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Chez Air Liquide le digital transforme le cœur de métier et l’expérience employé

Par Bertrand Duperrin, expert FrenchWeb

J’ai eu l’occasion de passer un long moment avec Olivier Delabroy, VP Digital Transformation chez Air Liquide.

Bertrand Duperrin, expert FrenchWeb: Tout le monde connait Air Liquide de nom mais finalement votre activité reste largement inconnue du grand public. Alors pour commencer, que fait Air Liquide? Que produisez vous?

Olivier Delabroy, VP Digital Transformation chez Air Liquide: Notre produit c’est un nombre limité de petites molécules qui rendent concrète la vie, la matière, l’énergie. Nous sommes dans toutes les chaînes industrielles. Dans l’agro-alimentaire, nous sommes dans le sachet de salade pour lui conserver sa fraîcheur, dans les bulles de coca, dans l’automobile dans les traitements de surface en auto la fabrication de l’acier, nous sommes dans les puces dans les téléphones, dans la santé.

Aujourd’hui Air Liquide réalise un chiffre d’affaires de 20 milliards d’euros pour 68 000 collaborateurs. Nous avons 3 millions de clients et patients.

Notre avons la double particularité d’être à peu près présents dans tous les secteurs d’activité de par nos produits et de toujours être au milieu de la chaîne de valeur. C’est passionnant d’être toujours au milieu car nous sommes aux premières loges de toutes les transformations. Mais cela nous oblige à une grande vigilance car cela va avec le risque de se faire «disrupter».

Et votre parcours personnel?

Je suis un pur produit d’Air Liquide. Je suis ingénieur, j’ai fait une thèse sur la combustion et j’ai été le patron de la R&D avant de prendre en charge le digital.

Vous avez donc un ancrage très métier. Justement que signifie la transformation digitale pour Air Liquide?

Qu’on parle de transformation énergétique, de la santé ou digitale c’est d’abord la transformation de nos clients donc nous n’avons pas le choix.

Une dimension essentielle de la transformation pour embarquer les collaborateurs est le sens et vu nos métiers notre transformation est porteuse de sens pour tout le monde.

Comment tout cela a commencé?

Quand j’étais patron de la R&D, nous étions très efficients et technos, nous pratiquions une R&D incrémentale. J’ai eu l’intuition qu’on allait rater quelque chose car il manquait la capacité à comprendre les usages des clients.

J’ai donc créé i-lab, une structure interne pour explorer de nouveaux territoires et on y a fait travailler des profils divers comme des anthropologues, des historiens. On a compris que pour innover et créer de la valeur il fallait partir des usages, pas de la technologie. Cela peut sembler évident mais pour une entreprise comme la notre c’était une révolution.

«Pour se transformer il faut le mandat du management et de l’autonomie»

Justement, avoir cette prise de conscience est une chose mais dans beaucoup d’entreprises, nous en restons au stade des déclarations d’intention…

Une autre chose que nous avons comprise c’est que pour réussir ce virage dans une grande entreprise il fallait deux choses: le mandat du management et l’autonomie.

Nous avions un mandat explicite du CEO et nous étions en quelque sorte protégés dans notre bulle. Plutôt que se faire disrupter par l’extérieur, par des concurrents, nous avons mis en œuvre une disruption bienveillante qui venait de l’intérieur.

Voici un exemple. Nous avons décidé d’investir sur les sujets liés à la qualité de l’air. La démarche a été la suivante. S’agit il d’un enjeu sociétal? Oui. Est-on légitimes? Bien sûr, car nous travaillons dans la santé et également sur la réduction de la pollution. Etait-on présents sur ce secteur, y faisait-on du business? Non. Nous avons donc décidé d’y aller. Et nous sommes partis de l’usage en faisant de l’ethnologie sur les gens sensibles à la pollution.

Mais à être dans une bulle sécurisée, n’y a-t-il pas un risque de ne pas réussir à impacter le business?

