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[Agriculture] La Big data est dans le pré

« Tout a commencé en 2010 à la Fête de l’asperge quand, après ses études de robotique, Gaétan, mon associé, a senti le besoin de robotisation en discutant avec des producteurs » explique Aymeric Barthes, le co-fondateur de Naïo-Technologies. « Après un an de recherche, on s’est lancé dans la conception d’un robot collectant des données en même temps qu’il désherbe. Mais cette combinaison n’intéressait pas vraiment les exploitants. Néanmoins, comme la technologie était prête pour le robot, nous l’avons commercialisé dans un produit distinct ».

naio-technologies
Aymeric Barthes, cofondateur de Naïo-Technologies

La start-up toulousaine, qui s’est d’abord lancée dans la conception et la fabrication de petits tracteurs électriques, a donc sortit il y a un an « Monsieur Météo », un boîtier connecté surveillant deux indicateurs-clés à l’intérieur des serres : la température et le taux d’humidité. L’exploitant peut ainsi consulter en temps réel ces informations par simple envoi d’un SMS (pratique dans les zones géographiques mal desservies par la 3G) et bientôt sur une interface en ligne regroupant outils de visualisation et comptes-rendus mensuels et annuels. Il reçoit également, en cas d’urgence, des signaux d’alerte lorsque sont franchis certains seuils.

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Des agriculteurs connectés, il n’y a là rien de bien nouveau sous le capot. Une étude de l’Insee révélait déjà qu’en 2010, 70,4% des agriculteurs disposaient d’une connexion Internet à la maison, contre 64,4% dans la moyenne des ménages français. Une étude BVA-Tic-Agri précise quant à elle qu’après la consultation des e-mails, la météo professionnelle agricole et les services bancaires, les agriculteurs sont 39% à utiliser « souvent » Internet depuis un poste fixe pour suivre les cours sur les marchés agricoles (55% sur mobile) et les données relatives à leur exploitation (élevages, parcelles…).

Les usages sont là et les start-ups s’en saisissent. Mais avant de vouloir gérer des données, encore faut-il les produire. C’est là qu’intervient l’Internet des objets. Et certains n’y vont pas par le dos de la cuillère. Pour analyser des hectares entiers de terres agricoles, Airinov a développé un drone guidé automatiquement par GPS. Volant entre 50 et 150 mètres d’altitude, il embarque un capteur doté de quatre objectifs – rouge, vert, proche infrarouge et red edge – développé en partenariat avec l’Inra ( l’Institut National de la Recherche Agronomique) pour mesurer la surface de seuil, le taux de chlorophylle ou encore le taux d’azote.

« L’engrais est le premier poste de dépense dans la culture du blé, devant le gazole et les frais de personnel. A ce coût s’ajoutent des contraintes réglementaires imposant le respect de ratios d’utilisation à ne surtout pas dépasser. Les agriculteurs veulent donc déterminer le plus précisément possible où placer l’engrais de façon optimale. Autrement dit, la bonne dose au bon endroit. On parle donc de culture de haute précision » explique Florent Mainfroy, cofondateur (en image de une, ndlr). « Le drone peut aussi compter le nombre exact de pieds de tournesol, évitant ainsi des heures de marche dans les champs pour les recenser manuellement ».

L’histoire commence en 2009 lorsque trois amis bidouillent dans une ferme familiale du Poitou un premier modèle de drone avec caméra embarquée. Une rencontre entre Florent Mainfroy et Corentin Chéron, tous deux fraîchement sortis de la même école d’ingénieur, et Romain Faroux, diplômé en gestion d’entreprise et fils d’exploitant agricole, qui donnera finalement naissance à Airinov dès l’année suivante.

Analyse des besoins en azote d'une parcelle de colza par un drone d'Airinov
Analyse des besoins en azote d’une parcelle de colza par un drone d’Airinov

« Je ne connaissais rien à l’agriculture et j’y ai découvert un monde différent de celui que l’on renvoie dans les médias. Loin du paysan traditionnel avec sa fourche ou du méchant pollueur qui utilise des pesticides, il s’agit d’un des secteurs où l’on innove le plus. C’est l’un des premiers à avoir utilisé les GPS. Tout simplement parce qu’en roulant droit avec un tracteur, on peut gagner 15% de semences supplémentaires à parcelle égale, car il n’y a plus d’écarts, et donc pas de pertes entre les passages. Aujourd’hui, plus aucun tracteur n’est vendu sans GPS. Ce n’est pas le cas dans l’automobile » poursuit M. Mainfroy.

La start-up a vite grossi passant de 5 salariés il y a un an à 22 personnes à plein temps aujourd’hui, dont les deux tiers en R&D. Puis, en février dernier, Parrot a débarqué en investissant 1,6 million d’euros dans le projet pour 20,9% du capital. Un coup de pouce financier, technologique et industriel. Airinov utilise désormais des drones eBee de SenseFly, une filiale de Parrot, pour se concentrer uniquement sur le développement de ses caméras embarquées.

