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Les États-Unis peuvent-ils conserver le leadership mondial en IA ?

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Jeudi dernier, le Sénat américain a organisé une audition stratégique sur l’avenir de l’intelligence artificielle, réunissant plusieurs figures majeures de l’industrie : Sam Altman (OpenAI), Lisa Su (AMD), Michael Intrator (CoreWeave) et Brad Smith (Microsoft). À travers leurs témoignages, un constat s’est imposé : la domination technologique des États-Unis en matière d’IA est aujourd’hui réelle, mais sa pérennité est incertaine.

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Une révolution déjà en cours

L’intervention de Sam Altman campe le décor : « ChatGPT est utilisé par plus de 500 millions de personnes chaque semaine. Selon SimilarWeb, il est désormais le cinquième site le plus visité au monde. » Cette diffusion massive, inimaginable deux ans plus tôt, témoigne d’un changement de paradigme. L’IA générative n’est plus un prototype de laboratoire, elle est devenue un instrument quotidien d’information, d’apprentissage, de conseil médical, d’automatisation de tâches professionnelles.

Sam Altman insiste sur l’urgence de s’adapter à cette nouvelle échelle : « Je crois que la prochaine décennie sera dominée par deux formes d’abondance : l’intelligence et l’énergie. » Il évoque la construction en cours à Abilene, Texas, du plus grand centre d’entraînement de modèles d’IA au monde, une infrastructure appelée à devenir une pièce maîtresse pour les Etats Unis dans la compétition mondiale.

Le leadership technologique : un équilibre instable

Lisa Su, présidente-directrice générale d’AMD, partage le constat de Sam Altman, mais le nuance : « Les États-Unis sont en tête aujourd’hui, mais ce leadership n’est pas garanti. » L’avance américaine repose selon elle sur une chaîne de valeur complète qui s’étend de la fabrication de puces à l’architecture logicielle, en passant par les systèmes de calcul et les couches applicatives. Or, cet équilibre est fragile.

L’exemple des supercalculateurs américains illustre la coopération public / privé que Lisa Su considère comme essentielle. AMD alimente aujourd’hui les deux superordinateurs les plus puissants au monde (Frontier à Oak Ridge et El Capitan à Livermore), grâce à une collaboration étroite avec le Department of Energy. Ces infrastructures sont non seulement stratégiques pour la recherche fondamentale, mais également pour des enjeux de défense et de souveraineté.

Pour maintenir ce niveau, cinq priorités ressortent des interventions :

    1. Accélérer l’innovation, notamment via une infrastructure de calcul accessible au rythme de croissance du secteur.
    2. Préserver un écosystème ouvert, afin de faire émerger des idées de toutes parts.
    3. Renforcer la fabrication locale de semi-conducteurs, un domaine où les États-Unis sont encore dépendants de l’Asie.
    4. Former une nouvelle génération de talents IA, enjeu central face à la pénurie croissante de compétences.
    5. Gérer avec discernement les restrictions à l’export, car restreindre la diffusion mondiale pourrait ouvrir la voie à des technologies concurrentes.

CoreWeave : une démonstration d’accélération industrielle

Le témoignage de Michael Intrator, CEO de CoreWeave, a mis en lumière l’extrême rapidité de transformation du secteur. Fondée il y a seulement sept ans, l’entreprise exploite aujourd’hui plus de 250 000 GPU répartis dans une trentaine de datacenters, avec une puissance électrique de 360 mégawatts. Son chiffre d’affaires a bondi de 12 000 % en deux ans, atteignant 1,9 milliard de dollars en 2024. CoreWeave est entrée en bourse en mars 2025.

Cette trajectoire illustre une mutation plus large, celle d’un cloud d’un nouveau genre, spécifiquement conçu pour les charges de calcul IA. « Les workloads IA impliquent des milliards de calculs simultanés. Ils exigent des systèmes de refroidissement avancés, des réseaux ultra-rapides, des puces de dernière génération », explique Michael Intrator. Il insiste : « On ne peut pas faire tourner une économie du XXIe siècle avec une infrastructure du XXe siècle. »

Face à cette réalité, quatre axes d’action sont proposés :

    • Stabilité réglementaire et visibilité à long terme pour les investisseurs
    • Réforme des délais d’autorisation des projets énergétiques et datacenters
    • Accès mondial aux marchés pour éviter l’isolement technologique
    • Développement des compétences à travers des partenariats public / privé

L’interdépendance comme socle de la puissance américaine

Brad Smith, président de Microsoft, a conclu la session en soulignant que la performance des acteurs américains repose sur un enchevêtrement d’interdépendances. « Ce que chacun de nous accomplit dépend du succès des autres », a-t-il déclaré, en faisant référence aux autres intervenants. Il évoque le rôle des développeurs open source, des fournisseurs d’énergie, des techniciens, mais aussi des institutions éducatives et des autorités de régulation.

Brad Smith appelle à trois efforts coordonnés :

    1. Renforcer l’innovation via des investissements dans la recherche et l’infrastructure
    2. Favoriser la diffusion de l’IA dans l’ensemble de l’économie, notamment par la formation continue
    3. Maintenir une politique d’exportation cohérente, condition de l’influence mondiale

Dans une adresse directe à l’opinion publique, il pose une question centrale : « Essayons-nous de construire des machines qui surpassent les humains dans leurs métiers, ou des machines qui les aident à devenir meilleurs ? » Pour Brad Smith, la réponse est sans ambiguïté, le progrès technologique doit demeurer un levier d’émancipation individuelle.

64 Ko de mémoire collective

Madeleine de Proust, les témoignages d’ouverture ont fait appel à une mémoire collective propre à la culture tech. Sam Altman, Lisa Su et Michael Intrator ont tous trois évoqué leurs débuts sur des ordinateurs personnels dans les années 1980 ou 1990, comme une manière de rappeler que l’innovation découle souvent d’expérimentations modestes et personnelles, encouragées par un environnement très créatif.

Mais ce temps est révolu, l’IA mobilise désormais des chaînes logistiques entières, des gigawatts d’électricité, des investissements publics massifs et des arbitrages géopolitiques. Le mythe du « garage californien » doit désormais se transformer avec les réalités industrielles du « cluster texan ».

 

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