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Épisode 3 – Revitaliser le retail : du digital et des hommes

Par Fabien Giuliani, Doctorant en prospective chez Conservatoire National des Arts et Métiers

Si le retail non alimentaire fut le premier segment de la distribution fortement impacté par le digital, la distribution alimentaire a été épargnée en raison de ses fortes spécificités. Néanmoins, tous deux sont confrontés aujourd’hui à une problématique similaire : celui de la baisse d’attractivité des points de vente physique. Cette année, le Paris Retail Week, (10-12/09/2018) a mis à l’honneur le Smart Phygital, annoncé comme véritable révolution et solution à la problématique de dévitalisation des commerces. Bien que prometteuse, cette vague d’innovation ne constituera qu’un aspect du renouvellement de l’expérience utilisateur.

À travers cette trilogie, j’explore le renouvellement de la proposition de valeur de la grande distribution alimentaire. Le premier acte s’attache à illustrer l’impact sur les points de vente de la concurrence entre offres physique et digitale. Le second montre comment phygitalisation et recontextualisation concourent à la revitalisation du retail physique. Le dernier étudie les modalités d’une articulation harmonieuse des deux canaux à travers l’étude du cas de Casino.

Acte 3 – À la recherche du mix expérienciel parfait : décryptage de la stratégie digitale de Casino

Les spécificités du marché parisien de la distribution alimentaire confèrent à ce dernier un statut de laboratoire propre à l’expérimentation de solutions de distribution innovantes destinées au marché français. La capitale compte par exemple 11 m² de magasins bio pour 1 000 habitants, plus du double de la moyenne nationale. Le commerce alimentaire de proximité s’y révèle particulièrement dynamique :Apple-converted-space »>  entre 2005 et 2015, le nombre de magasins de plus de 100 m² a plus que doublé, passant de 307 à 649. La part des dépenses consacrées aux magasins de proximité dans le budget des ménages parisiens y est 5 fois plus élevée que la moyenne nationale. Le consommateur parisien semble donc à tous égards à même d’intégrer des services innovants, quitte à accepter un coût plus important.

La très médiatique alliance entre Amazon Prime Now et Monoprix a attiré l’attention des observateurs sur la stratégie d’un groupe Casino positionné comme un grand animateur de la digitalisation du retail français. Les trois enseignes majeures du groupe (Franprix, Monoprix et la chaîne éponyme) disposent d’environ 5,5% du commerce de distribution français, mais sont très présentes à Paris où leurs parts de marchés cumulées avoisinent les 50%. Afin de négocier le virage digital, le groupe Casino a recours à une stratégie duale : à la digitalisation de la partie commodity goods répond une logique de revitalisation des points de vente.

La livraison à domicile comme porte d’entrée digitale

La maitrise de la logistique fait figure de priorité pour endiguer les efforts des concurrents traditionnels Carrefour et Leclerc qui se sont récemment montrés très offensifs sur le marché parisien des livraisons de courses à domicile. Casino doit également veiller à limiter les pertes de parts de marchés issues de la concurrence indirecte des plateformes de livraisons de plats préparés comme Deliveroo ou Uber Eats, dont la proposition de valeur est partiellement substituable à celle des distributeurs. Pour parer à cette double menace, Casino procède par alliance sur le segment de la livraison de course à domicile. Dès 2015, Franprix et Cdiscount s’entendent pour mettre à disposition des commandes alimentaires des internautes dans le magasin Franprix le plus proche du domicile. En 2018, un accord avec Amazon Prime Now permet à Monoprix de fournir à ses clients une livraison express en une à deux heures seulement.

Cette stratégie d’alliance sur le dernier kilomètre offre au groupe stéphanois le temps nécessaire au déploiement d’une solution interne, attendue au deuxième trimestre 2019, permettant de répondre aux commandes des ménages de toute la région parisienne. L’entrepôt dernier cri de 36 000 m2, implanté à Fleury-Mérogis, qui constituera la pièce maitresse du dispositif de livraison, est basé sur la technologie goods-to-person développée par Ocado. Ce cybermarché britannique, allié à Casino depuis 2017, est réputé pour fournir quelque 300 000 livraisons par semaine et expédier 1,7 millions de produits par jour.