« Ils nous apportent aussi leur expérience, car c’est un groupe d’électronique, comme nous. Aujourd’hui, nous devons produire à plus grande échelle. Ils savent faire et ça nous aide ». Airinov compte aujourd’hui 2 000 agriculteurs clients dans toute la France pour 20 000 hectares de cultures survolés (10 000 de blés, 10 000 de colza). Pour les atteindre, des pilotes sont répartis sur le territoire français pour mener des opérations qui sont commercialisées sous forme de services. « D’autres préfèrent acheter directement le drone, le capteur et une formation pour être autonomes. Nous les assistons ensuite pour la logistique, les demandes d’autorisations de vol, le traitement et l’analyse des images ».

« Les besoins augmentent, car il y a de moins en moins d’agriculteurs. Les superficies des exploitations sont donc de plus en plus importantes. Le marché est de quelques millions d’euros en France sur les seules thématiques du conseil en engrais pour le colza et le blé. Nous travaillons donc à d’autres problématiques pour aller plus loin ». La jeune entreprise travaille dès à présent sur la détection des mauvaises herbes et de la flavescence dorée, une maladie de la vigne qui oblige à arracher les pieds avec parfois des conséquences très lourdes pour les exploitants.

Plutôt que de s’envoyer en l’air, d’autres jeunes pousses restent les pieds sur terre. Et si votre grand-mère coupait son vin à l’eau, le Montpelliérain Fruition Sciences veut lui le croiser à la data. Pour cela, il place des capteurs dans le vignoble pour mesurer les flux de sève et les besoins en eau. A cela se greffe un réseau sans fil alimenté par énergie solaire et installé sur place pour un prélèvement et un envoi automatique des données tous les quarts d’heure. L’ensemble des chiffres est par la suite consultable en ligne sous forme brute ou sous forme d’analyse plus détaillée grâce un algorithme qui les interprète en les croisant à d’autres données émanant de sources externes (météo…). A la tête du projet, Sébastien Payen, 37 ans, ancien de Polytechnique et de l’Université de Californie à Berkeley, et Thibaut Scholasch, 40 ans, ex-doctorant en viticulture à SupAgro, ancien œnologue et consultant dans la Napa Valley en Californie, où la société possède un bureau à Oakland.

« J’ai rencontré Thibaut en 2006. Il avait une vision du marché et une perception des problématiques viticoles. J’ai apporté au projet l’aspect technologique grâce à mon profil ingénieur » explique M. Payen. « Thibaut utilisait déjà des capteurs qui analysaient les besoins en irrigation, mais l’exploitation qui était faite des données était manuelle, principalement sur Excel. Je lui ai dit que l’on pourrait créer une plate-forme dédiée, plus complète, automatisée, intégrant les données en temps réels et les analysant. Nous voulions apporter de la science dans le secteur ».

Rapidement, le projet initial, qui se focalisait uniquement sur la mesure de la consommation hydrique, a donc évolué pour intégrer un panel beaucoup plus large de données, y compris celles de capteurs fabriqués par d’autres sociétés ou obtenues de sources externes (cartographie, météo, laboratoire d’analyses chimiques pour le raisin…). « Fruition Sciences est avant tout fournisseur d’un outil informatique qui intègre n’importe quelles données. L’idée est, millésime après millésime, de gagner en qualité, potentiellement en rendement, et de réaliser des économies de temps. Il ne s’agit pas de produire le même vin partout ou d’uniformiser les récoltes, mais de tirer le mieux et le plus possible de chaque terroir ».

Sébastien Payen et Thibaut Scholasch, les deux fondateurs de Fruition Sciences
Sébastien Payen et Thibaut Scholasch, les deux fondateurs de Fruition Sciences

L’analytics, nouveau fertilisant ?

Commercialisé sous forme de service, les tarifs de Fruition Sciences s’étalent, pour une parcelle, de 40 euros par an pour le produit de base (plate-forme, agrégation des données…) à 2 000 ou 3 000 euros annuels pour une gestion plus fine de l’irrigation via l’installation des capteurs qui requièrent une maintenance et un service après-vente plus importants. Un investissement, pas une dépense explique-t-on : « le domaine de L’Ostal Cazes, avec notre solution, a gagné 30% de rendement » selon M. Payen. Avec 14 employés, Fruition Sciences revendique aujourd’hui un peu plus de 80 clients aux Etats-Unis, où la société a d’abord été créée en 2008, et une trentaine en France depuis l’ouverture d’une antenne en 2009. Des deux côtés de l’Atlantique, la promesse est la même : « rationaliser et optimiser les décisions en déterminant comment découper les parcelles, les fertiliser… ».

