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Change Management : comprendre la théorie de Kotter avec le réchauffement climatique

Par Jean-Louis Benard, expert FrenchWeb

La plupart des grandes entreprises sont confrontées à l’une des phases les plus difficiles de leur transformation. Il ne s’agit plus seulement de revoir la relation client sous un angle omnicanal, de faire évoluer les processus, le système d’information, etc. Il s’agit de faire migrer des dizaines voire des centaines de milliers de collaborateurs sur la voie du changement. Non pas un changement ponctuel, une « simple » digitalisation, mais un changement permanent, devenu finalement la constance : ce qui ne changera plus, c’est le fait que tout changera.

Beaucoup d’entreprises se donnent l’illusion qu’elles changent, par une politique de petits pas, d’effets d’annonce, mais ne modifient pas réellement une trajectoire qui finit par un mur. Faire changer une organisation globale est extrêmement difficile.Apple-converted-space »>  A chaque fois que je parle des difficultés du Change Management à mes interlocuteurs, le sujet reste d’ailleurs souvent abstrait. Je lis dans leur regard une espèce d’incompréhension. La première des difficultés, c’est que les gens n’appréhendent pas concrètement les difficultés.

Ces difficultés sont pourtant connues. Elles ont été remarquablement théorisées par John P. Kotter, via un article majeur paru en 2007 dans la Harvard Business Review, « Leading change: why transformation efforts fail ». John P. Kotter identifie une démarche en 8 étapes pour réaliser avec succès un changement, et, en regard de ces étapes, 8 difficultés majeures qui rendent ce changement si complexe. John P. Kotter a parfois été critiqué pour une vision un peu trop réductrice des problèmes ; pour ma part, tous les échecs que j’ai observés durant ma vie sur des sujets de changement retombaient dans l’une de ces 8 catégories.

Pour les illustrer, je prends souvent l’exemple – dramatique hélas – du réchauffement climatique et de la destruction progressive de la planète. Car dans cette catastrophe qui se déroule sous nos yeux, ces difficultés apparaissent de manière criante.

Incapacité à créer un sens de l’urgence

C’est le drame de toutes les entreprises qui n’arrivent pas à changer, ou qui changent trop tard. Cette conviction qu’il y a encore du temps devant soi, qu’il est possible de repousser les changements souvent douloureux. Dans le cas du réchauffement climatique, c’est probablement l’obstacle majeur. La planète subit des transformations irréversibles mais dont les résultats ne se font réellement sentir que plusieurs années ou dizaines d’années plus tard. Pour les dirigeants comme pour la population, les difficultés immédiates, quotidiennes, les intérêts court termes prennent inévitablement le dessus. Seuls des événements « forts » déclenchent le sens de l’urgence. La mort d’un proche du fait de la canicule, une inondation dévastatrice, ces lieux de vacances paradisiaques devenus des dépotoirs, ces espèces d’animaux qui disparaissent à jamais. Mais, pour les entreprises comme pour la planète, ces événements dramatiques qui créent enfin le sens de l’urgence se déclenchent dans une phase terminale où dès lors, même la meilleure volonté et la plus grande débauche de moyens ne suffisent plus à redresser la barre. Comme le résume finalement assez bien Jean-Marie Bigard, c’est au pied du mur qu’on voit le mieux le mur.

Incapacité à créer une coalition suffisamment forte pour guider le changement

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le changement en entreprise ne s’impose pas par la seule volonté et l’implication du top management. Pour plusieurs raisons : d’abord parce que c’est souvent dans le top management qu’on trouve les personnes les plus réfractaires, obnubilées par des résultats financiers trimestriels court terme qui conditionnent leur place au sommet de la pyramide. C’est aussi parce que les collaborateurs ne se reconnaissent pas dans le top management. Ils ont besoin d’être guidés par des leaders d’opinion qu’ils écoutent, ou par des gens « comme eux » qui embrassent le changement. La coalition doit néanmoins intégrer des gens puissants qui vont pouvoir – nous y reviendrons – lever les obstacles. Dans le cas du réchauffement climatique, pas de surprise : la plupart des dirigeants, du fait des pressions des élections notamment, privilégient les intérêts court-terme et déploient des politiques au mieux inefficaces, au pire à contre-sens même de ce qu’il faudrait faire. Des coalitions fortes regroupant chefs d’état de tous pays, leaders d’opinions (sportifs, artistes, représentants de communautés…) qui organisent et structurent les changements nécessaires pour la planète, il n’en n’existe pas et il n’en existera probablement jamais. Seules des initiatives locales, portées par un ou plusieurs leaders, se développent mais elles sont insuffisantes pour insuffler un changement global.

