
IA générative et data brokerage, un nouvel angle mort de la cybersécurité
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L’essor des solutions d’IA génératives fait émerger un nouveau type de donnée, encore largement sous-estimé dans les débats sur la protection de la vie privée. D’autant qu’il s’agit désormais de conversations, structurées, parfois intimes, formulés par des utilisateurs qui s’adressent sans filtre à des assistants vus comme neutres et sécurisés. Cette donnée particulièrement riche représente un gisement d’une valeur inédite pour les data brokers, qui n’ont pas manqué de s’y intéresser très rapidement.
Une donnée plus riche que le clickstream
Après avoir bâti une économie largement fondée sur les signaux de navigation (pages consultées, clics, temps passé, parcours d’achat) l’industrie de la donnée s’est surtout attachée à déduire des comportements, rarement à capter des intentions explicites. Les conversations avec les IA modifient profondément cette logique et la nature même de l’information collectée.
Un prompt révèle ce que l’utilisateur cherche à comprendre, à arbitrer ou à produire. Il peut faire apparaître un projet professionnel, une réflexion stratégique, une préoccupation personnelle ou une intention d’achat encore inaboutie. Une opportunité pour les acteurs spécialisés dans l’analyse et la revente de données, dont certains ont rapidement perçu le potentiel. Reste à comprendre par quels mécanismes ces conversations peuvent être captées.
Le navigateur, point de passage obligé des usages IA
Dans la majorité des cas, l’accès aux grands chatbots d’IA se fait via le navigateur. ChatGPT, Gemini, Claude, Copilot ou Perplexity sont utilisés en parallèle d’outils de travail, de messageries ou de plateformes SaaS, et cette centralité du navigateur en fait une surface de collecte idéale.
Entrent en jeu les extensions des navigateurs, qui jouent alors un rôle clé. Installées pour bloquer des publicités, sécuriser la navigation ou offrir un VPN gratuit, elles disposent de permissions étendues, avec un accès au contenu des pages, la lecture du DOM, la capacité d’injecter ou intercepter du code. Pour l’utilisateur, ces mécanismes restent abstraits, voire invisibles, alors qu’ils offrent un accès direct aux conversations, en clair, avant même qu’elles ne soient traitées ou protégées par les plateformes d’IA elles-mêmes.
De l’outil gratuit au pipeline industriel de données
Les extensions gratuites constituent depuis longtemps un terrain privilégié pour la collecte massive d’informations. VPN, ad blockers ou outils de sécurité reposent sur une diffusion très large, souvent sans contrepartie financière directe pour l’utilisateur. Dans ce modèle, une formule résume la logique économique à l’œuvre : quand c’est gratuit, c’est l’utilisateur qui devient le produit.
Dans plusieurs cas qui ont été documentés par des chercheurs en cybersécurité, les mécanismes mis en oeuvre s’appuient sur un même backend technique qui alimente plusieurs extensions, parfois distribuées sous des marques différentes. Des SDK intégrés permettent de mutualiser la collecte, d’agréger les données issues de millions de navigateurs, puis de les structurer.
Ce qu’il faut avoir en tête, c’est que cette captation ne repose ni sur des attaques sophistiquées ni sur le contournement des systèmes de sécurité des éditeurs d’IA. Elle s’effectue en amont, directement dans l’environnement local de l’utilisateur, dès lors qu’une extension disposant des permissions adéquates est installée.
Une fois collectées, les conversations ne sont pas exploitées à l’état brut. Elles sont analysées, segmentées, puis enrichies par croisement avec d’autres signaux comportementaux. Ces données alimentent ensuite des produits d’intelligence économique, marketing ou concurrentielle. Pour les clients de ces services, l’enjeu n’est pas l’accès à des échanges individuels, mais l’identification de tendances, d’intentions émergentes et de signaux faibles à forte valeur stratégique. Le même mode opératoire pourrait toutefois être détourné par des extensions malveillantes visant, cette fois, l’exploitation directe d’informations individuelles sensibles.
Pourquoi les conversations IA valent plus que les données historiques
La valeur de cette donnée conversationnelle tient à plusieurs facteurs, à commencer par son caractère déclaratif. Contrairement aux comportements observés, l’utilisateur formule explicitement ses besoins, souvent sans filtre, mais aussi, sa fraîcheur, les conversations reflètant des préoccupations immédiates, parfois liées à des décisions en cours.
Elles sont également difficilement reconstituables par d’autres moyens, très loin de ce que permettent les cookies ou les identifiants publicitaires. Un cookie peut être supprimé, un identifiant réinitialisé, une conversation offre une profondeur d’analyse nettement supérieure.
Dans un contexte où les régulations sont concentrées sur l’accès aux données traditionnelles, cette nouvelle matière première apparaît comme une alternative particulièrement attractive.
Une zone grise réglementaire persistante
D’autant que la collecte de conversations IA via des extensions s’inscrit dans une zone grise juridique. Le consentement est souvent implicite, dilué dans des conditions d’utilisation peu lisibles, voire pas lues. D’autant que les mises à jour logicielles peuvent introduire de nouvelles fonctionnalités sans information explicite de l’utilisateur.
La question de la finalité du traitement se pose avec acuité. Les plateformes de distribution, comme le Chrome Web Store ou Edge Add-ons, jouent un rôle de tiers de confiance, sans pour autant pouvir assurer un contrôle continu du comportement réel des extensions après leur validation.
Un risque sous-estimé pour les entreprises
Pour les entreprises, le risque est à ce jour peu identifié, et c’est l’objet de cet article que de sensibiliser les direction générales à ce sujet critique. Les conversations avec les IA mélangent fréquemment données personnelles, informations de l’entreprise, réflexions stratégiques ou informations clients. Chacun aura compris que ce ne sont pas les modèles d’IA qui posent ici problème, mais l’environnement dans lequel ils sont utilisés.
S’il est aujourd’hui nécessaire de restreindre l’usage des extensions, à durcir les configurations des navigateurs pour privilégier des environnements IA cloisonnés, la sensibilisation et la formation des collaborateurs sur ce sujet s’avèrent le meilleur moyen de s’en protéger.






