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[DECODE] Comment Amazon fait face à la crise du coronavirus

  • Amazon est aujourd’hui à la tête d’un véritable empire logistique, avec plus de 1 000 sites actifs à travers le monde.
  • Amazon se concentre sur les produits de première nécessité pour faire face à l’afflux de commandes provoqué par le confinement dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus Covid-19.
  • 2,6 milliards de personnes sont confinées à travers le monde à cause du Covid-19.
  • Amazon recrute 100 000 personnes supplémentaires aux États-Unis pour répondre à la forte demande actuelle.
  • Les employés d’Amazon dans les entrepôts dénoncent des mesures sanitaires insuffisantes pour garantir leur sécurité sur leur lieu de travail.
  • Amazon propose la livraison express et des services streaming de vidéos et de musique avec son offre Prime.
  • Amazon Web Services (AWS) est aussi en première ligne, avec des serveurs qui supportent notamment Netflix.
  • AWS est la vache à lait du groupe américain, avec 35 milliards de dollars de revenus en 2019.

 

«Compte tenu de la situation actuelle, nos délais de livraison peuvent être allongés.» Par ces mots sur la page d’accueil de sa marketplace en France, Amazon reconnaît volontiers le défi qui l’attend dans cette période ô combien particulière. Entre les courses à livrer le plus rapidement possible à ses clients et les courses à remporter sur les fronts de l’e-commerce et du divertissement, les enjeux sont multiples pour Amazon dans la crise sanitaire et économique actuelle.

En pleine épidémie du Covid-19, qui touche désormais de plein fouet l’Europe et les États-Unis, le géant américain doit non seulement être capable de supporter une augmentation fulgurante de commandes avec son appareil logistique, tout en étant directement confronté à la propagation du coronavirus dans ses entrepôts. Le défi est de taille pour la firme de Jeff Bezos, mais si elle traverse avec succès cette tempête mondiale, elle risque bien de rafler définitivement la mise et de fragiliser un peu plus les acteurs historiques de la grande distribution.

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Une puissance logistique unique au monde

Et pour cause, Amazon, bien loin de la petite librairie en ligne qu’elle était à ses débuts en 1994, est devenue le plus grand magasin virtuel au monde, grâce à une force de frappe logistique sans commune mesure dans le monde. Le réseau de distribution d’Amazon a vu le jour en 1997 avec deux premiers centres à Seattle et dans le Delaware. Le point de départ d’une expansion logistique à grande échelle, d’abord aux États-Unis puis en Europe, qui va considérablement à partir de 2005, l’année de lancement de son service de livraison express Prime. Ce dernier compte désormais plus de 150 millions d’abonnés dans le monde, avec des plateformes streaming de vidéos et de musique en prime.

Après avoir tissé sa toile à l’international pour dominer l’e-commerce mondial, sauf en Chine, où le géant Alibaba reste impérial, Amazon dispose aujourd’hui d’un véritable empire logistique. Celui-ci repose sur plus de 1 000 sites actifs à travers le monde, couvrant une superficie totale de près de 24 millions de mètres carrés, selon les données du cabinet de conseil en logistique MWPVL International. Sans surprise, c’est aux États-Unis que l’on retrouve le plus grand nombre de sites actifs avec 500 centres dédiés à la logistique, devant l’Inde (350) et le Royaume-Uni (100). En France, Amazon compte 23 sites : 7 centres de distribution, 4 centres de tri, 11 centres dédiés à la livraison du dernier kilomètre et un centre de logistique urbain. 

De plus, Amazon bâtit progressivement son propre réseau de livraison à coup d’achats d’avions gros-porteurs pour les livraisons longue-distance et de camions de livraison pour pouvoir se passer de FedEx, d’UPS, mais aussi l’US Postal. En juillet dernier, Jeff Bezos, le patron d’Amazon, avait indiqué que le groupe avait investi 800 millions de dollars au deuxième trimestre 2019 dans son réseau de livraison. 

L’an passé, le géant américain a notamment renforcé sa flotte d’avions pour mieux desservir le marché nord-américain, de manière à être en mesure d’assurer les livraisons en un temps record pour ses abonnés Prime : un jour contre deux auparavant. Amazon espère atteindre une flotte de 70 avions à l’horizon 2021. Outre les avions, Amazon mise sur les drones pour réduire les délais de livraison. Selon Morgan Stanley, le groupe livre déjà lui-même presque la moitié de ses marchandises aux États-Unis via son propre service.

