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eBooks en illimité: ce qui est illégal… Et ce qui ne l’est pas

Depuis quelques années, les offres d’abonnement donnant accès aux livres numériques ont fleuri en France. Parmi les offres grand public, l’éditeur français Publie.net a été pionnier en lançant la sienne en 2009, puis Youboox est arrivé en 2012. Youscribe s’est également positionné sur l’illimité en 2014. Enfin, le géant Américain Amazon a débarqué en décembre 2014 en France et commercialise une offre illimitée à 9,99 euros par mois. Existent aussi des offres spécialisées: Iznéo pour la BD, Storyplayr pour la littérature jeunesse (3-8 ans).

Une offre illimitée qui n’est pas du goût de tous. L’arrivée du géant américain a cristallisé les réactions de contestation contre ce type d’offres de la part de certains représentants d’éditeurs et d’auteurs, considérant qu’ils perdent la main sur le prix des ouvrages lorsque leurs titres sont inclus dans une offre globale illimitée (voir encadré « en savoir plus » ci-dessous). Pour l’aider à arbitrer ce différend, le ministère de la Culture a saisi le médiateur du livre, autorité administrative de trois personnes chapeautée par Laurence Engel, l’ancienne directrice du cabinet d’Aurélie Filipetti lorsqu’elle était ministre de la Culture. L’institution est chargée de la conciliation des litiges portant sur l’application de la législation relative au prix du livre.

Question principale: « Les offres d’abonnement sont-elles conformes à la loi de 2011 ? »

Le 9 février, dans son « avis sur la conformité des abonnements à la loi du 26 mai 2011 » la réponse tombe: « (…) la loi de 2011 s’applique aux abonnements. Il s’ensuit que les offres d’abonnement dont le prix n’est pas fixé par l’éditeur contreviennent aux dispositions législatives et devront, le cas échéant, être mises en conformité avec la loi ». Ce n’est toutefois pas le principe de l’abonnement illimité qui est mis en cause: « Il faut toutefois être très clair et éviter les raccourcis trompeurs : ni l’abonnement dans son principe, ni évidemment le streaming ne sont interdits par la loi » peut-on lire dans l’avis rendu au début du mois.

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Hélène Mérillon, cofondatrice de Youboox

Sa remise n’avait jusque là pas fait beaucoup de bruit jusqu’à la déclaration de Fleur Pellerin, ministre de la Culture, qui l’évoquait dans Le Figaro ce mercredi: « Toutes les offres d’abonnements actuellement sur le marché ne sont pas en conformité (…) Amazon va devoir mettre son offre Kindle Unlimited en conformité avec la loi ».

A ce sujet, la co-fondatrice et présidente de Youboox, Hélène Mérillon, considère que des modalités de fixation des prix doivent en effet être convenues entre les éditeurs et les sociétés qui commercialisent des abonnements en illimité. Pour elle, « l’objectif du rapport n’est pas de freiner l’innovation et les start-up françaises mais au contraire d’initier un processus pour dans le cadre duquel les éditeurs doivent s’adapter».

Hélène Mérillon insiste: « Nous sommes main dans la main avec les éditeurs pour les accompagner dans leur transformation digitale. Notre système permet de laisser la main à l’éditeur à tout moment, il peut gérer son catalogue et choisir quels livres il met sur le freemium et sur le premium ».

Co-fondé par Fabien Sauleman, Daubry Vincent et Hélène Mérillon, Youboox emploie 7 personnes et revendique 10 000 abonnements payants. Mme Mérillon argue que son service peut apporter de la valeur aux éditeurs: « On leur apporte des services: des statistiques sur lectorat, la possibilité de faire du marketing ciblé sur nos 600 000 lecteurs, celle de toucher les francophones à l’international (…) Amazon n’a pas cette démarche.»

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Arnaud Nourry. Crédits: Eric Couderc pour Hachette Livre

D’après elle, 220 éditeurs français se seraient laissés convaincre par Youboox (qui couvre des ouvrages Dupuis, Fleurus, Eyrolles, etc), mais les plus gros éditeurs français sont encore loin d’être convaincus. « Je serais le dernier à plonger, ça n’a aucun sens, vraiment aucun sens » déclarait par exemple Arnaud Nourry, le président directeur général du groupe Hachette Livre le 17 décembre sur BFM Business au sujet des abonnements illimités aux eBooks. Il considère que l’illimité n’est pas adapté aux modes de consommation des livres, contrairement à celui de la musique. « Si nous allions vers les abonnements, nous irions vers la destruction du modèle économique que nous mettons en place», insistait-il.