Manque de vision

La vision que l’on propose comme aboutissement du changement est déterminante pour motiver le plus grand nombre. Plus cette vision est motivante, concrète, plus les gens peuvent se projeter et imaginer comment ils s’inscrivent dans cette vision, et plus ils sont prêts à changer. Ce n’est pas simplement la vision de l’étape ultime, mais aussi des étapes intermédiaires. Ce n’est pas seulement le point d’arrivée qu’on souhaite voir avant de se mettre en marche. C’est aussi le chemin. La construction de la vision est extrêmement difficile pour une entreprise tant l’avenir est fait d’incertitudes. Les dirigeants, happés par les problèmes court-terme, n’arrivent souvent pas à s’extraire pour la construire. C’est parfois simplement parce que les actionnaires ont préféré mettre à la tête de l’entreprise des gestionnaires plutôt que des visionnaires. Pour ce qui concerne le changement climatique, aucune vision n’est formulée aux populations. On est encore dans la phase de création du sens de l’urgence. Nos réseaux sociaux sont abreuvés de vidéos nous montrant l’apocalypse qui se prépare. C’est important, mais il faut également construire une vision positive de ce que peut être un monde post changement.

Manque de communication de la vision

Il est pourtant des cas où cette vision existe. Dans la tête du dirigeant par exemple. Où dans celle du premier cercle. Mais elle est insuffisamment communiquée. John P. Kotter aime à dire qu’il faudrait communiquer 10 fois plus que ce qu’on pensait faire, tellement le message a du mal à se faire entendre. Mais quand cette vision est inexistante, le problème de la communication n’en est plus un.

Ne pas traiter efficacement les obstacles au changement

La résistance au changement est toujours forte. Pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Récemment, Philippe Silberzahn prenait l’exemple de la tragédie des colons du Groënland, morts de faim alors qu’ils habitaient au bord d’une mer grouillant de poissons. Plus qu’une « résistance », la confrontation des modèles mentaux, la façon dont on perçoit les autres et dont on se perçoit soi-même, est l’obstacle.

Dans le cas de la préservation de notre planète, ces obstacles sont légions. La complexité c’est qu’ils ne peuvent être traités globalement. Ils nécessitent une adaptation au contexte local, aux spécificités. Les avocats de l’immobilisme ont le rôle facile. Ils dénoncent les effets négatifs immédiats du changement : mise en difficulté de certaines industries, renoncement à des éléments culturels fondateurs qui font partie du modèle établi. Quand ce n’est pas le « droit à détruire la planète au moins à même hauteur que d’autres » qui est évoqué. Impossible de balayer du revers de la main ces confrontations de modèles.

Ne pas systématiquement planifier et réussir des victoires court terme

Réussir à mobiliser une entreprise entière pour qu’elle change est impossible sans donner aux individus des victoires concrètes, qui permettent de matérialiser les efforts accomplis. Ce ne sont pas des « petits pas », ce sont des victoires séquencées, étapes d’un plan ambitieux. Nicolas Hulot proposait récemment de s’attacher à faire reculer le jour de l’année à partir duquel la planète « vit sur ses réserves », un jour qui ne cesse d’avancer. Un exemple concret, palpable, d’une victoire possible à l’échelle planétaire. Quelque chose qui pourrait être célébré et marquer les esprits.

Déclarer victoire trop tôt / Ne pas ancrer le changement dans la culture.

Ces deux dernières difficultés ne sont pas les moindres, mais dans la plupart des cas l’entreprise n’arrive même pas au stade d’y être confrontée, tant elle est figée dans un immobilisme profond.