Cependant, si Amazon est le leader dans les achats en ligne, avec une part de marché approchant les 40% aux États-Unis selon le cabinet eMarketer, il ne devrait représenter qu’environ 4,6% du total des ventes aux États-Unis en 2020, car la grande majorité des achats se fait toujours dans les magasins physiques. Du moins, c’était ce qu’eMarketer attendait en février, avant que l’épidémie de coronavirus Covid-19 ne bouleverse le comportement d’achat des consommateurs américains et européens… Une crise qui pourrait renforcer un peu plus la domination du géant américain, si son appareil logistique parvient à encaisser le choc.

Un avion-cargo Prime Air d’Amazon. Crédit : Amazon.

Jusque-là, la puissance logistique d’Amazon a permis à la marketplace américaine de devenir le site de référence sur lequel les cyberacheteurs débutent leurs recherches de produits, largement devant les moteurs de recherche comme Google ou d’autres sites e-commerce. Selon le cabinet Wunderman Thompson Commerce dans son rapport «The Future Shopper 2019», 79% des e-acheteurs américains lancent leur recherche directement sur Amazon. Une tendance que l’on retrouve aussi en Europe, dans des pays comme l’Espagne (80%). 

Pour la majorité des internautes, Amazon est tout simplement devenu le réflexe e-commerce par défaut. Et au-delà du large catalogue de produits que propose la marketplace américaine, c’est bien son offre Prime qui fait la différence. 64% des membres Prime estiment qu’Amazon est le meilleur prestataire pour effectuer des livraison gratuites, contre 25% pour les non-membres. 87% des membres Prime précisent d’ailleurs que la vitesse des livraisons est cruciale à leurs yeux. Preuve de l’efficacité du service express du géant américain, 72% des sondés par Wunderman Thompson Commerce indiquent qu’ils aimeraient que d’autres marques et commerçants proposent des services identiques à Amazon Prime.

En 2019, Amazon a enregistré un chiffre d’affaires de 280,5 milliards de dollars, en progression de 20%, pour un bénéfice net de 11,6 milliards de dollars, contre 10,1 milliards un an plus tôt. Et ces chiffres pourraient continuer de s’envoler en 2020 avec une demande sans précédent dans le monde… Ce sont désormais 2,6 milliards de personnes qui sont confinées à cause du Covid-19. Mais Amazon peut-il faire face à cette situation inédite ?

Amazon en chiffres

  • 1 000 sites actifs à travers le monde, couvrant une superficie totale de près de 24 millions de kilomètres carrés.
  • 23 sites en France : 7 centres de distribution, 4 centres de tri, 11 centres dédiés à la livraison du dernier kilomètre et un centre de logistique urbain.
  • Une flotte de 70 avions à l’horizon 2021.
  • 150 millions d’abonnés dans le monde à Amazon Prime.
  • Un chiffre d’affaires de 280,5 milliards de dollars en 2019, pour un bénéfice net de 11,6 milliards de dollars.

Les produits de première nécessité privilégiés…
au détriment des vendeurs tiers 

Face à la crise sanitaire à laquelle l’Europe et les États-Unis sont confrontés depuis plusieurs jours, Amazon a constaté une évolution du comportement d’achat des consommateurs. «Nous assistons à une augmentation des achats en ligne et, par conséquent, certains produits, tels que les produits de base pour la maison et certains produits médicaux, sont en rupture de stock», a indiqué le groupe américain. 

En conséquence, le mastodonte du commerce a procédé à un ajustement de sa stratégie logistique pour s’adapter aux besoins de ses clients dans cette période si singulière. «A court terme, nous prenons la décision de prioriser temporairement les produits alimentaires de base, les fournitures médicales et autres produits à forte demande qui arrivent dans nos centres de distribution afin que nous puissions recevoir, réapprovisionner et expédier ces produits plus rapidement aux clients», indique Amazon. 

Cette mesure s’applique depuis le 17 mars, et ce jusqu’au 5 avril minimum. Une décision logique au regard des achats de ces derniers jours dans les pays européens et aux États-Unis qui se sont essentiellement portés sur les denrées alimentaires, les masques de protection et les médicaments.

