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Communication interne : la bataille des 5 minutes de temps libre

Par Jean-Louis Benard, expert FrenchWeb

Jamais l’être humain n’a disposé d’autant de moyens de communication et d’accès à l’information. Paradoxalement, les collaborateurs sont de moins en moins informés sur leur entreprise, en dépit de la débauche de moyens engagés. Avoir des collaborateurs bien informés, c’est pourtant la base pour avoir des collaborateurs engagés, qui s’investissent parce que leur travail s’inscrit dans un tout qu’ils comprennent et qui fait sens. Les causes sont assez simples, les solutions un peu moins, mais il en existe.

Les gens ne sont pas payés pour s’informer sur leur entreprise

C’est bien entendu provocateur, mais pourtant une réalité. Dans l’inconscient du collaborateur, mais aussi de son manager, s’informer ne fait pas partie des priorités. Avoir des collaborateurs bien informés est essentiel pour l’entreprise, compris par tous, mais dès lors qu’il faut projeter cela sur du mesurable, du retour sur investissement clair, au niveau d’une business unit, d’une équipe, d’un individu c’est plus difficile, et forcément mis en priorité basse. Plus on descend au niveau de l’individu et moins la valeur d’être informé est palpable. Pourtant les chiffres sont sans équivoque ; la performance passe par des collaborateurs bien informés: 85% des collaborateurs disent qu’ils sont plus motivés lorsqu’ils reçoivent régulièrement des nouvelles de leur entreprise (JobsInMe) ; les entreprises qui communiquent correctement auprès de leurs collaborateurs dégagent 47% plus de valeur pour leurs actionnaires (Communication ROI Study Report) et ont 3,5 fois plus de chances de faire mieux que leurs compétiteurs (Towers Watson). Bref, j’arrête là avec les statistiques.

Une lutte darwinienne pour les 5 minutes de temps libre

Parce que s’informer n’est pas une priorité, il va donc falloir se contenter des «5 minutes de temps libre» du collaborateur. Dans les transports, à la pause cigarette, dans les toilettes. Et oui, ce n’est pas très glamour, mais c’est pourtant la réalité. C’est peut-être aux toilettes que vous avez une chance d’informer vos collaborateurs. Le problème pour les entreprises aujourd’hui, c’est qu’il y a du monde sur ces cinq minutes de temps libre. Facebook, Instagram, Youtube, Snapchat, les SMS… Une lutte darwinienne pour être présent pendant les 5 minutes de temps libre. Or dans cette bataille, l’entreprise aligne souvent sur la grille de départ un mammouth à côté des voitures de course de ses compétiteurs. Une bataille perdue d’avance…

Newsletters, Intranets, réseaux sociaux d’entreprise… les bonnes armes pour la bataille ?

Cela n’empêche naturellement pas les entreprises de s’évertuer à trouver la solution miracle. Combien de milliards gaspillés dans les intranets? Selon Prescient Digital Media, seuls 13% des collaborateurs visitent régulièrement l’intranet de leur entreprise, probablement pour aller sur des applications critiques dont le lien est accessible depuis ce point central. 31% n’y vont jamais.
Les newsletters ne sont pas une mauvaise idée en soi, mais leur réalisation est tellement douloureuse que la communication se résume à une newsletter mensuelle, non personnalisée, censée informer toutes les catégories de collaborateurs. Un e-mail perdu dans des milliers. Un caillou jeté dans la mer et dont on espère qu’il fera des vagues visibles. Et naturellement pas adapté au mobile.
Les réseaux sociaux d’entreprise sont eux aussi une bonne idée. Pourtant ma conviction c’est que leur terrain naturel est celui de la collaboration davantage que de la communication. Les réseaux sociaux d’entreprise, qu’ils soient conversationnels (comme Slack) ou plutôt murs d’actualité (comme Yammer), répondent à des besoins de dialogue et de travail collaboratif autour de projets, d’initiatives, de communautés spécifiques. Leur caractère «bottom-up» qui est leur force est aussi leur talon d’Achille dans la communication interne. Toute l’information est au même niveau, l’annonce de la fusion de l’entreprise comme l’annonce du prochain pot de l’équipe marketing pour fêter la victoire au foot. Or l’entreprise a aussi besoin de s’assurer que l’information «clé» est vue.
Enfin et surtout, que ce soit intranet, newsletters ou réseaux sociaux d’entreprise, tous ces outils souffrent souvent d’une faiblesse sur le mobile, et peinent à gagner la bataille des 5 minutes de temps libre.

