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Les données sont-elles vraiment la monnaie de demain? (1/2)

Les données sont unanimement considérées comme le carburant de l'économie moderne. Elles ont le mérite d'être en croissance constante et offrent en théorie une connaissance toujours plus fine des sujets qu'elles décrivent. Personne ne semble remettre en cause cette inépuisable source de valeur pour les utilisateurs, les entreprises et les services publics. Prenez n'importe quel adjectif, en anglais impérativement, et placez le devant «data» (smart, big, small, open, activable…) et vous avez le début d'un business plan à succès. Mais soyons pragmatiques et considérons cette fameuse valeur à l'aune de la monnaie, la réserve de valeur par excellence. Les données sont-elles vraiment comparables à une monnaie? Et si elles le sont, comment faire pour en assurer la force, l'intégrité et la fluidité?

Revenons à nos classiques (et à Wikipedia). Aristote définit la monnaie par les trois fonctions suivantes: 

  • Intermédiaire des échanges (ou pouvoir libératoire)
  • Unité de compte
  • Réserve de valeur

 

Comment les données peuvent-elles remplir les trois fonctions monétaires? 

Pouvoir libératoire

Le pouvoir libératoire de la donnée est celui qui est le plus recherchée, car comme dirait Gordon Gecko: «It's all about bucks kid, the rest is conversation». Pris au sens strict du terme, ce pouvoir est assez limité si l'on excepte les entreprises qui vendent directement les données collectées via leur support. Ce sont en majorité des services ou des contenus gratuits, dans une optique publicitaire. Mais si on élargit un peu cette acception, les données peuvent clairement agir sur le résultat net de bien des entreprises, soit en leur permettant d'augmenter leurs ventes, soit en leur permettant de réduire leurs coûts. Une entreprise pilotée par la donnée gagnera sans aucun doute en productivité, mais encore faut-il que les projets analytiques soient mis en œuvre par une stratégie qui relie fermement le traitement de la donnée et les indicateurs clefs de performance économique de l'entreprise. Les exemples efficaces sont nombreux: les données peuvent permettre des ventes complémentaires (cross-sell ou upsell), un meilleur ciblage et donc un meilleur ROI des investissements publicitaires, une meilleure allocation des ressources (stock, production etc.), de meilleurs ciblages marketing au sens large etc. L'anglicisme un peu pénible «actionable» désigne cette capacité de la donnée à agir directement pour améliorer l'efficacité de l'entreprise. Cependant cette croyance quasi magique dans le retour sur investissement des projets liés à la «donnée» conduit à négliger le fait que la donnée n'a aucune valeur intrinsèque. Quand elle est collectée parce qu'elle est «collectable» (et sait-on jamais, il paraît que c'est le pétrole de demain), elle n'est qu'un centre de coût, et réduit à l'inverse le pouvoir libératoire (le cash, pour faire simple) à disposition des entreprises.  

Unité de compte

Cette fonction désigne la dimension descriptive de la monnaie, et elle s'applique très bien aux données, sous toutes leurs formes. Sans monnaie, et sans donnée, il est impossible d'estimer des valeurs relatives et de prendre des décisions économiques éclairées. La monnaie permet de comparer, de sortir du subjectif en donnant des références communes. Elle met en perspective des ensembles hétérogènes. La donnée peut et doit jouer exactement le même rôle. Cette fonction est peut-être moins excitante mais elle est cependant cruciale. Il y a une tendance à rechercher de la donnée systématiquement «actionable» et à mépriser la dimension qui relève de la description et du simple reporting. Il faut cependant se méfier de ce réflexe qui consiste à vouloir courir avant de savoir marcher. C’est le meilleur moyen de se casser la figure. Il faut s'assurer que la donnée décrit correctement la réalité sur laquelle elle est censée agir. Comment optimiser (étape 2) ce qu'on ne peut mesurer (étape 1) correctement? Comment arbitrer sa stratégie digitale si on ne possède pas une mesure homogène et cohérente de ses performances en ligne? Comment valoriser son site ou son application si l’on n’est pas capable d'en certifier l'audience de manière précise et détaillée. Le poste de comptable n'a probablement pas été élu «métier le plus sexy du 21ème siècle» au contraire de celui de Data Scientist, mais il ne viendrait à l'esprit de personne de faire l'économie d'une comptabilité rigoureuse. Bien des métiers liés à la donnée vont apparaître et disparaître dans les années à venir, tandis que les comptables de la donnée, les professionnels capables d'assurer que les données mesurent de manière fiable et homogène ce qu'elles sont censées décrire ont de beaux jours devant eux. Dans cette période où le numérique modifie tous les équilibres et où chacun cherche à comprendre de quoi sera fait le futur de son industrie, il est indispensable de mettre de l'ordre et de la certitude dans la mesure de ses actifs (et ne comptons pas trop sur les géants du secteur pour se soucier de rigueur et de transparence). La donnée (et la monnaie) de qualité possèdent cette valeur précieuse: elle certifie la valeur en la décrivant précisément, en la rendant comparable. 