Un tel choix de la part d’Amazon n’est pas sans conséquence sur les vendeurs tiers de la plateforme américaine. En effet, seuls ceux proposant des produits pour bébé, santé et ménage, beauté et soins personnels, épicerie, produits industriels et scientifiques, et produits pour animaux de compagnie continueront de voir leurs commandes acheminées directement par le géant du commerce en ligne. En revanche, pour ceux qui proposent des articles qui ne sont pas considérés comme des produits de première nécessité par Amazon, ils doivent désormais utiliser le service Fulfilled by Merchant.

Autrement dit, ils n’ont d’autre choix que d’assurer eux-mêmes le stockage et l’expédition des commandes. Une pilule difficile à avaler pour de nombreux vendeurs qui n’ont pas manqué de déverser leur colère sur le forum d’Amazon au cours de ces derniers jours. «Amazon vient de mettre des tonnes d’entreprises en faillite. Vous détruisez des milliers d’emplois en pleine crise. Blague horrible, blague absolue. Pas d’avertissement. Attendez-vous à des poursuites majeures de la part de vendeurs qui vont faire faillite», peut-on lire notamment parmi les mots laissés par ces vendeurs qui se sentent abandonnés par Amazon dans cette période difficile. «Nous comprenons qu’il s’agit d’un changement pour votre entreprise, et nous n’avons pas pris cette décision à la légère», a simplement expliqué Amazon dans son message envoyé aux vendeurs concernés.

100 000 personnes recrutées aux États-Unis 

Mais si cette épidémie du Covid-10 laisse des milliers de vendeurs sur la touche, la donne est bien différente dans les centaines d’entrepôts du groupe à travers le monde. Face au confinement, Amazon devient la solution de prédilection de nombreuses personnes pour se ravitailler et commander tout ce dont ils ont besoin sans avoir à sortir de chez eux. Dans ce contexte, pas question pour le géant américain de stopper son activité. Bien au contraire.

Alors qu’il compte déjà près de 800 000 salariés aux quatre coins du globe, dont 400 000 aux États-Unis, le groupe a annoncé son intention de recruter 100 000 personnes supplémentaires, à temps plein ou partiel, pour renforcer ses effectifs dans ses entrepôts et ses autres sites de distribution aux États-Unis. Une manière pour le géant américain d’éviter que sa chaîne logistique ne soit victime d’une surchauffe face à l’explosion des commandes outre-Atlantique. «Nous assistons à une augmentation significative de la demande, ce qui signifie que nos besoins en main-d’œuvre sont sans précédent pour cette période de l’année», a indiqué Amazon.

Le groupe américain n’est pas le seul à renforcer ses effectifs pendant cette période singulière. Outre Amazon, Walmart, qui compte 1,4 million d’employés aux États-Unis, prévoit de recruter plus de 150 000 personnes supplémentaires, tandis qu’Instacart, qui a aujourd’hui 130 000 collaborateurs dans ses rangs dans le pays de l’Oncle Sam, prévoit d’en embaucher plus de 300 000 de plus pour faire face à la demande accrue pendant la crise du coronavirus.

Pour gonfler ses rangs, la firme de Jeff Bezos a fait un appel du pied aux milliers de personnes dont l’emploi a été victime des mesures de restriction déployées en Europe et aux États-Unis au cours de ces derniers jours. «Nous savons que de nombreuses personnes ont été économiquement touchées, car des emplois dans des domaines comme l’hôtellerie, la restauration et le tourisme sont supprimés ou suspendus dans le cadre de cette crise. Nous voulons que ces personnes sachent que nous les accueillons dans nos équipes jusqu’à ce que les choses redeviennent normales et que leur ancien employeur soit en mesure de les reprendre», explique l’entreprise américaine. Le groupe prévoit également de recruter des intérimaires en France pour faire face à l’afflux de commandes dans l’Hexagone.

Par ailleurs, Amazon a débloqué une enveloppe de 350 millions de dollars pour revaloriser le salaire de ses employés jusqu’à la fin avril en Amérique du Nord et en Europe. Ainsi, les salariés du groupe recevront environ 2 dollars supplémentaires par heure aux États-Unis, deux livres au Royaume-Uni et deux euros dans plusieurs pays européens, dont la France. Au-delà du besoin de ressources humaines pour répondre au bond des commandes en ligne, ces initiatives visent aussi à redorer le blason d’Amazon, régulièrement accusé de mettre en péril les petits commerçants. 