C’est le cas de l’entreprise Terre, qui se pense parfois sauvée grâce à quelques effets d’annonce, quelques timides petits pas dans la bonne direction, tellement loin de l’énergie qui devrait en réalité être mobilisée. Chacun se préoccupe de ses problèmes immédiats ; les fans de Game of Thrones assistent médusés à l’arrivée des morts vivants et à l’incapacité des touts puissants à s’unir contre ce véritable ennemi, sans réaliser que cette histoire se joue en ce moment dans le réel. Cette histoire c’est celle de la Terre.

A la lumière de John P. Kotter, la démission de Nicolas Hulot ne résonne pas comme un « échec personnel », ce que voudraient faire croire certains. Ni comme une simple incapacité du gouvernement du moment, comme le clament d’autres. 

Comme l’explique Claude Askolovitch dans Slate, Nicolas Hulot « part parce que nous allons mourir et il se résigne à l’idée qu’il ne l’empêchera pas ». Nicolas Hulot a compris qu’il n’y a ni sens de l’urgence, ni coalition, ni vision, ni traitement des obstacles que ce soit localement ou globalement sur cette planète. Nicolas Hulot part parce qu’il a compris que nous allions mourir, et sa démission médiatique résonne surtout comme une ultime tentative de créer un « sens de l’urgence ».

L’expert:

Jean-Louis Bénard est co-fondateur et CEO de Sociabble, une plateforme utilisée dans plus de 80 pays, qui permet aux entreprises de bien informer et d’engager les collaborateurs, pour qu’ils deviennent des ambassadeurs. Il est également Chairman de Brainsonic, une agence qu’il a fondée en 2003. Auteur ou co-auteur de plusieurs ouvrages dont Extreme Programming (Eyrolles), il est par ailleurs investisseur dans plusieurs startups françaises.

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2 commentaires

  1. Il est utile de préciser les observations concernant le climat et la crédibilité des perspectives multidécennales. Tout d’abord, arrêtons de dire qu’il faut sauver la planète, car cela n’a aucun sens : la planète ne risque rien, car, quoi que nous fassions, elle se porte fort bien et elle mourra de sa belle mort dans quelques milliards d’années, quand le soleil sera devenu une géante rouge. On nous raconte n’importe quoi sur le climat (et l’énergie), et il faut savoir raison garder et exercer son esprit critique. Le terrible réchauffement du climat n’a été que de +0,7°C en 150 ans, à la suite de la fin du Petit Âge Glaciaire, et il a quasiment cessé depuis le début des années 2000 (le « hiatus » du GIEC/IPCC), les quelques pics de réchauffement ayant pour cause El Nino, événement naturel récurrent, mais la droite de tendance est à pente à peu près nulle. Ce plateau de température a lieu sur une période au cours de laquelle nous avons émis près de 40% de toutes nos émissions de CO2 depuis le début de l’ère industrielle, ce qui pose question sur la crédibilité d’une relation causale CO2 anthropique-T. Quant aux projections des modèles numériques, dont les divergences entre elles sont spectaculaires, elles ne cessent de diverger des observations, ce qui montre que la crédibilité de leurs projections multidécennales est nulle, tout comme les thèses hypothétiques du GIEC/IPCC, qui en constituent le cœur. J’ajoute que le CO2 n’est pas un polluant, comme on veut nous le faire croire, mais c’est le gaz de la Vue sur Terre, car il est indispensable à la photosynthèse, et, grâce au taux actuel de 405 ppm, faible au regard des taux des 600 derniers millions d’années, la planète reverdit et les récoltes sont meilleures. Vive le CO2 !

  2. Cela étant, il n’est pas admissible que le sens critique, le doute, qui sont nécessaires à la démarche scientifique, soient, en ce qui concerne le climat, considérés comme des tares et que ceux qui critiquent le dogme du réchauffement climatique anthropique (RCA) avec des arguments sérieux soient traînés dans la boue et même, injure suprême, qualifiés de négationnistes. Le dogme du RCA est ainsi, au fil des années, devenu une nouvelle religion qui s’appuie sur la pseudo-science du GIEC (celle du résumé pour les décideurs, document sans aucune valeur scientifique) et qui ne supporte pas la moindre critique fût-elle solidement argumentée. Une nouvelle Inquisition, quoique moins radicale que l’ancienne (pour le moment…) est en marche et nous avons du souci à nous faire pour la liberté de parole et d’analyse.

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