
À Marrakech, sous les projecteurs du GITEX Africa, Huawei n’a laissé aucun doute sur ses ambitions. En organisant son propre sommet en marge du salon, le groupe chinois a montré qu’il ne se contentait plus d’être un équipementier télécoms. Il se positionne désormais comme un acteur structurant de l’avenir numérique africain. Cloud, intelligence artificielle, infrastructures critiques, formation : Huawei orchestre une stratégie d’ensemble là où d’autres, comme Orange, peinent à dépasser leur rôle d’opérateur.
Cette montée en puissance ne se joue pas dans le vacarme des annonces commerciales, mais dans le maillage progressif d’alliances institutionnelles, de partenariats publics, et d’une diplomatie technologique discrète mais redoutablement efficace.
Une emprise méthodique sur les infrastructures critiques
Depuis plus de dix ans, Huawei équipe les opérateurs africains en réseaux mobiles, de la 3G à la 5G. Dans plusieurs pays, ses technologies constituent l’ossature des télécommunications nationales. Le groupe ne s’arrête pas aux réseaux : il développe également des datacenters, fournit les infrastructures cloud et sécurise des pans entiers des services numériques publics.
Avec sa branche Huawei Cloud, l’entreprise ambitionne d’unifier les briques technologiques en proposant un modèle intégré associant cloud, IA et cybersécurité. « En Afrique, Huawei Cloud s’engage à édifier une infrastructure cloud intelligente au service du secteur des télécommunications, tout en accélérant l’intelligence dans les autres secteurs grâce à une innovation systémique articulant l’IA pour le cloud et le cloud pour l’IA », a déclaré Ahmed Talaat, CTO de Huawei Cloud Northern Africa.
L’influence par l’écosystème
Le Huawei Intelligent Africa Summit, organisé à la marge du GITEX, incarne parfaitement la stratégie d’influence du groupe. À travers ce sommet, Huawei revendique une posture de partenaire stratégique, impliqué dans la réflexion politique, la formation des talents et la structuration des écosystèmes numériques.
« Nous poursuivrons notre collaboration avec l’ensemble des parties prenantes autour des piliers fondamentaux du développement de l’IA – les politiques publiques, la technologie, l’écosystème et les talents – pour accélérer l’intelligence et bâtir ensemble une nouvelle Afrique », a affirmé Shen Li, Président de Huawei Northern Africa.
Ce positionnement s’accompagne d’un effort massif en matière de formation : Huawei multiplie les partenariats avec les universités africaines, soutient les incubateurs technologiques et finance des programmes d’acculturation à l’intelligence artificielle. Le groupe entend ainsi ancrer son modèle dans les dynamiques locales, tout en assurant la dépendance technique des institutions partenaires à ses solutions.
Des vitrines locales pour une légitimité continentale
Pour asseoir sa légitimité, Huawei s’appuie sur des partenariats sectoriels stratégiques. Le cas d’Attijariwafa bank, évoqué lors du sommet, en est une illustration. « Après avoir établi une gouvernance efficace et centralisé les données, Attijariwafa bank a enclenché une nouvelle phase stratégique : faire de la donnée un véritable levier de performance », a expliqué Marouane Akrab, Responsable du Digital Center de la banque.
L’expérience de l’institution marocaine sert ici de vitrine : l’IA appliquée à des cas concrets permet d’illustrer la promesse d’une transformation numérique maîtrisée, utile et ancrée dans les besoins métiers. Huawei s’en empare pour démontrer la valeur de ses solutions dans des contextes africains spécifiques, loin des modèles importés.
Un modèle intégré, un risque de dépendance
Huawei ne vend pas seulement des technologies : il propose une vision. Une vision complète, structurée, où chaque brique – formation, connectivité, cloud, intelligence artificielle – est fournie clé en main. Cette approche séduit de nombreux décideurs africains en quête d’accélération numérique. Mais elle comporte aussi des risques majeurs.
Dans un contexte où peu de pays disposent de cadres réglementaires robustes en matière de gouvernance des données, l’intégration verticale proposée par Huawei crée une forte dépendance. Qui contrôle les flux ? Qui définit les standards ? Qui garantit la souveraineté ? À ces questions, le modèle Huawei n’apporte pas toujours de réponse claire.
Le basculement silencieux du pouvoir numérique
Loin des affrontements technologiques sino-américains, Huawei déploie en Afrique une stratégie d’influence patiente, précise, peu médiatisée mais efficace. L’entreprise occupe le vide laissé par des acteurs occidentaux parfois désengagés ou focalisés sur des modèles de rentabilité à court terme.
Face à un Orange aux ambitions régionales récurrentes mais à l’exécution inégale, Huawei propose un projet structurant.
Pour l’Afrique, l’enjeu est de poser ses propres conditions, de bâtir ses propres standards, et d’exiger une interopérabilité technologique qui lui permette de conserver sa liberté d’action. Car derrière la promesse d’une IA inclusive, se joue une bataille silencieuse pour le contrôle des futurs standards numériques du continent.
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