En novembre dernier, Mounir Mahjoubi, l’ancien secrétaire d’État au numérique, assurait qu’Amazon avait détruit 7 900 emplois en France en 2018. Dans le détail, le prédécesseur de Cédric O affirme que la plateforme américaine a généré 12 337 emplois créés pour 20 239 emplois perdus en 2018. Une allégation alors rejetée par la firme américaine, qui précise qu’elle a créé 1 500 emplois en CDI en 2017, 2 000 en 2018 et 1 800 en 2019, pour atteindre aujourd’hui les 9 300 salariés en CDI dans l’Hexagone. 

La colère gronde dans les entrepôts d’Amazon 

Malgré cette incitation financière, la firme américaine n’est pas à l’abris du coronavirus. En conséquence, l’e-commerçant a prévu le versement de deux semaines de salaire à ses employés contaminés par le coronavirus Covid-19 ou placés en quarantaine. En parallèle, un fonds de 25 millions de dollars, baptisé «Amazon Relief Fund», a été lancé pour soutenir financièrement divers acteurs de sa chaîne logistique (partenaires de livraison indépendants et leurs chauffeurs, participants d’Amazon Flex, employés saisonniers…) touchés par la crise actuelle, à raison d’une subvention comprise entre 400 et 5 000 dollars par personne.

Cependant, que ce soit en France ou aux États-Unis, ces mesures peinent à rassurer les employés d’Amazon dans ses entrepôts et ses centres de distribution. La plupart estiment que les consignes de sécurité données par Amazon ne sont pas suffisantes et impossibles à mettre en place. Dans ce contexte, plus de 1 500 employés du groupe ont signé une pétition pour appeler Amazon à prendre des mesures supplémentaires afin de garantir leur sécurité sur leur lieu de travail. Ils réclament notamment que les entrepôts soient fermés si un employé est testé positif au coronavirus et ne soient pas rouverts avant d’être désinfectés de fond en comble. Certains salariés craignent en effet que les entrepôts du géant américain ne deviennent des foyers de contagion du coronavirus. 

Et pour cause, ce sont des dizaines, voire des centaines de personnes, qui travaillent dans chaque entrepôt d’Amazon dans le monde, et dans lesquels les employés sont amenés à toucher des outils, des chariots ou d’autres objets touchés auparavant par d’autres collègues, suscitant ainsi des craintes de contamination à grande échelle. Si le coronavirus Covid-19 se transmet essentiellement par contact direct de personne à personne, il peut aussi infecter un humain avec un contact sur d’autres surfaces contaminées.

Des recherches récentes ont notamment démontré que le virus pouvait rester actif jusqu’à 24 heures sur du carton et jusqu’à trois jours sur du plastique ou de l’acier inoxydable, d’où l’importance des gestes barrières (se laver les mains, tousser dans son coude, saluer sans serrer la main ou faire la bise…) et de la distanciation sociale pour limiter la propagation du Covid-19. La situation actuelle ne va pas arranger les relations, déjà conflictuelles depuis de nombreuses années, entre l’entreprise américaine et ses employés dans les entrepôts. Ces derniers dénoncent de mauvaises conditions de travail, avec notamment des pauses insuffisantes et un règne écrasant de la productivité au détriment de leur bien-être.

Crédit : Shutterstock.

«L’attitude de la direction d’Amazon est criminelle»

La colère gronde non seulement aux États-Unis, mais aussi en Europe, où des cas de coronavirus ont été détectés dans des entrepôts d’Amazon en Espagne et en Italie, pays européen le plus touché par la pandémie. Inquiets pour leur santé, les salariés français commencent à se révolter sur plusieurs sites du groupe dans l’Hexagone. Droits de retrait et débrayages se multiplient pour alerter la direction du géant américain.

Ainsi, au moins 200 salariés sur les 4 000 que compte le site de Lauwin-Planque (Nord) ont fait valoir leur droit de retrait le 17 mars. Certains d’entre eux assurent en effet que des cas de coronavirus ont été détectés dans les locaux. Mais c’est le mercredi 18 mars que la contestation a été la plus grande avec des débrayages à Lauwin-Planque, Montélimar (Drôme) ou encore Saran (Loiret), où la directrice du site, Ana Fernandes, vient de démissionner. Un salarié du site de Saran a d’ailleurs été testé positif au Covid-19, engendrant le confinement à domicile de 32 personnes en contact direct avec lui.

