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La garantie d’actif et de passif, la clause la plus mal comprise du M&A

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La garantie d’actif et de passif (GAP) est sans doute la clause la plus citée, et paradoxalement la moins comprise des opérations de cession d’entreprise. Présente dans presque tous les contrats de vente de titres, elle formalise l’engagement du vendeur à indemniser l’acquéreur si un élément du passé vient dégrader la valeur de la société après le closing. Derrière une technicité juridique, elle matérialise une frontière entre la période où le cédant dirige et celle où il transmet définitivement.

Lorsqu’un dirigeant vend sa société, il pense souvent se délester de son risque en échange d’un prix. En réalité, la GAP réintroduit ce risque, mais sous une autre forme, celle d’une responsabilité potentielle sur son patrimoine personnel. En pratique, si un redressement fiscal, un contentieux social ou une dette cachée apparaissent, l’acquéreur peut réclamer une compensation financière. Ce mécanisme, qui paraît logique dans son principe, devient explosif lorsqu’il est mal préparé. Le cédant croit « avoir tourné la page », l’acquéreur découvre un problème, et la clause, censée sécuriser, allume un conflit.

👉 Exemple : un dirigeant cède sa PME industrielle en 2024. Deux ans plus tard, l’acquéreur découvre un redressement URSSAF sur des primes non déclarées entre 2019 et 2022. Le fait générateur étant antérieur à la vente, la garantie s’applique et une partie du prix de cession doit être restitué.

Historiquement, la GAP reposait sur une approche comptable, on garantissait le bilan, ligne par ligne. Mais les opérations ne se mesurent plus seulement en valeur patrimoniale. Les acheteurs raisonnent désormais en faisceau de flux (EBITDA, revenus récurrents, contrats clés, propriété intellectuelle), autant d’éléments qui ne figurent pas toujours dans les comptes. La garantie a donc évolué : elle ne vise plus seulement à corriger un déséquilibre comptable, mais à assurer la conformité de ce qui a été vendu avec ce qui a été promis.

👉 Exemple ancien : si le bilan indiquait 500 000 € de créances clients, mais qu’une partie s’avérait irrécouvrable, le vendeur devait compenser la différence.

Aujourd’hui, les transactions dans la tech et le SaaS ne se valorisent plus sur le patrimoine, mais sur la performance future et la récurrence des revenus. La garantie doit donc s’assurer que les actifs économiques immatériels (propriété intellectuelle, base clients, contrats de licence) existent et sont juridiquement solides.

👉 Exemple SaaS : une startup de logiciels B2B est valorisée à 8 M€, soit 10 x son EBITDA de 800 000 €. L’un de ses trois plus gros clients, représentant 25 % du chiffre d’affaires, avait signé un contrat-cadre renouvelable tacitement. Après la vente, ce client décide de ne pas reconduire l’abonnement, invoquant une clause de résiliation libre. Résultat, la société perd un quart de son revenu récurrent, et la valorisation initiale s’effondre. L’acquéreur invoque la garantie : l’actif “contrat client” présenté comme ferme n’existait pas en droit. Ce n’est plus juste une question de bilan, mais de substance économique.

Ce glissement a transformé la garantie d’actif et de passif en véritable instrument de vérité contractuelle et sert à vérifier que la société correspond bien à la photo présentée pendant les due diligences. Mais elle n’a pas vocation à couvrir les risques futurs. Ainsi un litige né après la vente, une perte de client postérieure ou un changement de marché ne relèvent pas de cette garantie. Le champ de la GAP, c’est le passé et uniquement le passé.

La difficulté majeure vient du décalage psychologique entre le cédant, qui cherche à se dérisquer, et la logique juridique, qui le ré-engage. Pour un dirigeant qui a bâti son entreprise pendant plusieurs années, s’entendre dire qu’il doit garantir des risques qu’il pensait avoir transmis est souvent vécu comme une injustice. D’où l’importance de la pédagogie en amont, expliquer que la GAP n’est pas un piège, mais une répartition contractuelle des responsabilités. Une clause mal comprise devient un facteur de rupture mais bien anticipée, elle fluidifie la négociation.

La pratique révèle plusieurs zones à haut risque, à commencer par l’audit exonératoire. Cette clause, souvent présentée comme anodine, peut neutraliser toute protection de l’acquéreur en rendant la garantie inapplicable pour tout élément « identifiable » dans la data room. Autre point critique, la définition du préjudice, selon qu’on indemnise la perte comptable, le manque à gagner ou la perte de valeur, le résultat peut varier de 1 à 10, surtout dans les transactions valorisées sur un multiple d’EBITDA. Enfin, la clause de remédiation devient essentielle car elle permet au vendeur de traiter un litige avant tout appel de garantie évite bien des contentieux inutiles.

Pour l’acquéreur, l’objectif est d’obtenir une couverture réelle du risque sans vider le prix de sens, quand pour le vendeur, il s’agit de protéger son patrimoine tout en respectant la logique économique du deal. Les outils varient, cela peut être un séquestre, une garantie bancaire à première demande, ou un réinvestissement partiel servant de contre-garantie. Mais la clé reste la même,  définir, en amont, ce que l’on vend, ce que l’on garantit, et ce que l’on exclut.

Les mécanismes de sûreté varient selon la taille du deal :

  • Séquestre CARPA : simple mais peu productif, l’argent dort.
  • Garantie bancaire à première demande (GAR) : plus efficace, activation immédiate.
  • Réinvestissement ou crédit vendeur : très utilisé en mid-cap, le montant dû peut être compensé avec le capital réinvesti. 👉 Exemple : un cédant réinvestit 20 % de son prix dans la holding d’acquisition. Si un passif caché apparaît, la compensation se fait sur ces titres plutôt que par un remboursement direct.

La garantie d’actif et de passif n’est pas une clause standard à simplement cocher en fin de négociation. C’est la charnière entre la valeur perçue et la valeur réelle. La comprendre dans ses moindres détails avant de signer, c’est éviter qu’un deal bien conclu ne devienne un contentieux amer.

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