Entre contextualisation et phygitalisation

L’approche de Casino ne néglige pas les points de vente physique, pensés comme des lieux de vie à part entière plutôt que comme des lieux de passage. Le distributeur s’est ainsi engagé très tôt dans un double mouvement de recentrage vers les centres-villes et de diminution de la taille moyenne de ces derniers. Cette volonté se traduit par la multiplication d’expériences juxtaposées : vente de pain cuit sur place, viennoiseries, jus d’orange pressé devant le client, plats chauds le midi, services de bornes d’envoi d’argent Western Union, possibilité de manger ou de recharger son téléphone portable sur place, recours aux services de maraîchers…Apple-converted-space »>  Porte-étendard de ce mouvement, la chaîne premium Monoprix voit ses offres s’élargir notamment en termes de fooding, d’habillement et de décoration. Des collections plus haut de gamme, renouvelées plus fréquemment, et la commercialisation de créations temporaires en partenariat avec de grandes enseignes (collaboration – Le patrimoine français – hiver 2018) visent à susciter l’intérêt des consommateurs. Il existe certes quelques aménagements phygitaux, comme la mise en service de l’application Monoprix permettant de scanner ses articles pour éviter le passage en caisse, ou l’utilisation d’assistant conversationnel comme Amazon Echo pour éditer les listes de course. Mais ceux-ci sont conçus davantage comme des périphériques que comme une base de renouvellement de l’offre : la bataille digitale aura lieu en back, et les ressources humaines seront mobilisées à la constitution d’une expérience front à forte valeur ajoutée.

Inauguré début octobre, le concept « 4 Casino » illustre la vision phygitale du groupe : celle d’un point de vente technologisé – les caisses y sont automatiques – et habité d’un esprit user centric plaçant l’humain au cœur du dispositif. En plus des traditionnels rayons frais et de l’épicerie sèche, le concept inclut bar à croque-monsieur, bar à vin, épicerie fine, showroom du site Cdiscount… Facilités de paiement, application Casino, assistants vocaux y sont convoqués afin de procurer une expérience utilisateur unique en France, évoquant la fusion entre la technologie et l’ambiance des grands magasins parisiens : Amazon Go y rencontre Au Bonheur des Dames.

La posture Groupe Casino est emblématique d’une tendance actuelle : celle de la tension entre inflation technologique et nécessité de construction d’une expérience human centric. En ne s’inscrivant ni dans le tropisme digital d’Amazon Go, ni dans l’obsession de la baisse des prix, le distributeur indique qu’il parie sur sa capacité à susciter un attachement autour de ses marques et de ses points de vente physique sans négliger les services périphériques comme la livraison.

Ouverture

Afin d’accélérer leur transformation digitale et répondre aux défis d’un secteur devenu expérienciel, les enseignes devront apprendre à collaborer davantage avec des acteurs externes, à l’image des start-ups plus à mêmes de générer de l’innovation. L’une des difficultés consistera à concilier l’agilité des jeunes pousses et l’inertie des grands groupes. L’inventivité de ces start-up se retrouve dans tous les métiers de la distribution : le marketing, le paiement, la logistique, l’équipement des magasins ou encore les outils de gestion. Certaines propositions de valeurs de celles-ci se révèlent prometteuse (lecture des tickets de caisse, plateforme de commande-livraison depuis des commerces de proximité, livraison de panier recette…). Charge aux distributeurs d’identifier les leviers qu’ils souhaitent actionner pour accélérer sur ces sujets.

Le contributeur :

Conférencier et doctorant en science de gestion, Fabien Giuliani étudie le lien entre veille stratégique et prospective. Ses travaux de recherche visent en particulier à mettre en lumière les utilisations de l’intelligence artificielle dans le domaine de l’intelligence économique.

Fondateur du cabinet Demain la Veille, il conseille les entreprises en termes de stratégie de transformation digitale et de gestion de l’information stratégique. Les mutations liées à l’économie digitale sont sa thématique de prédilection.

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