Selon la CGT et la CFDT, environ 50% des salariés en CDI du centre de Montélimar ont fait valoir leur droit de travail ou débrayé le 18 mars. La médecine du travail avait d’ailleurs recommandé deux jours plus tôt l’arrêt de l’activité du site de Montélimar. Un avis qui n’a pas été suivi par la direction. Dans le même temps, le taux d’absentéisme atteignait également les 40% à Saran le 18 mars, selon Laurent Degousée, co-délégué de la fédération Sud Commerce. «Ce qui se passe, ce n’est pas juste une dinguerie. L’attitude de la direction d’Amazon est criminelle, c’est une irresponsabilité totale», estime-t-il.

Le syndicaliste s’indigne des conditions sanitaires dans lesquelles évoluent les employés d’Amazon dans les entrepôts. «Les gens ont des gants en tissu, de type bricolage contre les coupures, ils n’ont pas de masque, très peu de gel hydroalcoolique, il n’y a pas de pause supplémentaire. En plus, il y a une promiscuité importante, et comme vous pouvez vous déplacer à différents endroits de la chaîne, vous avez de fortes chances d’attraper ce virus», explique Laurent Degousée, pour qui les mesures d’Amazon sont loin d’être à la hauteur de la gravité de la situation actuelle. 

Dans ce contexte, le droit de retrait pourrait apparaître comme la meilleure solution pour se faire entendre auprès de la direction. Selon le Code du travail, un employé a la possibilité de se retirer d’une situation de travail s’il a «un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection». Bien que le coronavirus constitue une menace pour la santé des salariés, Amazon ne l’entend pas de cette oreille. «Le droit de retrait ? Le salarié ne sera pas payé. Ils diront que c’est une absence injustifiée», assure Laurent Degousée. 

La nouvelle est parvenue jusqu’aux oreilles du ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, qui a réagi à cette situation sur France Inter le 19 mars. «Ces pressions sont inacceptables et nous le ferons savoir à Amazon», a-t-il déclaré. Dans le même temps, une pétition lancée par un employé d’Amazon à Lauwin-Planque pour réclamer «l’arrêt du travail chez Amazon France» a déjà recueilli plus de 7 000 signatures.  

«Amazon n’est pas un service essentiel à la vie de la nation»

Contacté par la rédaction, Amazon indique : «La santé et la sécurité de nos employés, partenaires et clients dans le monde entier restent nos priorités absolues. Nous suivons strictement les recommandations et directives du gouvernement et des autorités sanitaires locales pour nous assurer que nous mettons en œuvre les bonnes mesures dans tous nos sites en France.» 

Dans l’ensemble de ses 23 sites dans l’Hexagone, le géant américain assure également avoir pris des dispositions pour que ses salariés puissent continuer de travailler dans un environnement sanitaire sécurisé, comme «renforcer le nettoyage de toutes les installations dans le monde entier, notamment en désinfectant régulièrement toutes les poignées de porte, les rampes d’escalier, les boutons d’ascenseur, les casiers et les écrans tactiles, modifier l’aménagement des lieux de travail, des salles de pause et des espaces de restauration en retirant les meubles ou en les espaçant pour que les salariés puissent maintenir la distance nécessaire et ainsi garantir un espace sain entre eux» ou encore «veiller à ce que des mesures de distance sociale soient appliquées, telles que des pauses échelonnées pour réduire le nombre de personnes se rassemblant dans les espaces de restauration». 

Autrement dit, Amazon estime que ses mesures sanitaires ne peuvent pas expliquer un droit de retrait. Une hérésie pour Laurent Degousée, qui estime que «la santé passe après l’argent» aux yeux du groupe américain. «Il y a une incurie aussi bien du côté de l’employeur que du côté du gouvernement. Nous sommes en guerre contre le virus, la direction d’Amazon et le gouvernement. Amazon n’est pas un service essentiel à la vie de la nation. Notre objectif, c’est la fermeture de l’ensemble des sites en France», indique-t-il. 

Une requête formulée dans une lettre envoyée à la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, dans laquelle l’Union syndicale Solidaires lui demande «d’ordonner la fermeture des sites pour des raisons économiques, sanitaires et sécuritaires». «Moins de 10% du volume des marchandises traitées relèvent de l’alimentaire et des produits d’hygiène et d’entretien, disponibles dans la grande distribution qui est en première ligne face à la crise, tout comme le personnel soignant», est-il notamment écrit dans cette lettre.

