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Les hauts et les bas de la vie d’entrepreneur

Pourquoi parler des « ups and downs » de lentrepreneur – un sujet aussi vague et large, quand dautres préfèrent échanger plus concrètement des conseils en matière de finance, RH ou marketing ? Parce quau-delà des astuces et bonnes pratiques, on néglige trop souvent de parler de ce qui fait le quotidien des entrepreneurs et qui contribuent tout autant à leur succès. Cela a trait à la psychologie, à la santé ou encore à une certaine philosophie de vie. Des sujets déjà traités outre-atlantique, mais sur lesquels on reste en France assez peu loquace, sans doute du fait dune pudeur mal placée. Une pudeur d’un autre âge, qu’il est temps doublier, en rentrant par cet article dans le vif du sujet.

J’ai toujours croisé ici et là des amis, et même des clients qui voyaient dans l’entreprise une aventure dure et risquée, pour laquelle il fallait beaucoup de courage. C’est l’idée reçue que beaucoup s’en font, une idée que pourtant je n’ai jamais vraiment comprise. La liberté a forcément sa part de risque, mais elle est préférable à tout le reste – sans hésiter une seule seconde. Et au fond, ce ne sont pas les risques qui rendent le quotidien de l’entrepreneur difficile, mais bien les coups durs qui parfois viennent de toute part, à répétition. L’enjeu n’est pas tant matériel, que mental.

Ups & down, tout le monde connait ça. Ils prennent pour l’entrepreneur une autre dimension : tantôt sources d’adrénaline, tantôt causes de stupeur, ils sont plus intenses et graves, et rythment notre quotidien. Les ups seulement sont moins fréquents que les downs, bien moins fréquents si l’on considère que notre métier consiste à résoudre des problèmes, plus ou moins pressant ou bloquant pour le fonctionnement de notre entreprise. Il faut donc réfléchir concrètement à la manière dont ces problèmes sont gérés, et esquisser quelques parades utiles. J’en vois quatre.

1- La persévérance comme philosophie

Je retrouve Sébastien Romelot, Pdg de Phenix Group un jour à l’Interallié, ce lieu cossu et coupé du monde, où il semble être chez lui. Le personnage a tout pour séduire : le trentaine sage, le regard sûr, la coupe nette, et la chemise immaculée. Après neuf années passées chez Lazard, Sébastien est revenu à ses premières amours : la création d’entreprise – ou devrais-je plutôt dire l’invention, car la manière dont il parle de Phenix Groupe et de ses activités est toujours à la fois intelligente et créative. On sent en l’écoutant un goût profond pour l’invention de nouveaux modèles, d’offres ou de produits inédits. Aujourd’hui Sébastien est lassé. La veille en l’espace d’une journée, c’est prés de 500 000€ qui lui ont filé entre les mains. Pas perdus mais plutôt différés, pour des questions diverses et variées. 100 000€ par-ci, 200 000€ par là, à croire que le sort s’acharnait ce jour-là contre lui. Il me dit qu’il finit par rentrer chez lui. Quelques minutes après il me raconte ses aventures avec une banque bien connue, qui ne fait rien pour l’aider, alors même qu’elle est conçue pour le faire. Mais ce n’est pas finit me dit-il, « je n’ai pas dit mon dernier mot ». Entreprendre c’est – par nécessité – se montrer inaltérable. Ne pas se laisser entamer par les événements, et penser à raison ou à tort (cela au final importe guère) qu’on obtiendra gain de cause. Car c’est bien de cela dont il s’agit : obtenir ce qui nous revient, parce que personne d’autre ne se bat autant que nous, pour rester debout, faire croître notre entreprise et aller de l’avant. Dans la succession des coups durs, la première qualité de l’entrepreneur – ou devrais-je dire le premier pré-requis pour tenir – est bien l’inaltérabilité. Chez certains, c’est un trait de caractère. Pour d’autres, le fruit d’une longue expérience. Survivre au pire, c’est cesser de le craindre. Après ça, tout est possible.

