
C’est une tendance initiée il y a quelques années par plusieurs entreprises qui ont choisi d’intégrer des crypto-actifs dans leur trésorerie. Ce mouvement a progressivement ouvert la voie à l’émergence de véritables Bitcoin Treasury Companies, ces sociétés qui assument une stratégie d’accumulation de Bitcoin, et plus rarement d’Ether, dans une logique patrimoniale de long terme. Le phénomène demeure à ce jour limité, mais il interroge désormais la frontière entre innovation financière, évolution de modèle et prise de risque spéculative.
Une stratégie de trésorerie qui modifie la nature de l’entreprise
Une Bitcoin Treasury Company désigne une entreprise qui décide d’utiliser une partie de sa trésorerie pour acheter du Bitcoin. Dès lors qu’elle est cotée, cette décision entraîne une transformation immédiate de la perception boursière. Le titre de l’entreprise devient, de fait, corrélé aux variations du marché crypto. MicroStrategy en constitue l’exemple le plus emblématique, initialement éditeur de logiciels, l’entreprise est aujourd’hui perçue comme un proxy d’exposition au Bitcoin, son action suivant mécaniquement les cycles du BTC. Cette transformation modifie la relation avec les actionnaires, complique l’analyse fondamentale et rend l’entreprise incompatible avec certains investisseurs institutionnels, en raison d’un profil de risque considéré comme atypique.
Un pari macroéconomique avant d’être un choix de gestion
Les dirigeants qui adoptent cette stratégie mettent en avant un même diagnostic, inflation durable, perte de confiance dans les politiques monétaires, dévaluation progressive des devises et nécessité de protéger la trésorerie dans un environnement incertain. Ils considèrent le Bitcoin comme un actif monétaire alternatif, reposant sur la rareté et la neutralité technologique.
Cependant, ce positionnement repose davantage sur une conviction macroéconomique que sur une logique de gestion prudente. Le Bitcoin demeure un actif extrêmement volatil, difficile à intégrer dans un modèle de stabilisation financière. Les règles comptables actuelles, notamment en IFRS, peuvent conduire à des dépréciations répétées même lorsque le cours se redresse. L’usage du BTC comme réserve de valeur reste, par ailleurs, discuté par les experts et largement absent des cadres prudentiels traditionnels.
Un phénomène encore limité mais de plus en plus visible
Aujourd’hui une quinzaine de sociétés cotées revendiquent explicitement une stratégie d’accumulation de Bitcoin. Le paysage est hétérogène et réunit des entreprises technologiques cherchant à renouveler leur positionnement, des holdings en reconversion, des structures créées spécialement pour accumuler du BTC, ainsi que des acteurs du divertissement ou des médias. L’apparition de sociétés comme Trump Media & Technology Group aux États-Unis, Metaplanet au Japon ou Bitcoin Group SE en Allemagne atteste d’une diffusion internationale. Toutefois, l’ensemble demeure marginal, notamment en Europe où les autorités rappellent l’importance d’une gestion de trésorerie prudente.
Deux initiatives françaises : Bitcoin et Ethereum en trésorerie
La France compte désormais deux cas qui illustrent de manière différente ce repositionnement.
Le premier concerne Entreparticuliers.com, plateforme immobilière créée en 2000 par Stéphane Romanyszyn. L’entreprise a annoncé son intention de devenir une « Ethereum Treasury Company » en intégrant de l’Ether (ETH) dans sa trésorerie. Le choix de l’Ether, présenté par son président comme l’infrastructure centrale de la finance numérique et de la tokenisation des actifs réels, vise à donner un nouvel élan à l’entreprise en s’appuyant sur une technologie perçue comme structurante pour la finance décentralisée. L’achat d’Ether sera financé par l’apport de capitaux du fondateur et de partenaires financiers. Ce repositionnement, inhabituel pour une société immobilière cotée, expose Entreparticuliers à une volatilité accrue et pose la question de la cohérence entre son activité existante et cette nouvelle orientation patrimoniale.
Le second exemple est celui de la transformation de la société cotée Tayninh (Euronext Paris : TAYN) en The Bitcoin Society (TBSO). Éric Larchevêque, accompagné de Tony Parker et Nathan Benchimol, ont dévoilé lors d’un lancement très scénarisé, une Bitcoin Treasury Company chargée d’accumuler du BTC par le biais de levées de fonds successives, et une “Network Society” combinant éducation financière, communauté entrepreneuriale et abonnement premium. À ce jour, TBSO ne détient encore aucun Bitcoin. Une première levée de fonds est prévue début 2026. Cette initiative constitue un précédent sur un marché réglementé français, mais elle suscite aussi des interrogations, notamment en raison de la multiplication récente de structures hybrides mêlant investissement, influence, formation et communauté, parfois avec une transparence limitée.
Les références internationales : États-Unis et Asie en tête
À l’échelle internationale, le phénomène est davantage structuré. Aux États-Unis, plusieurs sociétés ont adopté ce modèle, portées par un environnement financier plus permissif et par la forte participation des investisseurs particuliers. MicroStrategy reste la référence, mais d’autres entreprises comme Trump Media & Technology Group, Semler Scientific, American Bitcoin Corp ou encore ProCap BTC ont engagé un repositionnement similaire. Certaines sociétés issues de SPAC y ont vu un moyen de relancer l’intérêt des marchés.
Au Japon, Metaplanet s’est imposée comme un équivalent régional de MicroStrategy, développant une stratégie d’accumulation considérée comme cohérente avec la dynamique locale d’innovation financière. En Chine, à Hong Kong et en Corée, plusieurs sociétés explorent également une allocation mixte, en combinant Bitcoin, actifs numériques et diversification crypto.
Une stratégie appelée à se développer mais sans garantie de durabilité
L’essor des ETF Bitcoin pourrait favoriser une normalisation progressive et inciter d’autres entreprises à explorer ce modèle. Toutefois, la viabilité des Bitcoin ou Ethereum Treasury Companies dépendra de plusieurs facteurs : la volatilité structurelle des actifs concernés, les contraintes réglementaires et comptables, la cohérence stratégique entre activité opérationnelle et allocation d’actifs, ainsi que la confiance des investisseurs.
Pour l’heure, ces entreprises demeurent un objet économique hybride, situé à la frontière entre innovation financière et prise de risque assumée. Leur crédibilité se jouera moins dans le discours que dans l’exécution, affaires à suivre.
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