
7 entretiens pour un recrutement: mythe de l’exigence ou signe d’indécision stratégique ?
Dans un marché où les talents hautement qualifiés se font rares, certaines entreprises continuent d’imposer aux candidats un parcours de recrutement à rallonge, comme un rituel d’initiation censé prouver leur valeur. Mais derrière cette succession d’entretiens, se cache-t-il un véritable processus d’évaluation ou un aveu d’incertitude managériale ?
Huit heures cumulées, sept étapes distinctes, six interlocuteurs différents : ce process de recrutement pourrait passer pour l’exception d’un cabinet scrupuleux. Il est pourtant devenu la norme dans certaines entreprises, notamment dans les fonctions marketing ou direction générale. Dans ce cas précis, un candidat doit successivement affronter : un screening de 45 minutes, un entretien approfondi avec un cabinet de recrutement, deux entretiens stratégiques avec les têtes dirigeantes (Managing Director puis Président), un passage devant le board, une séance avec l’équipe opérationnelle, et un « Grand Oral » final. Total : sept étapes, sans compter les allers-retours d’agenda et les validations silencieuses.
Le culte de la validation croisée
Ce type de process reflète moins une exigence d’excellence qu’un besoin systématique de validation collective, souvent disproportionné par rapport à l’enjeu réel du poste. « C’est une mécanique de précaution déguisée. À force de vouloir éviter une erreur de casting, on finit par perdre les meilleurs profils en cours de route », observe Jacques Froissant, Fondateur d’Altaide
Les justifications classiques — « nous devons impliquer tout le monde », « c’est un poste stratégique », « la culture est essentielle » — masquent souvent une réalité plus brute : l’entreprise n’a pas tranché sur le profil recherché ou elle manque de leadership clair dans le processus de sélection.
L’effet boomerang : perte d’attractivité
Ces process à rallonge génèrent un effet pervers : les meilleurs candidats se retirent en silence. Selon une étude 2023 de Greenhouse, 52 % des talents interrogés estiment qu’un process de plus de 4 étapes est un signal négatif sur la culture d’entreprise. Et 1 candidat sur 3 admet avoir abandonné un process à cause de sa longueur ou de sa complexité.
« Les top profils n’ont pas le temps. Ils sélectionnent les entreprises qui les sélectionnent vite ». Autrement dit, un process trop long n’est pas un gage de qualité : c’est un indicateur d’inefficacité organisationnelle.
L’illusion du “Grand Oral”
La dernière étape du processus — le très formel « Grand Oral » — cristallise toutes les ambiguïtés. Mal défini, souvent improvisé, ce rituel consiste à soumettre le candidat à une ultime épreuve devant un aréopage de dirigeants. Mais ce que l’on évalue n’est plus les compétences, mais la capacité à performer sous pression dans un format artificiel. Résultat : des biais de perception, des décisions émotionnelles, et parfois, le rejet de profils atypiques mais hautement performants.
Et si le problème était en interne ?
Un processus aussi segmenté pose une autre question : pourquoi l’entreprise ne parvient-elle pas à décider plus tôt ? Cela traduit souvent un manque de cadrage initial, ou une gouvernance trop diluée. Chaque niveau hiérarchique cherche à valider, voire à “se couvrir”, sans que personne n’ose endosser pleinement la responsabilité du choix.
« Le bon process, c’est celui qui identifie rapidement les signaux faibles et prend une décision en conscience. Pas celui qui multiplie les filtres jusqu’à l’épuisement »
Raccourcir ne veut pas dire bâcler
Faut-il pour autant sacrifier la rigueur sur l’autel de la rapidité ? Non. Mais un process efficace repose sur trois fondamentaux :
-
- une fiche de poste claire et validée dès le départ,
- des entretiens structurés et complémentaires,
- une prise de décision assumée, sans chercher la validation unanime.
L’idéal ? Trois à cinq étapes, incluant un échange RH, une discussion métier, une mise en situation concrète (cas ou présentation), et un entretien de fit culturel. Tout le reste relève plus du théâtre managérial que d’une réelle évaluation de potentiel.
Un excès d’entretien signe une pauvreté de décision
À force de vouloir “impliquer tout le monde” et de “ne pas se tromper”, certaines entreprises finissent par faire fuir les profils qu’elles visaient. Dans un monde où la rareté des talents qualifiés est un enjeu stratégique, il est temps de cesser de confondre exigence et paralysie. Le courage managérial, c’est aussi savoir décider vite — et bien.