pas appris correctement le plaisir du savoir ?

    Votre vision se réduit à celle de vos goûts et de votre milieu. Allez discuter avec d’autres catégories sociales, vous verrez qu’ils ne sont pas prêts à acheter de l’info profonde, ou à un prix si bas qu’il nécessite d’autres financements (notamment la pub, le mécénat, et autres…)

    D’accord sur l’hégémonie de Google, que je critique aussi: http://www.mediaculture.fr/2012/10/16/editeurs-de-contenus-si-vous-cessiez-de-vous-faire-phagocyter-par-google-et-facebook/

    Cordialement

  7. Je vous fait une dernière réponse claire, synthétique et j’espère positive d’ici quelques jours.

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