Les collaborateurs déconnectés on en parle ?

Le drame de cette histoire, c’est que tous ces efforts sont déployés en priorité pour des gens assis devant leur PC, souvent au siège ou dans des centres décisionnaires. Ce n’est pas inutile naturellement, mais on ne peut pas dire que ce soit les moins informés. Et si on parlait des collaborateurs sur le terrain, sur les chantiers, dans les usines, dans les magasins ? Bref, le gros des troupes ? La plupart n’ont pas de mobile professionnel ni même d’adresse email professionnelle. Et si on s’intéressait un peu à eux ? Ils n’ont pas le droit d’être informés ? On leur demande en permanence d’être engagé mais on se réfugie derrière l’impossibilité technique pour leur dire de se connecter à la page facebook de l’entreprise (comme les clients) pour savoir ce qui se passe…

Et d’ailleurs un collaborateur bien informé ça veut dire quoi ?

On parle d’informer ses collaborateurs, mais naturellement aucune chance de gagner la bataille des 5 minutes de temps libre en descendant bien sagement de l’actualité corporate du groupe. Le même «Soleil Vert» pour tout le monde, vous y croyez ?
Informer ses collaborateurs, c’est créer un bon mix contenu: certes un peu d’information top down, mais aussi de l’information créée par les collaborateurs et qui a de la valeur pour les autres – un bon moyen d’engager en montrant qu’ils sont part entière de la communication d’entreprise. Du contenu fun sur la vie dans l’entreprise. Pas (que) les événements mondains au siège mais les moments de vie formidables dans les magasins, dans les usines. Enfin et surtout de l’information extérieure, liée à leur écosystème, à ce que fait la concurrence (ils la regardent de toute manière), et pourquoi pas l’information sur ce qui se passe dans le monde.
Mais, car il y a un mais bien entendu, surtout de l’information qui soit adaptée à chaque segment de collaborateur. Les besoins et les envies d’un collaborateur au siège dans le marketing n’ont rien à voir avec les attentes d’un collaborateur en usine. On déploie des trésors d’intelligence pour cibler le client, le consommateur, essayons de faire le minimum pour le collaborateur.

Les collaborateurs ambassadeurs passent par des collaborateurs bien informés

Lorsqu’il y a bientôt cinq ans nous avons démarré Sociabble pour aider les entreprises à faire de leurs collaborateurs des ambassadeurs, nous étions loin de nous rendre compte que l’arbre de l’Employee Advocacy cachait la forêt de la Communication Interne. Et pas qu’en France. Aux Etats-Unis, le pays de l’information, en Europe, en Asie Pacifique, nous avons découvert une réalité qu’on tente souvent de cacher au CEO. Partout, la bataille de l’information du collaborateur était perdue. Comment engager des gens à communiquer sur les réseaux sociaux alors qu’ils ne savent même pas ce qu’il se passe dans l’entreprise ? Depuis deux ans nous avons, comme d’autres acteurs de l’Employee Advocacy, décider d’attaquer le sujet à bras le corps. Des ambassadeurs sont d’abord des collaborateurs bien informés, c’est notre conviction.

Facile de critiquer… c’est quoi le bon cocktail ?

Pas simple ! Pour moi le premier ingrédient du cocktail, c’est de l’énergie et de la volonté. La plupart des entreprises ne partent pas de zéro, elles partent avec un solde négatif. Les 5 minutes de temps libres sont déjà bien verrouillées par d’autres applications mobiles. Les collaborateurs ont leurs habitudes. Il faut de la patience, des efforts, le soutien indéfectible du top management qui doit accepter que les premières mesures de la performance ne vont pas être bonnes. Personne ne vous attend pour occuper son cerveau quelques minutes aux toilettes, dans les transports, à la pause. Il faut que ce soit clair.