Justement, au bout d’un certain temps je suis retourné vers ma direction en disant qu’il fallait créer un un poste de transformation digitale afin de retourner vers le business.

Transformation digitale? Mais il n’y a pas grand chose de digital dans les sujets dont nous venons de parler…

Mais tout au contraire. Il y a des données et de l’expérience partout! Et aujourd’hui au travers de tout cela je revendique de transformer le cœur de métier.

L’idée est de redéfinir la promesse faite aux clients et aux employés en s’appuyant sur ce qu’on désigne avec l’acronyme ACE: Assets, Customers, Ecosystems.

Assets: 400 usines, 6000 citernes, 150 000 objets connectés dans la santé en france… Nous avons une quantité incroyable d’actifs sur lesquels faire levier pour rendre la supply chain plus efficiente. Par exemple, nous avons lancé un projet que l’on a appelé «Connect» et qui concerne le pilotage et le monitoring de nos usines depuis un seul endroit. Nous nous appuyons sur un historique de 15 ans de données pour proposer les réglages les plus optimaux aux opérateurs dans les usines. Et tout cela avec un gros effort sur l’interface opérateur car c’est un service que nous mettons à sa disposition, cela doit être simple à utiliser pour lui.

«Les piliers de la transformation digitale : Assets, Customers et Ecosystems»

 

Nous avons aussi travaillé sur la maintenance prédictive et la capacité à anticiper les défaillances des machines. En 8 mois cela nous a déjà permis de faire des économies très substantielles.

Customers: bien sûr nous allons continuer de se battre sur les prix et la technologie mais le nouveau champ de bataille est l’expérience client pour gagner et fidéliser les clients. Là, nous avons bénéficié d’un super accélérateur avec le rachat de Airgas.com aux USA. Ils ont déjà une culture exemplaire en la matière et en plus un site B2B qui fonctionne depuis quelques années. Il sont dans une logique violemment multicanal: téléphone, magasin ou online c’est le client qui décide de son canal. En ligne, nous peuvons passer commande, faire du selfcare… le tout avec une expérience totalement personnalisée en fonction du profil de client. Boeing et une petite PME auront deux expériences différentes qui sont totalement raccord avec leurs besoins et contraintes.

Enfin, Ecosystems d’abord en interne. La vision c’est d’apporter à chacun, du grand chef à l’opérateur la bonne information au bon moment. L’information on l’a, la trouver et la donner c’est autre chose. Il faut la trouver, la libérer, casser les silos. On a aussi favorisé le partage de savoir et de savoir-faire en P2P entre opérateurs avec une plateforme de partage de vidéos réalisée avec Speach Me. Ils filment leurs trucs, best practices, la manière dont ils peuvent paramétrer, utiliser ou réparer le matériel et le partagent directement avec leurs pairs.

On a aussi créé une «FAB» (équipe d’élite pluridisciplinaire) sur «New ways of working». Mais on ne part de zéro: nous avons déployé la suite Google il y a 2 ans et il y a beaucoup de traction sur ces nouvelles manières de travailler: je fais mes notes sur Google Doc, les partage avec le Comex, on annote en live. Tout cela est aussi beaucoup aidé par une vraie culture d’organisation en réseau qui explique la grande vitesse d’adoption.

Et puis les écosystèmes externes. L’idée est de faire levier sur des startups pour aller chercher la transformation du business à la marge. L’approche traditionnelle linéaire de la supply chain n’est plus possible, il faut basculer dans un monde distribué. Et en plus on est au milieu de ce monde!

De mon point de vue la transformation digitale, notamment interne, est avant tout un processus de simplification. C’est aussi une direction dans laquelle vous avancez?

Il y a quelques mois, nous avons déployé un programme «voix du client». Maintenant, nous rendons cela visible et nous le mettons dans les mains des collègues et des managers. Si nous ne réagissons pas pour simplifier, nous créons un fossé entre le collaborateur qui a le client en face et le manager qui ne change rien.

