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[Expert] L’Internet veut changer le monde mais pas prendre le pouvoir, par Alexis Mons

La Suisse, ce n’est pas qu’un bon bol d’air en cette saison, c’est aussi LIFT à Genève et 3 jours pour explorer ce que l’avenir nous réserve.

LIFT

Illustration : à Lift, une machine « home made », qui imprime en continu les textes envoyés à une url données

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Le ton était donné au lever de rideau, avec un speaker qui nous promettait de mettre le projecteur sur les zones sombres que personne ne veux vraiment regarder. Et la zone sombre en question a été atteinte dès la première journée. Elle s’appelle “RENCONTRE AVEC LE RÉEL”. Et le fait est qu’elle pique. Parmi quelques bons exemples de la faillite des processus de décision et de participation en amuse-bouche, Gudrun Pettursdottir est venu nous refaire la narration de l’Islande qui crowdsource sa constitution.

Je l’avais déjà entendu à Marseille il y a six mois, mais son propos était cette fois teinté d’amertume. L’histoire est belle, celle d’un peuple connecté qui fabrique sa constitution, sauf qu’à la fin il revient au parlement et à ses partis de finir le travail. Or, il ne le finissent pas. La constitution du peuple connecté est devenu un objet de joutes politiciennes et à deux semaines de la fin de la session parlementaire, tout concoure à penser que rien ne va se passer. Amertume et déception. Faudra-t’il que les Islandais reviennent faire des sit-ins devant leur parlement ? Ce n’est pas gagné. La réalité, ici les partis et leur jeu politicien ancestral, est plus forte que le peuple connecté et participatif. Cela m’a rappelé l’ascension de Désir d’Avenir en 2007. Un brillant édifice participatif et connecté lui aussi, qui porta Ségolène Royal comme candidate à la Présidentielle. Mais une construction qui ne fit en rien changer le parti socialiste. C’est ce dernier qui eut le dernier mot. Le terme “participatif” en fut presque tabou pendant quelques années en France !

Le net est encore jeune et insouciant. Il a pour lui la conviction qu’il change le monde et les exemples ne manquent pas. Au demeurant, cette conviction est peut-être aussi une forme d’aveuglement, de celles qui vous font croire que vous avez raison, que les autres ont tord, ou dépassés. Malheureusement, cela ne se passe pas comme cela. Le vieux monde peut résister et sa capacité de défense et de nuisance la société numérique la prend mal. Ainsi elle ne la gère pas et donc elle la subit.

Il faut lire ce billet d’InternetActu consacré aux déboires de Airbnb et Uber et qui pose la question de la réaction destructrice du vieux monde à toutes ces belles idées d’économie participative basées sur la désintermédiation. Je suis personnellement un très grand fan de tout cela et parfaitement convaincu de ce que cela a de positif et de moderne. L’intervention de Caroline Drucker sur Etsy, autre modèle du genre, était rempli de cette idée que l’internet change le monde, rend les hommes plus heureux, preuve à l’appui. Sauf que ça ne marche pas toujours ainsi. Les néo-artisans de Etsy ne gênent personne. Les néo-prestataires de tourisme de Airbnb dérange le tourisme institutionnel et professionnel, Uber fait froncer les sourcils des chauffeurs de taxis et le citoyen islandais est otage de ses partis politiques. Le net adore les ruptures. Tellement, qu’il a une forte tendance à penser que celles-ci gagnent d’elles-mêmes et s’affirment déconnectées de l’ancien monde, qu’elles sont irrépressibles.

Sauf que l’ancien monde a un réel pouvoir de nuisance, surtout si l’objet du service est tangible. Et à l’ère de l’internet des objets et de l’économie désintemédiée, c’est bien le cas ! Les chambres de Airbnb ou les voitures de Uber sont réelles. Ce ne sont pas des MP3 qui circulent et se consomment hors réalité physique. A un moment de la chaîne de valeur, il y a confusion de l’ancien et du moderne. A cet endroit, l’ancien n’a pas dit son dernier mot et peut se montrer méchant. Il défend son pouvoir.

Le net veut changer le monde, mais il ne veux pas prendre le pouvoir. Il espère que cela se passera en douceur et que la lumière qu’il représente s’impose d’elle-même. Olivier Reichenstein nous a éblouis en mettant en scène la Caverne de Platon, mais je me disais en l’écoutant que cette allégorie sonnait extrêmement juste en toute fin du festival. Si l’idée est, comme je le pense, que le monde a déjà changé et que la lumière est celle de la modernité, la caverne remplie de l’ancien monde n’est pas prête de l’accepter. Et ceux qui veulent l’y ramener y seront plus que certainement broyés.

Mon humble avis est que le digital doit être moins naïf et plus méchant. La disruption de marché demande de la volonté et notamment celle de vaincre. Le net doit apprendre à vouloir prendre le pouvoir et s’en donner les moyens.

La troisième journée de Lift a consacré quelques brillantes présentations, notamment celle sur Etsy, mais aussi Massimo Banzi, le co-CEO de Arduino. L’histoire de cette entreprise est plus belle encore que ses produits et de ce que les gens en font. Les artisans connectés au monde de Etsy voisinent avec les Makers de Arduino mais leur propos raisonnent dans la crise morale du capitalisme quand ils répètent à l’envie qu’il ne s’agit pas de s’enrichir, mais de changer le monde ou de servir un entrepreneuriat des valeurs et non du capital. Le net affiche des valeurs et j’en suis convaincu, j’ai fait un livre là-dessus. Le net veut changer le monde et c’est le crédo central de tout entrepreneur digital qui se respecte. Mais il n’y a là-dedans pas de volonté de puissance, de volonté de gagner vraiment.

La seconde journée de Lift a consacré un mot que nous allons devoir apprendre : “compromis”. C’était un des mots clefs de l’intervention de Dave Gray, quand il nous a parlé de business agile. C’est un mot qui suppose d’avoir une juste appréciation des risques et des rapports de force.

A ce mot, j’ajoute moi-même deux verbes : “transiger” et “composer”. Transiger avec soi-même, pour formuler des stratégies qui tiennent compte de la réalité et ne pas se bercer d’illusions. Composer, car il faut savoir le faire, parfois, pour arriver à ses fins.

C’était à mon sens une des leçons du propos de Justin Pickard, sur ce que nous faisons vraiment avec des imprimantes 3D. C’est rarement génial et design, c’est souvent moche et futile, mais c’est ainsi que cela se répand et gagnera. Il a aussi été question de se “salir les mains” à un moment donné.

Nos rêves restent brillants, mais ils n’en seront que plus lumineux si nous savons les délivrer. Et pour cela, il faut faire preuve de réalisme et savoir transiger et composer quand il le faut. Je pense profondément que le monde numérique doit encore apprendre beaucoup de cette nécessité.

Alexis Mons est Directeur Général Délégué, en charge de la stratégie chez Emakina.fr

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3 commentaires

  1. C’est notre système de financement qui ne nous laisse aucune de chance de prendre le pouvoir !
    Mais c’est aussi vrai que beaucoup de start Up « révolutionnaires » rentrent très vite dans le rang !!
    C’est fou comme l’argent calme les ardeurs et la créativité sans doute !!

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