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Faute de racheter ses champions technologiques, l’Europe voit la valeur qu’elle développe partir ailleurs

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L’édition 2025 du State of European Tech d’Atomico met en lumière un angle mort de l’écosystème tech européen, qui pèse lourd sur la compétitivité du continent : si l’Europe crée des startups, elle ne les rachète pas. Ce problème est aujourd’hui l’un des principaux freins à l’émergence de leaders mondiaux. Si l’écosystème européen a atteint une maturité incontestable avec plus de 40 000 entreprises tech, une base de talents comparable à celle des États-Unis, et une dynamique entrepreneuriale qui ne cesse de s’affirmer, au moment crucial où une entreprise doit consolider sa position ou accéder à la liquidité, l’Europe se retrouve sans relais interne.

La conséquence est que l’europe ne capte que 10 % de la valeur mondiale des exits technologiques. Non pas parce que ses startups sont moins performantes, mais parce que les acquéreurs potentiels du vieux continent restent largement en retrait. Ainsi les opérations les plus significatives continuent d’être menées par des groupes américains ou asiatiques, plus rapides, plus capitalisés et surtout plus familiers des stratégies d’acquisition comme moteur de croissance. Les pépites européennes changent de pavillon plus tôt que dans le reste du monde, les centres de décision se déportent hors du continent, et les liquidités issues de ces transactions alimentent des écosystèmes concurrents au lieu d’irriguer la scène européenne.

Les grands groupes européens adoptent une approche trop prudente du capital, privilégient les bilans maîtrisés et restent attachés à l’idée que la technologie doit être développée en interne. Cette posture, héritée d’une tradition industrielle, les place en décalage face à leurs concurrents américains, pour qui le M&A constitue un levier naturel de consolidation, et d’innovation. Le rapport souligne également que seules 20 % des grandes entreprises européennes collaborent réellement avec des startups, contre 50 % aux États-Unis. Sans relation préalable, les acquisitions deviennent plus difficiles, plus risquées et plus tardives, lorsqu’elles ne deviennent pas tout simplement impossibles.

Le manque de M&A interne fragilise particulièrement les scaleups. Au moment où elles cessent d’être des startups et doivent accélérer à l’international, elles se heurtent à un mur : des tours late-stage insuffisants, des marchés boursiers trop fragmentés, et une absence quasi totale d’acquéreurs européens capables de prendre le relais. Beaucoup finissent par lever à des valorisations inférieures à leur potentiel, ralentissent leur développement, et se tournent vers des fonds américains, ou choisissent une cotation hors d’Europe. À ce stade, c’est toute la propriété intellectuelle, la chaîne de valeur et le potentiel industriel du continent qui s’érodent.

Selon le rapport d’Atomico, l’Europe n’est pas seulement pénalisée par son manque d’acquéreurs, elle se prive également des effets d’entraînement qui font la force des écosystèmes prospères. Les exits locaux alimentent traditionnellement la prochaine génération de fondateurs, enrichissent les compétences managériales, renforcent les équipes dirigeantes et permettent aux employees stock options de se transformer en capital réinvesti dans de nouveaux projets. En l’absence d’un marché de fusions-acquisitions actif, cette mécanique vertueuse reste sous-développée.

La prochaine décennie sera décisive. Si le continent veut prétendre à un leadership durable, il devra se doter d’un véritable marché de M&A interne, capable de soutenir ses entreprises et de protéger la valeur créée sur son sol. Cela suppose une évolution du comportement des grands groupes européens, une harmonisation réglementaire qui facilite les rapprochements transfrontaliers, et un changement culturel profond où l’acquisition devient un outil stratégique, et non une décision par défaut.

L’Europe dispose des startups, des talents et des technologies. Sa chaîne de financement se densifie, et ses atouts dans la deeptech constituent un avantage stratégique décisif, un domaine où nous partons fort, contrairement à la précédente vague dominée par le SaaS et le cloud, où nous étions structurellement en retard. Mais il lui manque encore l’essentiel: une volonté collective de transformer ces avancées en champions industriels. Tant que le continent ne se dotera pas d’acquéreurs européens capables d’agir vite et à grande échelle, la création de valeur continuera de partir ailleurs.

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