
IA en entreprise, la jurisprudence française qui change la donne, et pas dans une moindre mesure.
Une ordonnance du 14 février 2025 du tribunal judiciaire de Nanterre pose comme norme que le déploiement d’un outil d’intelligence artificielle en entreprise sans consulter le CSE constitue une infraction aux obligations de l’employeur, et ce même à l’état de test ou de phase pilote.
Au cœur du litige, une entreprise ayant lancé un système algorithmique sans avoir engagé de procédure de consultation, malgré les relances du CSE. Ce dernier a saisi le juge des référés, réclamant la suspension du déploiement, une ouverture de consultation, et des dommages et intérêts. Le tribunal a tranché, la suspension est ordonnée, et l’entrave aux prérogatives du CSE est reconnue, avec des réparations financières à la clé.
Ce jugement, fondé sur l’article L.2312-15 du Code du travail, précise que même une phase pilote d’un outil IA constitue une “mise en œuvre” et non une simple expérimentation. Il impose que le CSE puisse se prononcer avec un délai d’examen suffisant, sur la base de documents précis et écrits fournis par l’employeur. À défaut, les élus peuvent saisir le tribunal pour exiger la communication des informations manquantes.
❝ Même une expérimentation interne de courte durée peut constituer une mise en œuvre anticipée illégale si elle concerne les salariés et n’a pas fait l’objet d’un avis formel du CSE, sur la base d’une documentation complète. ❞
👉 Dans ce cas précis, le tribunal a suspendu le déploiement des outils IA, et infligé une astreinte de 1 000 euros par jour pendant 90 jours en cas de non-respect, et condamné l’employeur à verser 5 000 euros pour atteinte aux prérogatives du CSE ainsi que 2 000 euros pour les frais de justice.
Derrière cette décision se joue une évolution majeure du droit social, à savoir que l’intelligence artificielle n’est plus considérée comme un sujet uniquement technique ou stratégique, mais comme un élément structurant de l’organisation du travail, à ce titre soumis au dialogue social.
Pour les entreprises, cela signifie que tout projet IA ayant un impact potentiel sur les conditions de travail doit être intégré dans la feuille de route RH, au même titre qu’un plan de réorganisation. En pratique, cela implique une documentation transparente sur les finalités de l’outil, les données traitées, les critères de décision automatisée, les mesures d’accompagnement.
Les directions générales, DSI et DRH devront désormais anticiper ce dialogue pour éviter blocages, recours judiciaires et perte de confiance. Cet arrêt rappelle que l’IA en entreprise doit se gouverner, se justifier et se discuter.
- Ce que gagnent vraiment vos investisseurs, ou comprendre la mécanique de rémunération des sociétés de gestion - 12/05/2025
- Probabilistic programming : une alternative sérieuse aux limites du deep learning? - 12/05/2025
- Lutte contre le piratage, ce que les réponses des GAFAM disent de leur stratégie géopolitique - 12/05/2025