Deuxième ingrédient: le mix contenu dont on a parlé. Il ne faut pas du bon contenu. Il faut de l’excellent contenu, qui va attirer les gens. Donc accepter de commencer avec une proportion de contenu corporate faible. Un acteur de la distribution avec lequel nous travaillons a même décidé de démarrer avec 0% de contenu corporate, et de tout jouer sur la carte du fun, des moments de vie en entreprise, de l’actualité sportive, pour réintégrer « les 5 minutes », et ensuite seulement commencer à injecter du contenu de l’entreprise. La valorisation du contenu créé par les utilisateurs joue un rôle essentiel. Lcontenu affiché doit être adapté au profil du collaborateur. Sa langue, son département, sa fonction, etc. Enfin, il faut pouvoir orchestrer le tout pour que le contenu important soit visible en premier.

Troisième ingrédient: l’expérience mobile. C’est simple: il faut faire aussi bien voire mieux que les applications mobiles qui occupent les 5 minutes. L’appli doit être super simple, hyper visuelle (grandes photos, etc.). Elle doit permettre au collaborateur de proposer du contenu (photos notamment) aussi simplement que sur Facebook ou Instagram. Lui permettre de donner son avis en un clic par des sondages, des quizzes, etc. pour que sa participation ne se résume pas à l’envoi de photos. Il doit se sentir acteur à part entière.

Quatrième ingrédient: rester “top of mind”. Ca veut dire quoi? beaucoup plus que des newsletters sous forme d’emails. Il faut utiliser les push notifications sur mobile pour alerter en temps réel. Il faut afficher l’information sur les réseaux d’écran pour que les gens aient le réflexe de retourner voir le détail sur leur mobile. Il faut mettre l’information dans des widgets sur l’intranet. Aux Etats-Unis, un de nos clients nous avait dit: «mes développeurs ne sortiront jamais de Slack». Qu’à cela ne tienne, un bot pousse le contenu vers les groupes Slack pertinents. Il faut abandonner l’idée que les gens vont consommer l’information en allant sur un point unique. Comme en marketing, il faut multiplier les points de contact. C’est la guerre, il faut utiliser toutes ses armes pour être visible !

Cinquième ingrédient: gamifier. Non, la gamification n’infantilise pas les gens. Car nous sommes tous des enfants. Qui ont grandi, certes, qui ont perdu une bonne partie de leurs illusions face à la dure réalité du monde du travail, mais nous restons des enfants. Dans tous les pays, dans tous les secteurs, nous voyons la gamification faire exploser les compteurs. Même dans les secteurs où il y avait le plus de scepticisme, comme les cabinets d’audit. Notamment autour d’événements sportifs. En Inde, le dispositif que nous avons monté avec HP autour d’une compétition de cricket (HP était sponsor de l’une des équipes) a engagé des milliers de collaborateurs sur l’application mobile, à s’informer, à partager du contenu, à parier sur les matches… La bataille des 5 minutes passe par là, c’est ma conviction. Et charge à l’entreprise de trouver les bonnes récompenses. En Belgique, Fortis récompense l’engagement de ses collaborateurs en plantant des arbres sur la planète. Inspirant non ?

Dernier ingrédient: reconnecter les collaborateurs déconnectés. C’est pour moi l’enjeu majeur, ce que je trouve le plus excitant. Je discute souvent avec la patronne de la supérette près de chez moi. Un point invisible dans la carte mondiale du Retailer auquel son magasin appartient. Elle n’a pas de mobile pro, elle n’a pas d’adresse pro. Mais c’est une passionnée. Elle a monté sa page facebook, prend des photos de ses arrivages de fruits. Le quartier s’est abonné. Ces gens ne méritent-ils pas d’être informés, d’être récompensés pour leur engagement formidable ? Laissons-leur utiliser leur mobile personnel. Ils ont une fiche de paie, donc un ID. C’est ainsi qu’ils peuvent se connecter et être authentifiés, peu importe qu’ils aient une adresse email pro ou pas. La guerre est une guerre du mobile où l’email n’a plus vraiment sa place.

Plus on attend et plus la lutte pour réintégrer les 5 minutes est difficile. Au travail !

L’expert:

Jean-Louis Bénard est co-fondateur et CEO de Sociabble, une plateforme utilisée dans plus de 80 pays, qui permet aux entreprises de bien informer et d’engager les collaborateurs, pour qu’ils deviennent des ambassadeurs. Il est également Chairman de Brainsonic, une agence qu’il a fondée en 2003. Auteur ou co-auteur de plusieurs ouvrages dont Extreme Programming (Eyrolles), il est par ailleurs investisseur dans plusieurs startups françaises.

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