Et à ceux qui n’ont ni caractère, ni expérience, il reste la persévérance. En disant cela je me souviens d’une phrase de Patrick Robin : « la seule chose qui distingue les personnes qui réussissent des autres, c’est qu’elles recommencent après un échec, là où les autres abandonnent ». Ne pas laisser entamer sa volonté, tout en restant dans une posture d’apprentissage, voilà ce qui distingue l’entrepreneur persévérant de l’obstiné. Il est crucial de distinguer les deux, et de comprendre ainsi que le persévérance n’est pas un trait de caractère, mais bien une philosophie.

2- Le retrait comme posture

Durant mes premières années à la tête de mon agence puis de Tigerlily, une chose me frappait : que ce qui était une bonne nouvelle un jour, puisse se transformer le jour suivant en mauvaise nouvelle (et inversement), cela parfois plusieurs fois par jour. Tout dans l’entreprise est impermanent, tout bouge dans un sens ou dans l’autre. Il est normal de se réjouir d’une bonne nouvelle : un contrat signé par exemple ou l’obtention d’une aide. Mais il arrive que le contrat ne soit peu après cassé, l’aide soit suspendue pour être ensuite validée ou invalidée. De fait, tout change. C’est la raison pour que laquelle j’ai cessé – peut-être bêtement – de partager les bons et les mauvais moments avec mes proches. Aux questions me demandant si tout va bien, je ne réponds pas souvent. Que dire ? Le fait est qu’en tant qu’entrepreneur, tout change souvent trop vite pour qu’on puisse se dire satisfait ou non. Aussi, il est bon d’en faire une maxime. Qu’il s’agisse d’une bonne ou d’une mauvaise nouvelle : rien n’est sûr pour le sceptique. C’est moins drôle certes, mais c’est plus juste et surtout – sur le long terme – moins usant. On touche là un point central de l’entrepreneur : l’émotion dans l’action, qui fait que chaque nouvelle est prise à coeur (c’est aussi ça notre drogue), et le besoin de mettre ces nouvelles à distance, à des fins d’analyses et pour nous préserver. C’est ce va-et-vient permanent qu’il faut apprendre à gérer, dés le départ, de façon équilibrée.

3- L’imagination comme méthode

L’inaltérabilité comme moteur, le retrait comme pare-choc, si j’ose dire. Reste un bon volant, pour ajuster la direction. Pour trouver des solutions aux problèmes et bien entendu réussir là où tout joue contre nous, rien de tel que l’imagination. C’est là ce qui fait tout l’intérêt de notre métier : si les chemins sont limités ou ne mènent nulle part, rien n’empêche d’en créer de nouveaux. Sans une foi profonde en notre capacité à tracer ces chemins, nous n’entreprendrions pas et surtout nous ne serions pas capable de nous projeter au-delà d’un coup dur. Oter ces limites de notre esprit et envisager constamment plusieurs possibles est difficile, surtout dans l’urgence, qui condamne à agir vite. Exercer son imagination, c’est exercer la liberté dont je parlais au début, seul et ou avec d’autres entrepreneurs qui partagent le même goût du contournement que nous, et le même désir de succéder en tout, quelque soit la situation.

« Mais je n’ai pas dit mon dernier mot » disait Sébastien Romellot. Qu’il s’agisse d’une banque, d’un client voire même de l’Etat, quelque soit la décision, si l’enjeu le mérite, une action reste toujours possible, si l’imagination prend le relai. Ancien de Lazard, vieux routard des M&A, Sébastien n’est pas seulement un virtuose de la finance, il cultive les réseaux et s’avère être un fin politique. Mais pas quelqu’un du sérail, plutôt un hacker en costume – un combattant d’un nouveau genre, qui (re)invente son entreprise chaque jour, et imagine quand il le faut des solutions de contournement pour avancer. Car pour faire bouger ce monde, et avancer en dépit des freins multiples, il faut précisément redoubler l’imagination. Sébastien sait qu’au final, les faits lui donneront raisons. Il le sait car en l’espace d’un an, depuis la reprise d’Insert, il est déjà parvenu à maintenir 370 emplois et en a fait un groupe à présent en forte croissance.