Pour Laurent Degousée, co-délégué de la fédération Sud Commerce, il y a urgence. «Si rien n’est fait, les cas de contagion vont inévitablement se développer dans les entrepôts. C’est une bombe sanitaire à l’intérieur de l’entreprise, mais aussi pour l’extérieur», explique le syndicaliste qui cite le cas de la Poste, qui a fermé ce week-end ses 7 700 dont elle dispose en France. Quid également de la livraison sans contact (le livreur laisse la commande devant la porte puis repart sans croiser le client, ndlr) ? «Il faut des mesures plus drastiques. Là, on vous apporte le coronavirus à domicile.»

En effet, il n’y a pas que le sort des employés d’Amazon dans les entrepôts qui interpelle. Il y a aussi celui des livreurs. L’un d’eux a d’ailleurs témoigné sur Twitter de la situation à laquelle il est actuellement confronté au quotidien. «Je n’ai pas le droit d’aller voir ma famille, mes amis. Par contre, je dois livrer 87 clients dans la journée, toucher 87 interphones, portes, interrupteurs. Macron nous a oublié», a-t-il écrit dans son message partagé plus de 10 000 fois sur le réseau social. 

Mondial Relay et Relais Colis en pause,
Leboncoin et Vinted impactés 

Et pendant qu’Amazon poursuit son activité presque normalement, d’autres acteurs du secteur ont revenu leur organisation face aux mesures de confinement décidées par le gouvernement en début de semaine. Ainsi, les deux principaux réseaux de livraison de colis, Mondial Relay et Relais Colis, ont décidé de fermer la totalité de leurs points de retrait jusqu’à nouvel ordre. Ensemble, les deux entreprises cumulent 13 700 points de retrait en France. La suspension de ces services a obligé des sites e-commerce comme Leboncoin, qui revendique 28 millions de visiteurs mensuels, et Vinted, qui revendique 10 millions d’utilisateurs en France, à stopper leurs activités. «Sur le site, nous proposons donc toujours le paiement en ligne, mais plus la livraison», précise Antoine Jouteau, directeur général du groupe Leboncoin.

Dans ce contexte, on peut donc légitimement s’interroger sur le maintien de l’activité d’Amazon en France dans les prochaines semaines. Le géant américain n’est cependant pas le seul à continuer d’assurer des livraisons dans l’Hexagone. C’est aussi le cas de Cdiscount  ou du groupe Fnac-Darty. Ce dernier indiquait d’ailleurs cette semaine que ses ventes en ligne avaient été multipliées par 2,5 sur Fnac.com et par 2 sur Darty.com dans la foulée de la première allocution d’Emmanuel Macron le jeudi 12 mars. A ce jour, Fnac-Darty réalise seulement 20% de son chiffre d’affaires en ligne, mais avec la fermeture de ses 700 magasins, la part du e-commerce devrait s’envoler cette année. Par ailleurs, les plateformes de livraison de repas comme Deliveroo et Uber Eats sont autorisées à poursuivre leurs activités, en privilégiant la livraison sans contact.

En 2019, les ventes en ligne se sont élevées à 103,4 milliards d’euros en France, soit une hausse de 11,6% par rapport à 2018, selon la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad). En dix ans, les ventes de produits et de services en ligne ont été multipliées par quatre dans l’Hexagone. Toutefois, «les ventes de produits ne représentent aujourd’hui encore que 10% en moyenne de l’ensemble du commerce de détail, contre 90% des ventes qui se font toujours en magasin», précise la Fevad. A l’issue de l’année 2020, au regard de la situation actuelle, le commerce en ligne devrait réaliser une percée bien plus significative.

Le cloud et le divertissement,
les autres batailles d’Amazon pendant l’épidémie 

Si Amazon peut sortir grand vainqueur de cette crise sans précédent, ce n’est pas seulement sur le terrain du commerce en ligne. Et pour cause, avec la croissance fulgurante de sa division cloud, Amazon Web Services (AWS), le mastodonte américain peut nourrir des ambitions bien plus élevées. Lancée en 2006, elle est devenue la vache à lait du groupe américain. Elle a généré 35 milliards de dollars de revenus en 2019, en hausse de 37%.