Réserve de valeur

Cette troisième fonction de la monnaie désigne sa capacité à transférer un pouvoir d'achat dans le temps. C'est une norme de paiement différé. Cette fonction est discutable quand il s'agit de données. Certaines peuvent en effet se périmer très rapidement, tandis que d'autres prendront de la valeur dans le temps si elles ont été correctement collectées et stockées. Pour assurer cette valeur dans le temps, la qualité de cette donnée est primordiale (nous verrons plus bas qu'elle est trop souvent négligée). Mais surtout, les questions de sécurité et de propriété de ces données sont clefs. Les GAFA, Google en particulier, ont bien compris l'immense réserve de valeur que représente les données clients, notamment d'un point de vue marketing. Ils imposent des CGV à leurs services gratuits (à des destinations des particuliers ou des entreprises) qui leur permettent de faire main basse sur cette réserve de valeur. Il n'est pas anodin que la valorisation des «licornes» numériques, qui est censée anticiper leur capacité à produire du cash dans la durée, se fondent moins sur leur chiffre d'affaires que sur la quantité de données clients qu'elles sont capables de collecter. Ce modèle a fait ses preuves pour les GAFA, et il sous-tend une bonne partie du potentiel supposé de l'économie de l'Internet des Objets, où la collecte d'informations est centrale. Mais contre une gratuité, ou des prix dérisoires, bon nombre d'entreprises abandonnent la réserve de valeur que représentent la connaissance marketing de leur client et se mettent en danger à moyen termes. On se retrouve dans une situation absurde: pour tenter de réussir leur transition numérique les entreprises nourrissent leurs principaux rivaux de demain (ou même d'aujourd'hui, si on considère par exemple l'inquiétante dépendance croissante des médias à Google et Facebook). 

Les données peuvent donc effectivement jouer le rôle de monnaie de l’économie numérique sous certaines conditions.

  • Leur pouvoir libératoire est d’autant plus efficace qu’elles sont alignées à la stratégie de l’entreprise.
  • Elles doivent s’inscrire dans une démarche de qualité et d’homogénéité indispensable pour garantir leur rôle d’unité de compte.
  • Elles représentent une réserve de valeur, si tant est qu'elle reste en possession de ceux qui la produisent (entreprises, ou particuliers), et n'est pas captée au passage par ceux qui la manipulent ou la rendent immédiatement «actionables». 

 

Il reste à assurer que cette monnaie, issue du capital data, est puissante et crédible. La confiance et la fluidité jouent ici un rôle crucial… Mais cela fera l’objet d’un prochain article.  

M_Llorens_HDMathieu Llorens est CEO et co-fondateur d’AT Internet. Membre du Collège Editeur du Syntec Numérique et du comité Stratégique FrenchTech Bordeaux, il a été professeur associé à l’Université Bordeaux III pendant 6 ans et continue d’intervenir dans diverses écoles et conférences.

AT Internet (ex-XiTi) propose des solutions de Digital Analytics depuis 1996 et a été reconnu parmi les leaders de son secteur par Forrester Research Inc. (The Forrester Wave™: Web Analytics, Q2 2014).

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