4- Le corps comme fondation

Les coups durs à répétition entament, sans qu’on en soit parfois conscient, l’esprit et le corps. Ca n’est qu’après coup et une fois constaté les dégâts, que l’on s’octroie une pause, plus ou moins forcée. Une phrase de Gérard Mulliez (le fondateur d’Auchan) m’avait surpris à propos de son accident cardiaque survenu à l’âge de seulement 37 ans. Il y voyait rétrospectivement la chance de sa vie ! Trop d’entrepreneurs inexpérimentés subissent ce qui leur arrive, en considérant que cela fait partie du jeu, et qu’il faut tout abandonner dans la bataille, y compris leur santé. Pourtant entreprendre n’est pas subir, mais bien l’inverse. On ne peut persévèrer que si on dure, et pour durer mieux vaut ne pas brûler toutes ses cartouches. Cela n’a rien à voir avec la quantité de travail engloutie, mais avec la manière dont le travail est vécu, et les crises absorbées. Il existe mille et une manières de gérer cela. Toutes ont à voir avec le recentrage sur soi. On change de point de vue, en ne se concentrant plus sur l’objet du problème, mais sur nous-même.

Disposer d’un point d’ancrage, quel qu’il soit, c’est tout l’enjeu. Même le plus simple : prenez le souffle. Sa pratique, même simple, constitue une ancrage idéal. Je l’ai intégrée au cours de ma première année de Yoga Ashtanga. Une respiration longue et posée, accompagnée d’un recentrage sur soi – son nez, sa gorge, ses poumons, son ventre. Entreprendre ne doit pas aboutir à l’oubli de soi. Et c’est précisément dans ces moments de danger, d’angoisse ou de colère, que notre corps peut et doit se rappeler à notre bon souvenir. Il est ce sur qui nous pouvons à chaque instant nous reposer, celui par qui un mal être passager peut se dissiper en un souffle. Que vous vous en remettiez aux pratiques les plus simples de Mindfulness ou de Yoga, vous réaliserez à quel point ces quelques exercices de respiration élémentaires peuvent durablement contribuer à dissiper les tensions les plus prégnantes.

Persévérer, se tenir en retrait, toujours imaginer et respirer. Ces principes de vie trouvent un relief particulier quand ils sont appliqués au jour le jour. Rétrospectivement, je réalise que les appliquer ne permet pas seulement d’être plus efficace en tant qu’entrepreneur, mais également de travailler sur soi. On comprend alors que le fruit de notre travail n’est pas uniquement la société qu’on fait croître mais également – et j’ai envie de dire avant tout – notre vie qu’on améliore. En tout bon hacker qui se respecte, l’entrepreneur est un lifehacker.

Matthieu ChéreauMatthieu Chéreau est le PDG de Tigerlily et Sleekapp.io., une entreprise spécialisée dans le marketing sur les réseaux sociaux. Tribune parue originellement sur Harder, Faster, Better.

Twitter : @matthieuchereau

LinkedIn : matthieuchereau

 

Crédit photo: LeWeb
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4 commentaires

  1. Bravo pour ce témoignage qui met en lumière notre fonctionnement profond ! J’ai le même vécu sur la question du « Est-ce que ça va ? » ou « Comment va ta boîte », une nécessité de retrait permanent et de recherche d’équilibre…

  2. Excellent article, notamment l’importance de l’imagination et du mindfulness…

    Ne pas oublier:
    – « Don’t compare yourself to Bob » (faire abstraction d’autres startups qui réussissent (ou du moins, ne pas les envier – mais en être content et s’en inspirer) ou d’autres copains qui gagnent super bien leur vie en tant qu’employé).
    – « Don’t pay attention to the government » (faire abstraction de tous les planqués de la fonction publique – CCI, Ville, Région… etc durant les moments durs où l’argent se fait rare – on ne fait qu’user notre énergie et notre santé).

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