L’Europe ne veut plus dépendre des États-Unis pour les images SAR : ICEYE lève 200 millions d’euros
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L’imagerie radar spatiale devient un enjeu de souveraineté pour les États européens et la montée en puissance d’ICEYE, opérateur finlandais spécialiste du radar à synthèse d’ouverture, s’inscrit dans ce changement de posture. Les images SAR, exploitables de jour comme de nuit et insensibles aux conditions météorologiques, constituent aujourd’hui l’un des outils les plus stratégiques du renseignement civil et militaire. Elles permettent de suivre des mouvements d’équipements, de surveiller des zones d’intérêt, d’observer des infrastructures critiques ou de documenter des catastrophes naturelles. Jusqu’à récemment, ces capacités restaient dominées par les acteurs américains, dont l’Europe cherche désormais à réduire la dépendance.
ICEYE s’est rapidement imposée comme un acteur central de cette recomposition. Avec 62 satellites déjà lancés, l’entreprise opère la plus grande constellation SAR au monde. La cadence et la couverture orbitale ouvrent à ses clients européens l’accès à une imagerie quasi continue, élément essentiel pour les armées, les agences civiles et les institutions financières qui intègrent ces données dans leurs modèles de prévision. La capacité de revisite est devenue un critère décisif et conditionne la réactivité opérationnelle. En multipliant les plateformes en orbite, ICEYE rend possible une observation répétée de la même zone en quelques heures.
ICEYE développe une génération de satellites dits software-defined dont les fonctions évoluent par mises à jour depuis le sol. Cette approche augmente l’agilité de la constellation et réduit la dépendance au renouvellement matériel. L’ambition est d’atteindre un rythme de production d’un satellite par semaine dès l’année prochaine. La multiplication des commandes émanant de pays européens est en ligne avec le plan de développement. L’entreprise collabore avec les forces armées polonaises, l’armée de l’air portugaise, l’armée de l’air royale néerlandaise, le programme spatial grec et les forces de défense finlandaises. Un accord distinct concerne la fourniture de données SAR au Commandement des opérations alliées de l’OTAN.
Les déclarations accompagnant le nouveau financement éclairent également l’évolution du rapport de force technologique. Rafal Modrzewski, co-fondateur et CEO d’ICEYE, indique que la technologie SAR de l’entreprise constitue une capacité essentielle pour les gouvernements, offrant des informations rapides et fiables lorsque cela est crucial. Il affirme être fier de renforcer le partenariat avec la France et estime que le pays constitue un pilier des ambitions européennes. Il met en avant une collaboration étroite avec des fournisseurs et innovateurs français pour consolider les capacités souveraines et accélérer le développement d’une intelligence spatiale avancée en Europe. ICEYE entretient depuis longtemps des liens stratégiques, économiques et industriels solides avec l’écosystème spatial français.
Cette stratégie s’inscrit dans un contexte géopolitique tendu. L’Europe doit surveiller des zones maritimes de plus en plus sollicitées, suivre l’évolution des infrastructures énergétiques, documenter les conséquences du changement climatique et analyser des théâtres de conflit proches de ses frontières. L’indépendance d’accès à la donnée devient un paramètre central. La maîtrise des capteurs, des constellations et du segment sol ne détermine pas seulement les capacités militaires.
Les prochaines années diront si cette consolidation peut produire un véritable écosystème européen du renseignement spatial, structuré autour d’acteurs capables d’allier cadence de production, précision technologique et déploiement souverain. L’équation reste ouverte. ICEYE occupe désormais une position qui permet à l’Europe de reconfigurer ses dépendances, mais les investissements nécessaires pour atteindre une autonomie robuste demeurent considérables.
ICEYE annonce une levée de fonds de 200 millions d’euros en série E, majoritairement en augmentation de capital, portant la valorisation de l’entreprise à 2,4 milliards d’euros. Le tour est mené par General Catalyst, avec la participation de Bpifrance via Large Venture, A.P. Moller Holding, Vinci (BGK Group), RiO Family Office, Solidium, Ilmarinen, European Tech Collective, Keva, Lifeline Ventures, Tesi, Varma Mutual Pension Insurance Company et Peter Sarlin. Fondée par Rafal Modrzewski et Pekka Laurila, la société concentre ses activités sur le développement et l’exploitation de satellites radar à synthèse d’ouverture et sur la fourniture de services d’intelligence géospatiale aux gouvernements et aux acteurs privés.
Plusieurs acteurs européens occupent déjà le terrain du monitoring satellitaire, chacun avec un positionnement spécifique qui éclaire le contexte concurrentiel dans lequel évolue ICEYE avec notamment la startup portugaise Spotlite. En Allemagne, liveEO s’est imposé auprès des opérateurs ferroviaires, énergétiques et pétroliers grâce à une suite logicielle centrée sur la gestion des risques liés au sol et à la végétation. En France, Kayrros exploite des volumes massifs d’imagerie et de données géospatiales pour fournir des analyses prédictives à l’industrie de l’énergie et à des institutions publiques, avec une offre plus large mais qui recoupe certains usages de surveillance d’actifs. Promethee Earth Intelligence, également en France, développe une constellation dédiée et des services d’intelligence géospatiale appliqués à la sécurité et aux infrastructures critiques. À ces acteurs s’ajoutent plusieurs fournisseurs européens de capteurs radar ou optiques, comme comme ReOrbit dont les données alimentent des services de monitoring similaires. Dans cet environnement, Spotlite se distingue par un focus étroit sur l’intégrité structurelle et géotechnique des infrastructures, un segment qui requiert des modèles d’analyse plus spécialisés et une compréhension fine des mécanismes de déformation.






