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Pourquoi j’ai quitté la start-up que j’ai co-fondé

Par Christian Jorge, entrepreneur

Après 9 années exaltantes, et avec encore de très belles perspectives de développement, j’ai décidé de quitter l’aventure Vestiaire Collective. Voici comment j’en suis venu à faire ce choix.

Un peu de contexte

Courant 2008 avec mon associé historique Alexandre Cognard avec qui j’avais co-fondé plusieurs sociétés (de modestes PME dans le digital & e-commerce) nous cherchions une nouvelle aventure ambitieuse: créer un marché, lever des fonds, connaitre l’hyper-croissance… faire une grosse boite… et la revendre… et acheter des voitures de sports allemandes (clin d’oeil aux livres de Guy kawasaki)…

Nous étions alors co-fondateurs et patrons d’une prospère web agency spécialisée dans la prestation de service e-commerce full service: RL Agency. L’idée était simple: accueillir et incuber au sein de notre agence de multiples projets en prenant une participation significative au capital et mettre nos savoirs faire au service de leur développement.

Vestiaire Collective

Parmi les porteurs de projets qui ont croisé notre route, nous avons rencontré Sébastien Fabre qui avait en tête quelques idées de business dont Vestiaire Collective («Vestiaire de Copines» à l’époque). L’idée était excellente: un beau sac à main Chanel d’occasion peut facilement valoir 2000 euros. Impossible de l’acheter à un particulier via Ebay, Price-Minister ou LeBonCoin car le risque d’acquérir une contre-façon était important… et tout aussi compliqué de donner 2000 euros en liquide à la sortie du métro. Il fallait créer un tiers de confiance qui garantisse la transaction en encaissant l’argent et en vérifiant le sac en question. Idée simple, élégante et efficace. Enfin simple… il y avait énormément de technologie à produire, de la logistique à mettre en place, des métiers qui n’existaient pas à inventer, créer l’offre ET la demande en même temps, financer le tout abondamment car les moyens humains dans l’exécution de l’idée étaient importants… Bref si nous y arrivions (ce dont nous ne doutions pas)… le second prétendant allait devoir dépenser beaucoup d’énergie et d’argent pour nous rattraper. Ce type de barrière à l’entrée est souvent considéré comme un atout majeur pour une start-up. Excitant!! Avec ce projet nous nous voyions déjà: Passer sur M6 Capital, monter des bureaux à New York et avoir le logo de notre App dans une pub TV iPhone!

Après de longs mois de travail, nous lançons le site en octobre 2009 avec une DreamTeam de cofondateurs: Sophie Hersan (Mode), Fanny Moizant (Marketing), Sébastien Fabre (Corporate), Henrique Fernandes (Logistique), Alexandre Cognard (Technique) et Christian Jorge (Produit).

Ready. Steady. GO! C’est parti pour 8 ans d’une intensité rare!
… une telle aventure se veut exigeante et exclusive, la «traction» confirmée (adoption tangible par le marché), Alexandre et moi avons sans hésiter arrêté nos autres projets pour nous consacrer corps et âmes à Vestiaire. Se focaliser sur un unique projet est certainement une condition d’exécution réussie.

Henrique, Sophie, Sébastien, Christian, Fanny, Alexandre. (Sept 2013)

Vestiaire Collective 2017

Plus de 250 employés, des bureaux à Paris, à Londres, à Milan, à Berlin, à New York… et bientôt à Hong-Kong!

Plus de 100.000.000 euros de volume d’affaire en 2016 sur 38 pays. Avec une croissance toujours insolante pour notre taille.
Des milliers de nouveaux articles en vente chaque jour, des millions de membres inscrits, plus d’un millier d’articles contrôlés physiquement chaque jour!

Et pour financer cette croissance: plus de 100.000.000 euros levés auprès de certains des plus beaux fonds de Capital Risque Européens. Ce qui, pour une start-up française dans notre domaine, est peu commun.

Rétrospectivement, c’était vraiment une bonne idée exécutée convenablement.

