
Comment Meta structure son influence à Bruxelles, anatomie d’un lobbying à 10 millions d’euros
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La rédaction de FRENCHWEB.FR a enquêté cet été sur les activités de lobbying des géants américains de la tech auprès des institutions européennes. Nous ouvrons cette série spéciale de pré-rentrée avec un premier épisode consacré à l’un des acteurs les plus influents : Meta.
Ainsi avec plus de 10 millions d’euros dépensés en lobbying sur la seule année 2024, Meta Platforms Ireland s’impose comme l’un des acteurs les plus influents de l’écosystème réglementaire européen. Enregistrée depuis 2012 au registre de transparence de l’UE, la filiale européenne du groupe californien dispose aujourd’hui d’un dispositif structuré, multicanal, visant à peser sur tous les textes stratégiques liés à l’économie numérique.
Un lobbying de structure industrielle
Ainsi Meta déclare auprès de la Communauté Européenne, 13,8 équivalents temps plein affectés à ses activités de représentation d’intérêts, répartis sur une trentaine de collaborateurs. À ce noyau interne s’ajoute une batterie de 19 cabinets et intermédiaires externes, parmi lesquels Fourtold Belgium, EU Strategy, Milltown Partners, Shearwater, ou encore Oxera Consulting. Selon les mandats, ces prestataires sont rémunérés entre 25 000 € et 300 000 € par an.
Le lobbying de Meta ne repose pas seulement sur des actions directes. Le groupe est également membre de plus de 80 organisations et think tanks européens, parmi lesquels BusinessEurope, Bruegel, CEPS, CERRE, IAB Europe, ou encore AI4People. Cette présence dans les cercles d’influence permet à Meta de participer activement à l’orientation précoce des débats réglementaires.
Priorités réglementaires, un périmètre tentaculaire
Meta intervient sur un nombre exceptionnellement large de textes européens, couvrant à la fois la régulation des plateformes, les technologies émergentes, la protection des données, la fiscalité, la cybersécurité et les contenus.
Parmi les dossiers identifiés comme prioritaires figurent :
- AI Act, Digital Markets Act (DMA), Digital Services Act (DSA)
- Directive ePrivacy, GDPR enforcement, Data Governance Act
- Directive sur les publicités politiques, European Media Freedom Act (EMFA)
- Cyber Resilience Act, NIS2, règlement sur les produits durables
- Code de conduite contre la haine en ligne, protection des mineurs
- Directive sur la fiscalité des groupes multinationaux
À cela s’ajoutent les consultations préparatoires sur des sujets émergents : Web 4.0, identité numérique européenne, gouvernance des données d’entraînement pour l’IA générative, ou encore les relations transatlantiques en matière de flux de données.
262 réunions avec la Commission
Entre 2014 et 2025, Meta a participé à plus de 260 réunions de haut niveau avec la Commission européenne, incluant des commissaires, directeurs généraux, ou membres de cabinets. L’année 2024 / 2025 est particulièrement dense, avec une forte concentration des échanges sur les enjeux d’intelligence artificielle, de désinformation, de modération algorithmique, et de publicité politique.
Plusieurs rendez-vous ont concerné directement le cabinet de la Vice-Présidente Věra Jourová, en charge des valeurs et de la transparence, ainsi que ceux de Thierry Breton, Margrethe Vestager, Didier Reynders, ou plus récemment Henna Virkkunen. Des rencontres avec des commissaires aux États-Unis (San Francisco, Davos) montrent également une volonté d’influencer au-delà des frontières européennes.
Une stratégie transversale, transatlantique et anticipatrice
Meta mène un lobbying pré-législatif, intervenant très tôt dans la chaîne de production normative européenne. Ainsi le groupe participe à des groupes d’experts informels, répond aux consultations publiques, et co-construit des codes de conduite sectoriels. Il se positionne souvent comme un interlocuteur structurant aux côtés d’autres géants technologiques (Google, Microsoft, Amazon, TikTok), dans une logique de coopétition régulée.
Sur les thématiques transverses comme l’IA, la publicité politique ou les modèles open source, Meta n’agit pas seul. Les échanges impliquent régulièrement une quinzaine d’acteurs majeurs du numérique mondial. En parallèle, Meta déploie également ses arguments dans des forums spécialisés, publications d’experts, et événements institutionnels.
Une influence qui interroge les équilibres européens
La puissance d’influence de Meta à Bruxelles pose une question centrale sur la capacité des institutions européennes à garantir une régulation indépendante dans un secteur dominé par quelques grandes entreprises non-européennes. Alors même que l’Union multiplie les initiatives de souveraineté numérique, l’asymétrie des moyens entre acteurs publics et industriels reste très marquée.
Face à cette réalité, certains parlementaires appellent à un renforcement de la transparence, et à une évaluation plus stricte des conflits d’intérêts. La limitation de l’accès des GAFAM aux processus de co-régulation est clé pour préserver la souveraineté européenne. Mais dans l’état actuel des choses, Meta reste un acteur structurel puissant du processus normatif numérique en Europe.