Comment les indépendantistes catalans usent du numérique contre Madrid
AFP
« Le roi et sa fille arrivent dans deux avions (…) Ils auront trois voies de sorties»: alerte lancée par les hackers indépendantistes d’Anonymous Catalonia, qui se livrent à une guérilla numérique que Madrid tente de contrer avec un contrôle controversé d’internet. Le message a été envoyé dimanche à 19H33 (18H33 GMT) lors de l’arrivée de Felipe VI à l’aéroport de Barcelone (nord-est de l’Espagne) aux 255 000 abonnés du groupe sur la messagerie chiffrée Telegram pour coordonner les manifestations hostiles au souverain, honni par les séparatistes. Le lendemain, des milliers de militants ont conspué la monarchie espagnole et gêné l’accès des invités à une cérémonie que présidait le roi, alors que le groupe indiquait sur Telegram les portes ou les rues à bloquer.
Déclinaison de l’organisation de hackers Anonymous, qualifiée de « menace » par l’OTAN, Anonymous Catalonia a développé un logiciel, digne du contre-espionnage, analysant et rediffusant les photos et coordonnées GPS fournies par ses sympathisants pour localiser ses cibles politiques et suivre les mouvements les forces de l’ordre. Ces activistes ont aussi piraté récemment les boîtes mails de magistrats de la Cour suprême espagnole, qui a condamné mi-octobre neuf dirigeants séparatistes à de lourdes peines de prison. Cette sentence a entraîné de nombreuses manifestations, dont certaines ont dégénéré en violences.
Blocage de sites internet
Telegram et des applications nécessitant un code QR pour être activées ont amplifié la mobilisation, comme lors du blocage de l’aéroport de Barcelone à l’appel de la mystérieuse plateforme « Tsunami Democratic », une autre organisation qui inquiète Madrid. La justice espagnole a ouvert une enquête contre cette organisation accusée de « terrorisme » et envoyé à Microsoft « une ordonnance pour solliciter la saisie des données» hébergées par Tsunami sur la plateforme GitHub du géant américain.
Selon Microsoft, seules la Chine et la Russie avaient formulé jusqu’ici de telles requêtes de saisie des données. Mais Tsunami Democratic est toujours présent sur internet, notamment grâce à des sites hébergés sur des serveurs à l’étranger. Pour contrer les activistes, le gouvernement a publié en urgence mardi un décret l’autorisant à fermer des sites sans feu vert de la justice en cas de « menace grave et immédiate à l’ordre public».
« République digitale »
Plus largement, ce décret vise aussi à enrayer le projet des séparatistes de bâtir dans le cloud une « République digitale », présentée comme « le meilleur outil pour contrôler le territoire et rendre effective la république catalane» après l’échec de leur tentative de sécession en 2017.
Inspiré par la e-administration en Estonie, ce projet vise à créer une « identité digitale catalane» pour les citoyens de la région, qui pourraient ainsi voter ou avoir une carte d’identité catalane. « Il n’y aura pas d’indépendance online ou offline», a martelé fin octobre le chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez, dont le décret suscite la controverse. La présidente de l’Association des internautes espagnols, Ofelia Tejerina, a ainsi dénoncé auprès de l’AFP son caractère « très générique» qui « introduit une limitation de l’exercice de droits fondamentaux comme la liberté d’expression, la liberté d’information ou le secret des communications».
Tsunami Democratic a pour sa part critiqué dans un courriel à l’AFP « une mesure extraordinaire » prise « sans passer par le parlement » pour « réduire les droits fondamentaux». « Il ne s’agit pas de fermer internet», s’est défendu jeudi M. Sanchez, mais « de mettre un point final à ce projet d’indépendance de la république digitale», qui fait une utilisation « détournée » des données personnelle des Catalans « pour promouvoir des référendums numériques» ou la création d’institutions parallèles.
Afin de contourner les risques de blocage, les indépendantistes utilisent des services basés hors de l’Union européenne dans des pays considérés comme des « paradis digitaux ». Selon des documents consultés par l’AFP, le premier site de Tsunami a été ainsi hébergé par une entreprise domiciliée dans l’archipel antillais de Saint-Christophe-et-Niévès, également utilisée par le « Conseil de la république catalane », sorte de gouvernement séparatiste en exil lancé par l’ancien président régional Carles Puigdemont. Tsunami Democratic se sert aussi de la messagerie électronique suisse ProtonMail que seule une décision judiciaire suisse peut obliger à divulguer des informations.