En janvier 2017 nous avons annoncé une levée de fond majeure : 58 millions d’euros avec l’ambition de nous attaquer à l’Asie, muscler notre jeu aux USA et accroître nos capacités opérationnelles pour accueillir la croissance européenne.

Un job central, excitant et avec des moyens de rêve!

Après 4 premières années très «techs» autour du Produit, de son Design et des Projets en général, j’ai pris en 2013 la tête des opérations. Un nouvel univers à découvrir: la Logistique, le Transport, le Contrôle et l’Authentification des articles, ainsi que le Service Client… et d’autres sujets connexes tels que l’immobilier, la sureté et l’office management.

La mission : permettre à Vestiaire de «Scaler»!
Il s’agit en résumé d’assurer que les opérations puissent tenir notre croissance à 3 chiffres, tout en augmentant la qualité, en réduisant les temps de traitements… et en tirant les coûts vers le bas pour permettre à la société d’atteindre la profitabilité.

La découverte de ce nouveau monde fût une expérience grisante! Et notamment grâce à la passion et l’engagement des équipes et des prestataires. Venant du côté «geek» de la start-up — où la passion pour son métier est souvent débordante — j’appréhendais, à tort, de me retrouver dans un univers morose, daté et avec du personnel peu impliqué. Quel plaisir de découvrir qu’ici aussi la passion et l’envie de dépassement étaient présentes au quotidien. De plus s’y ajoutait des savoirs faire qui forçaient l’admiration.

En quelques années nous sommes passés d’une petite équipe de femmes et d’hommes travaillant de manière artisanale dans un petit hotel particulier à Levallois traitant 150 articles par jour à une puissante équipe experte traitant plus de 2000 articles jours. Epaulé par des partenaires externes clés pour accueillir plusieurs milliers de m2 de stocks, ou encore une cinquantaine de conseillés pour répondre aux appels et emails de nos membres. Ceci toujours en nous evertuant de conserver avec respect cet ADN artisanal qui caractérise l’univers de la mode haut de gamme.

En cette rentrée 2017, après des mois de travail (des années devrais-je dire…) nous ajoutons deux piliers majeurs pour soutenir l’avenir de Vestiaire:

Avant l’été, nous avons lancé notre propre centre de formation interne: la «Vestiaire Académie» qui a vocation à affiner et transmettre nos métiers les plus spécifiques en commençant par le Contrôle Qualité et l’Authentification. Puis cette académie rayonnera graduellement dans tout Vestiaire, couvrant progressivement tous les métiers et instillant la culture de notre société.

Fin septembre, nous inaugurons un nouveau centre de traitement complémentaire aux Ateliers parisiens (et New-Yorkais): Les Ateliers Vestiaire à Tourcoing.

42 emplois en CDI créés pour l’occasion, formés par l’Académie et accueilli dans un bâtiment magnifique de 8000m2, solidement ancré dans la tradition de la confection mode du nord de la France.

Photo de la La Voix du Nord couvrant l’annonce de notre installation.

En toute humilité cela me donne le vertige quand j’y pense.
Et j’ai conscience de la chance phénoménale qui est la mienne d’avoir eu la confiance et l’engagement de mes pairs, de mes équipes, de toute la société… et des budgets à la hauteur de nos ambitions! Pour ces 2 fantastiques projets bien entendu… mais aussi durant toutes ces années aux «Ops».

Alors? Pourquoi quitter Vestiaire…?

Une histoire de coeur! C’est toujours une histoire de coeur!

Soif d’apprendre

Après les premières années, j’avais déjà la conviction que toutes les experimentations, tâtonnements, approximations, erreurs, réussites… en bref que toute l’expérience que nous accumulions serait un formidable atout pour une nouvelle aventure entrepreneuriale. Pour faire plus vite, plus fort, mieux.

Au long de ces 8 années j’ai nourri cette envie d’apprendre. Le management et l’internationalisation d’une structure en croissance forte apportant son lots de challenges quotidiens à tous les étages!

Rester versus partir

En janvier 2017 quand j’ai pris la décision d’arrêter, j’avais devant moi: le développement en Asie et les passionnants voyages et challenges qui l’accompagnent, des opérations bientôt solides et prêtes à accueillir la croissance, des équipes engagées pour m’accompagner… et un niveau de vie parfaitement satisfaisant.