Cependant, les serveurs d’AWS sont soumis à une pression importante en ce moment, d’autant plus que Netflix fonctionne à partir de ces derniers. Avec le nombre croissant de personnes confinées en Europe et en Amérique du Nord, l’infrastructure cloud d’Amazon devrait être soumise à rude épreuve. Netflix, Amazon (Prime Video) ainsi que Google (YouTube) ont d’ailleurs annoncé la réduction des débits sur leurs plateformes de streaming pour soulager des réseaux Internet déjà très sollicités. Pour rappel, le streaming en France représente près de 50% du trafic en ligne, dont 23% pour Netflix.

Cependant, il n’est pas question pour le géant américain de laisser le champ libre à Netflix sur le marché du divertissement. Car l’offre Prime d’Amazon, qui compte plus de 150 millions d’abonnés dans le monde, ne propose pas seulement la livraison express. Elle comprend également l’accès aux services de musique en streaming et de vidéo à la demande d’Amazon. Pour le géant américain, la période actuelle est cruciale.

La crise du coronavirus valide-t-elle la vision de départ de Jeff Bezos ?

Et pour cause, elle est l’occasion pour Jeff Bezos de valider sa vision de départ. Dès les débuts d’Amazon, l’entrepreneur américain avait déjà l’ambition de développer un site permettant d’acheter en ligne tous les produits possibles et imaginables. Depuis deux décennies, Amazon a ainsi habitué ses clients à rester chez eux. Peu importe leur besoin, la firme américaine y répond rapidement en s’occupant de tout, que ce soit pour se faire livrer ses courses et des produits en tout genre, ou se divertir avec des plateformes de streaming pour écouter de la musique ou visionner des films et des séries. 

Au fil du temps, Amazon s’est imposé comme le réflexe aux besoins à domicile de millions de consommateurs à travers le monde, Américains en tête. Alors que les enseignes retail cherchent inlassablement à attirer des clients dans leurs magasins, le géant américain a inversé l’équation, en créant des «consommateurs à domicile». D’une certaine manière, Amazon a inventé «l’économie de confinement» avant l’heure. 

Jeff Bezos, le PDG d’Amazon. Crédit : Amazon.

Si la concrétisation de cette vision de départ ne s’est pas faite sans heurts, Jeff Bezos étant régulièrement accusé de ne pas beaucoup se soucier des milliers de petits commerçants qui ont mis la clé sous la porte par sa faute, ni même de ses employés dans les entrepôts qui contribuent pourtant à la réussite de sa plateforme, elle trouve aujourd’hui un écho particulier dans la crise actuelle. Cette dernière représente une aubaine pour Amazon afin de se renforcer sur le dernier kilomètre – segment le plus coûteux puisqu’il représente 25 à 30% du coût de livraison total – et de gagner des clients supplémentaire, potentiellement durables. Car dans cette pandémie, les nouveaux usages se multiplient et pourraient perdurer. Ainsi, le télétravail et la livraison à domicile connaissent un envol spectaculaire et vont s’imposer après le confinement.

Cependant, malgré la puissance hors normes d’Amazon, Jeff Bezos se retrouve face à une équation complexe dans cette crise. Peut-il ignorer la dimension sociale de la mission qui incombe désormais à Amazon ? Et pour cause, la firme américaine poursuit notamment ses activités en France et en Italie, où seuls les acteurs essentiels à l’activité économique de ces deux pays sont autorisés à travailler. Cette dimension sociale se retrouve aussi bien dans les entrepôts du groupe, où la situation est actuellement tendue, que dans les maisons des personnes vulnérables, qui ont besoin de se faire livrer des fruits, des légumes et d’autres produits de première nécessité.

En décidant de donner la priorité à ces derniers, Amazon a apporté un premier élément de réponse. Toutefois, le groupe américain n’est pas à l’abri d’une pénurie alimentaire qui pourrait mettre à mal sa position dans cette crise. Dans ce contexte, quel rôle va jouer Amazon dans les prochaines semaines face à l’explosion des commandes ? L’écosystème développé par le géant américain devrait lui permettre de se rendre indispensable auprès des milliards de personnes confinées dans le monde entier. Mais encore faut-il mobiliser les moyens nécessaires pour faire face à cette situation inédite… En recrutant 100 000 personnes aux États-Unis, la firme de Jeff Bezos semble prête à consentir «un effort de guerre». Pour Amazon, il y aura forcément un avant et un après-coronavirus.

Lire aussi : eCommerce : en France, avalanche de commandes et tensions dans les entrepôts

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