Mettre des outils digitaux en place cela ne fonctionne jamais si cela ne s’accompagne pas d’un projet de changement sur les opérations. Si je reviens au projet Connect, par exemple, nous avons beaucoup travaillé sur l’évolution des jobs, simplifié les programmes de maintenance, observé les irritants. Nous avons vu des trucs tout bêtes, facile à changer.

Sur le multicanal, quand nous donnons au client accès à tout sans avoir à appeler le back-office, il faut expliquer au back office qu’on lui enlève des tâche fastidieuses pour leur permettre de faire des tâches à valeur ajoutée.

«Nouz ne peuvons pas nous permettre d’avoir un fossé entre le collaborateur en face du client et le manager qui ne change rien»

Donc beaucoup d’attention portée au chainon humain dans la transformation…

Mais l’humain est un actif clé, il faut le remettre au cœur du dispositif. Nous avons une chance énorme, nous avons par exemple des infirmières qui vont chez les personnes! C’est un levier fantastique pour faire des choses.

Nous avons rencontré Jeff Immelt (NDLR: Qui vient de quitter la présidence de GE) et il nous a dit «The guys from the valley, they have no respect for assets and people». Nous, entreprises anciennes et historiques nous pensons au contraire que nous avons une responsabilité dans ce sens et que cela peut nous permettre de faire la différence.

Les leaders de demain mettront l’humain au cœur de la gouvernance à tous les étages. Les investissements seront conditionnés à l’adoption d’un MPV (Minimum viable product) à la fois par les clients et les collaborateurs.

«Les entreprises historiques ont une responsabilité par rapport aux gens et c’est une opportunité»

Et quels sont les choses auxquelles il faut être vigilant quand on conduit ce type de programme?

Le digital échoue en général pour trois raisons:

  • pas de transformation pour accompagner.
  • pas d’intimité entre digital et IT, et ça paralyse beaucoup de grandes entreprises.
  • pas d’intimité entre digital et métiers, opérations.

 

Je parlais des FAB tout à l’heure. Ce sont de petites équipes de 10 personnes qui travaillent sur un projet de transformation donné (expérience client sur un métier, opérations dans une usine…): il y a des personnes du business et des opérations, du marketing, de l’IT, des compétences digitales (designers, data scientists). Ce sont des équipes agiles qui ont parfois une équipe miroir sur nos sites de Houston et Singapour. Cela permet de ne laisser personne de côté, d’impliquer, et d’être très pragmatiques.

Nous avons souvent mentionné le fait que vous êtes au milieu de vos chaînes de valeur. La plupart des entreprises dans cette situation essaient de reparler en direct au client final ne serait-ce que pour ne pas se retrouver privées de données précieuses et ne pas voir la totalité de son expérience entre les mains d’intermédiaires…

Il y a une chose qu’on doit apprendre des GAFAs: ils ne managent pas des technos ou des produis mais des clients. Si on ne manage pas nos clients et les clients de nos clients d’autres vont le faire. On est en train de préparer ça. Dans les esprits il faut aussi opérer un changement entre ownership du client et management du client.

Et si on se revoit dans 3 ans, qu’est-ce que vous aimeriez me raconter?

Si je suis encore là dans trois ans c’est que j’aurai réussi. Je serai donc encore dans l’entreprise mais plus au même poste qui n’aura plus de raison d’être. Mais je serai toujours autour du digital.

Dans trois ans j’aimerai dire qu’on a redéfini les chaînes de valeur au delà du pur métier et qu’au niveau collaborateur nous avons un satisfaction score de fou.

Merci à Olivier Delabroy pour le temps consacré à cette rencontre.

L’expert:

bertrand-duperrinBertrand Duperrin est Digital Transformation Practice Leader chez Emakina. Il a été précédemment directeur conseil chez Nextmodernity, un cabinet dans le domaine de la transformation des entreprises et du management au travers du social business et de l’utilisation des technologies sociales.

Il traite régulièrement de l’actualité social media sur son blog.

 

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