De l’autre côté, cet avenir dans Vestiaire — outre la mise en route de l’académie et des Atelier à Tourcoing, que j’ai choisi d’accompagner jusqu’à la fin — m’apparaissait moins vibrant, tissé de réplication, d’optimisation… Alors que là où je sais m’épanouir le plus, c’est dans la création et les défis ardus :-) quand la pente est raide et qu’il faut être inventif et agile.

Enfin, le tempo allait être déterminant. Nous étions en «closing» (signature) d’une levée de fonds importante pour écrire un nouveau tome de l’histoire de Vestiaire. A ma position cela signifiait que le prochain stop était dans 4 à 5 ans… Alors que l’envie de ré-entreprendre était bien présente…

J’ai donc décidé durant la négociation avec les investisseurs, de ne pas rester dans un flou conceptuel teinté de compromis où aucun des choix ne représenterait mon avenir idéal.

J’ai donc fais porter au Conseil d’Administration deux positions fortes et claires. L’une où je restais, l’autre où je sortais.

Des deux retours positifs que j’ai obtenus, c’est celui où je partais qui m’a paru sonner le plus juste. En tout cas le plus personnel car il ouvrait la perspective de ré-entreprendre librement alors que rester me semblait sonner comme accepter une forme de docile résignation salariale lucrative…

Juste ça !!?

Ah non! Quand même pas!!
Il va de soit qu’une telle aventure apporte également son lot de contrariétés, de frustrations, de maladresses accumulées…et de lourdeurs grandissantes à mesure que la société se développe. Et même si je crois fondamentalement que nous aurions pu faire beaucoup mieux, je n’ai pas décidé de partir en réaction. De l’énergie et de la patience, j’en suis armé.

Sans m’étaler sur ces sujets finalement assez banaux, l’un d’eux, particulier à Vestiaire me parait toutefois donner un éclairage intéressant sur mon départ et ce qui peut se produire dans une scale-up (une vielle startup): appelons ce sujet «Too Many CEOs» (trop de PDGs) en référence à Ben Horowitz et son excellent «The Hard Thing About Hard Things».

Sur les six associés, plusieurs d’entre nous ont de véritables tempéraments d’entrepreneurs forgés avec la profonde conviction de ce qu’il faut faire pour «bien» écrire le futur: leurs Visions. Certes cela a été un atout magistral au lancement: énormément d’autonomie, de la confiance, des prouesses d’exécution… Toutefois avec le temps et la structure grandissante, rassembler nos visions devenait compliqué, voir impossible. Nous perdions du temps et beaucoup d’énergie. Cela nous conduisit dans un premier temps à embaucher un Directeur Général afin de clarifier notre stratégie. Mais le naturel revenant au galop… il y avait toujours trop de CEOs chez Vestiaire.

L’arrivée de nouveaux investisseurs, prenant naturellement de plus en plus de place dans les décisions, venait inexorablement écarter toujours un peu plus les fondateurs (hors CEO) de certaines décisions fondamentales.

Choisir de rester, et continuer dans ce contexte pour plusieurs années m’apparaissait donc autant négatif pour moi que pour la société. Personnellement pour des raisons évidentes de nécessité d‘impact sur les fondamentaux stratégiques, et pour la société car il est contre-productif d’avoir autant de fougue non canalisée qui fini par être ressentie par les salariés (et les investisseurs proches) comme un désalignement pénalisant.

…Et allez savoir, après tout, cela peut être aussi une bonne chose de faire tourner le management.

Enfin, et cela a beaucoup compté dans mon départ: Alexandre, usé, avait décidé de quitter l’aventure et attendait déjà son remplaçant.

L’avenir sans lui étant bien moins réjouissant qu’avec lui…

Alors il n’y avait plus à hésiter!

“ Quelle aventure incroyable ! Montez des boites ! C.J ”

 

Le contributeur:

 

Christian Jorge est entrepreneur. Il a notamment co-fondé Vestiaire Collective.

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