Une meilleure gestion de la production, c’est aussi ce qui intéresse Silent Herdsman qui, outre-Manche, aide les éleveurs à surveiller l’activité d’un troupeau de vaches grâce à des colliers « cownnectés » dont les résultats sont analysés par un logiciel prédictif quant à la santé du bétail. L’objectif étant d’offrir une meilleure visibilité aux éleveurs pour mieux gérer la reproduction et les rendements de l’exploitation. La société a levé 3 millions de livres en mars dernier.

Pour ceux qui ne disposent pas encore de système de récolte d’information en interne, la start-up strasbourgeoise Agri-Esprit a développé un système avec lequel les agriculteurs peuvent accéder en temps réel à une multitude d’informations de plusieurs sources. Incubée à SEMIA, elle a levé 6 millions d’euros en mai auprès du fonds de capital-risque de Suez Environnement et de Demeter Partners. Sa volonté : favoriser une agriculture plus durable en optimisant les décisions par une meilleure analyse des données. Par exemple, « 70% des prélèvements d’eau dans le monde sont réalisés par le secteur agricole (selon les Nations Unies, ndlr) et une part significative est perdue pour des raisons diverses (technologies obsolètes, dysfonctionnement des outils en place, manque de données pour les décideurs) » expliquait alors le président de Blue Orange, le fonds de Suez Environnement pour les nouvelles technologies de l’eau et des déchets.

Au-delà de l’économique et de l’écologique, la Big data dans l’agriculture revêt aussi un enjeu humanitaire. Selon la FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, il faudra nourrir 9 milliards d’individus d’ici à 2050. En 2011-2013, 842 millions de personnes dans le monde souffraient déjà de faim chronique selon les estimations publiées dans l’édition 2013 de « L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde », soit 12% de la population, bien que le rapport souligne des progrès en la matière. Si la Big data s’attelle à produire plus ou mieux, l’enjeu doit donc aussi être de mieux répartir les ressources alimentaires dans un monde où 1,3 milliard de tonnes de nourriture sont gaspillées chaque année, soit 750 milliards de dollars par an (à peu près 571 milliards d’euros, ndlr) et 3,3 gigatonnes de gaz à effet de serre, toujours selon la FAO en 2013.

La propriété des données, un sujet sensible

Aussi, en dépit de la multiplication des solutions proposées et des beaux discours, des inquiétudes subsistent chez certains exploitants, notamment en matière de protection des données. Celles-ci fournissent une radiographie plus ou moins complète d’une exploitation à un moment précis et, parfois même, une évolution en temps réel. Seront-elles revendues à de tiers acteurs ? Et si oui, qu’en feront-ils ? La question est sensible lorsque l’on sait que les données peuvent intéresser aussi bien les assureurs que les fournisseurs auprès de qui se ravitaillent les agriculteurs en produits.

Plan de vol d'un drone Airinov pour analyser une parcelle
Plan de vol d’un drone Airinov pour analyser une parcelle

Aux Etats-Unis, la sonnette d’alarme a déjà été tirée. « Les données recueillies auprès des propriétaires des exploitations individuelles sont précieuses et doivent rester la propriété de l’agriculteur » estimait ainsi l’American Farm Bureau Association en janvier dernier. Tapant du poing sur la table, l’organisation souhaitait « obliger les entreprises qui collectent, stockent et analysent les données de divulguer l’utilisation complète prévue de ces données » tout en recommandant l’instauration de « compensations pour les agriculteurs dont les données propriétaires sont partagées avec des tierces parties qui offrent des produits, des services ou des analyses à partir de ces données ».

Des préoccupations d’autant plus vives que les géants de l’agriculture se convertissent à leur tour au Big data. En octobre, Monsanto, le mastodonte américain, a déboursé 930 millions de dollars pour mettre la main sur Climate Corp, une plate-forme fondée par un ancien de Google pour aider les agriculteurs à optimiser leur production en leur fournissant une multitude de données météorologiques et agricoles ultra-localisées, des solutions de monitoring, de simulation et des assurances.

Côté start-up, à chacun son discours. « Tout est stocké sur nos serveurs. Les données sont vendues à nos clients sous forme de rapport mensuel ou à la demande » explique le fondateur de Naïo-Technologies. « Pour le moment, nous ne les commercialisons pas à des tiers, mais on y réfléchit. Probablement auprès de laboratoire en agronomie » poursuit-il. Autre son de cloche chez Airinov : « les données appartiennent toujours à nos clients. Nous les conservons seulement pour notre R&D en interne afin d’améliorer nos modèles. C’est prévu dans les contrats » selon M. Mainfroy. Idem chez Fruition Sciences : « rien n’est partagé à des tiers. La seule chose que nous demandons est de pouvoir les utiliser en interne, pour nous même, pour faire de la recherche » explique M. Payen. De la recherche qui a permis à la start-up d’être distinguée lors du concours mondial de l’innovation, lancé par le gouvernement en 2013, grâce à ses modèles de Big data. L’innovation aussi, ça se cultive. A chacun son engrais. 

Olivier HARMANT

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