Fleur Pellerin  a donné un mois à Laurence Engel pour organiser une conciliation entre les acteurs pour que les sociétés proposant des abonnements illimités se mettent en conformité avec la législation. A l’issu de ces négociations, ils auront trois mois pour se mettre en conformité effectivement.

Reste que le médiateur du livre ne semble pas non plus être convaincu par les offres de livres numériques en illimité. Dans l’avis rendu par Laurence Engel, il est écrit: « L’abonnement n’apparaît pas être la condition du développement du marché du numérique, relativement faible en France. Si les freins à cet essor – notamment le niveau de tarification du livre numérique et les modalités trop contraignantes de protection – risquent de favoriser le piratage, l’abonnement n’apporte de réponses que très relatives». Elle refuse l’idée d’apporter des modifications à la loi de 2011:

« Compte tenu de l’importance de la régulation pour assurer un développement équilibré de la filière du livre et du caractère insatisfaisant des solutions alternatives, il n’est pas justifié de renoncer au système de régulation par le prix. Le médiateur ne préconise donc pas de modifier la législation. Il revient aux acteurs de la filière de développer, de manière dynamique, des offres légales » conclut la médiatrice.

En Europe, la France est pour l’instant le seul pays à avoir demandé que ce type d’abonnement en illimité aux livres numériques respecte la fixation du prix du livre par les éditeurs.

Pour rappel, les opérateurs proposant des offres d’abonnement en illimité proposent une ou plusieurs des logiques de rémunération des éditeurs suivantes:

  • La redistribution de 40 à 60% du chiffre d’affaires au détenteurs de droits en fonction du nombre effectif de pages lues de chaque libre. Ceci est proposé par Youboox.
  • Une rémunération forfaitaire par consultation (une fraction du prix public HT de vente du livre dès lors qu’un utilisateur a lu au moins 10 à 30% du livre). C’est le modèle d’Amazon.
  • L’achat préalable d’une licence auprès de l’éditeur au prix fixé par ce dernier

Lire aussi:

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>> Amazon: bientôt une maison d’édition en France ?

Crédit photo: Fotolia, banque d’images, vecteurs et videos libres de droits

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5 commentaires

  1. Cet article a été acheté par Youboox ? ^^
    Ils ne sont pas seul sur le marché, loin d’être les meilleurs, mais vous ne citez que eux…
    Et vous n’évoquez pas non plus le cas des acteurs étrangers (Scribd, Oyster, 24Symbols…) : pourront-ils eux agir comme ils le souhaitent tandis que les acteurs français (Youboox, YouScribe, etc) devront se contraindrent ?

  2. Il y a dans la défense du prix fixe des livres un paradoxe: on justifie de la conservation d’un seul et même prix pour les livres papier et électronique par le fait que, de toute façon, l’électronique ne décolle pas en France… Mais si le livre numérique ne décolle pas, c’est bien que son prix est dissuasif, non? J’achète (souvent) des livres anglo-saxons sur Amazon, et le prix du livre physique est plus élevé que le prix du livre numérique, du simple fait qu’il coûte plus cher à fabriquer et à distribuer… Je choisis l’un ou l’autre, suivant l’usage, et notamment sur l’éventuel partage que je souhaite en faire. C’est bien un mode d’usage, un mode de consommation qui est en cause, pas un problème de distribution.
    Le souci dans ce type d’action gouvernemental, que ce soit contre les abonnements ou bien, comme il y a quelques semaines, contre la livraison gratuite, c’est qu’il est purement défensif, tendant à établir une sorte de Ligne Maginot, non pas pour la défense de la culture Française, mais bien du mode de distribution du livre physique…
    Va-t-on attendre que le livre soit dans la situation de la musique ou de la presse, pour réfléchir à des modes modernes de distribution de la lecture? Ne peut-on pas anticiper une évolution des modalités de consommation? Un certain nombre de libraires, en tout cas en tant que distributeurs de livres, sont condamnés; ne peut-on pas les aider à s’adapter à une nouvelle donne, plutôt que de leur laisser croire que leur sort pourrait être meilleur que celui des disquaires ou des kiosquiers?

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