La crise bancaire consacre les actions technologiques comme improbable valeur refuge
Par Thomas URBAIN / AFP
Longtemps vues comme risquées et trop chères, les actions du secteur technologique ont brillé depuis le début de la crise bancaire, au point d’être désormais considérées comme une valeur refuge pour les investisseurs.
Meta, Alphabet et Microsoft ont tous gagné plus de 10% à Wall Street depuis les prémices de la tempête qui a balayé le secteur bancaire américain, début mars, alors que, dans le même temps, l’indice Dow Jones lâchait plus de 2%.
« Les investisseurs voient ces grandes capitalisations technologiques comme une destination sûre en ce moment », observe Angelo Zino, de CFRA Research.
Le label tranche avec l’image longtemps véhiculée par la tech depuis l’explosion de la bulle internet, en 2000, celle d’un secteur souvent surévalué, aux perspectives financières très incertaines, propice aux mauvaises surprises.
« Beaucoup crient +au feu+ » depuis des mois « à propos du secteur technologique, mais le Nasdaq est en hausse d’environ 13% cette année », souligne Dan Ives, de Wedbush Securities, dans une note. « Nombre d’investisseurs qui pariaient à la baisse cherchent à comprendre. »
« Une part importante des plus grandes entreprises du monde viennent de la tech », rappelle Scott Kessler, de Third Bridge, leurs capitalisations massives les protégeant partiellement de la volatilité ambiante. « Et elles ont une flexibilité financière et des réserves de cash énormes », ce qui leur donne une assise considérable en période agitée sur les marchés.
En outre, à la différence du tournant des années 2000, le monde numérique est désormais ancré dans nos vies.
« Les gens ne vont pas se passer de Windows ou d’AWS (la filiale d’Amazon dédiée au cloud) d’un seul coup, ou arrêter de faire des recherches sur internet », fait valoir l’analyste. Désormais, les services qu’offrent les mastodontes du net et de l’informatique « sont vus comme fondamentaux et nécessaires ».
– « Un énorme nuage » –
A ces éléments structurels, s’ajoutent des facteurs conjoncturels qui ont offert aux actions de la nouvelle économie un alignement des astres inattendu.
Parmi les acteurs qui ont convergé vers ces valeurs, selon Dan Ives, un nombre important ont choisi de déserter le secteur financier, « ne sachant pas quelle banque était en crise ou quelle nouvelle allait tomber un dimanche soir » sur des mesures d’urgence.
Les Etats-Unis restent, en effet, fragilisés par la chute de trois banques en quelques jours, ce qui a érodé la confiance des marchés dans le système financier, même si la panique a été contenue.
Ceux qui ont fait le déplacement ont trouvé des valorisations attractives, dues à la brutale correction qui a marqué la tech en 2022, provoquée par la sortie de la pandémie de coronavirus et un cycle de resserrement monétaire à marche forcée.
Par ailleurs, depuis la fin de l’année dernière, « les investisseurs ont droit à ce qu’ils attendent (de la part des géants technologiques), c’est-à-dire des plans d’économies », souligne Angelo Zino.
Amazon a encore annoncé, cette semaine, 9.000 suppressions de postes, qui s’ajoutent aux 18.000 lancées en janvier. Quelques jours plus tôt, Meta avait frappé beaucoup plus fort encore, en portant à 24% la réduction de ses effectifs depuis novembre.
« Le sentiment général vis-à-vis de ces grands noms a changé, du fait de l’accent qu’ils ont mis sur l’efficience » et la rationalisation de leurs coûts, juge Scott Kessler, un paramètre qui n’apparaissait pas, jusqu’ici, comme un impératif du fait de leur croissance irrésistible.
Dernière carte dans le jeu des valeurs technologiques, la décélération de la banque centrale américaine (Fed), dont le message prudent, mercredi, a poussé les opérateurs à tabler sur un arrêt immédiat du resserrement monétaire et une série de baisses de taux d’ici la fin de l’année.
Le scénario serait idéal pour ceux qu’on appelait naguère les « Gafam », avant que Facebook ne devienne Meta et que Google ne soit chapeauté par Alphabet, car ces groupes, comme tout le secteur technologique, dépendent des conditions de crédit pour financer leur développement rapide.
« Les hausses de taux ont l’air terminées, ce qui dissipe un énorme nuage au-dessus de l’industrie », confirme Dan Ives.
Toutes les valeurs du milieu n’ont pas les mêmes perspectives, prévient néanmoins Angelo Zino, pour qui « certaines capitalisations plus modestes vont avoir plus de mal à digérer le durcissement de l’accès au crédit » lié aux turbulences qui traversent le système bancaire. La crise a démarré avec la faillite de Silicon Valley Bank (SVB), grand argentier des start-up technologiques.
Pour ces sociétés moins établies, dit-il, « il va falloir être plus sélectif ».