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Shein et Temu : la croissance low-cost dans une impasse stratégique ?

Face aux pressions réglementaires américaines et à l’essoufflement de la croissance organique, les géants chinois de la fast-fashion, Shein et Temu, amorcent un tournant. Leur modèle fondé sur la production à bas coût, l’hyper-personnalisation algorithmique et l’acquisition publicitaire de masse entre en tension. La transition vers de nouveaux marchés, en particulier en Europe et en Amérique latine, révèle une stratégie défensive plus qu’expansionniste.

Un modèle à bas coût sous pression douanière

Le cœur du succès de Shein et Temu reposait sur le régime « de minimis », une exception douanière permettant d’expédier aux États-Unis des colis de moins de 800 dollars sans droits de douane. Ce levier a permis aux plateformes de vendre des articles à prix cassés, tout en préservant des marges acceptables. Le bannissement de cette exemption par l’administration Trump au 2 mai 2024 change la donne. Pour Shein comme pour Temu, les livraisons depuis la Chine deviennent mécaniquement plus coûteuses. Les deux acteurs ont immédiatement réduit leurs investissements publicitaires aux États-Unis (–19 % pour Shein, –31 % pour Temu sur les principales plateformes entre fin mars et mi-avril), tout en augmentant leurs prix. La compétitivité-prix, pilier de leur modèle, s’en trouve fragilisée.

Un redéploiement européen contraint, mais peu rentable

En réaction, Shein et Temu intensifient leur présence en Europe, ciblant particulièrement le Royaume-Uni et la France. Selont les données de Sensor Tower, en avril, Shein a augmenté ses dépenses publicitaires de 35 % dans ces deux pays. Temu a fait de même, avec +40 % en France et +20 % au Royaume-Uni. Les résultats sont ambivalents : les téléchargements d’apps progressent (x2 pour Temu au Royaume-Uni, +25 % pour Shein), mais les utilisateurs actifs quotidiens ne suivent pas. L’augmentation est limitée à +5 % pour Shein, +10 % pour Temu. Le coût d’acquisition grimpe, sans garantir la conversion en usage réel. Autrement dit : la mécanique de croissance s’essouffle, malgré des budgets publicitaires toujours plus élevés.

Le Brésil, nouveau front de la guerre commerciale

Alors que l’Europe peine à compenser le recul américain, l’Amérique latine devient un nouvel axe prioritaire. Temu, qui prévoit son lancement au Brésil en juin 2024, y a multiplié ses investissements publicitaires par 800 en un an. Shein a répliqué avec une hausse de 140 % de ses propres dépenses. L’enjeu : s’imposer avant que l’autre ne prenne l’avantage. Shein bénéficie d’un atout logistique stratégique, ayant déjà internalisé une partie de sa production sur le sol brésilien pour desservir les marchés latino-américains. Cette offensive rappelle le précédent américain : en 2022, Shein avait adopté une posture similaire lorsque Temu est entré aux États-Unis. La répétition du schéma révèle une course au territoire plus qu’une stratégie différenciante.

Des signaux d’épuisement du modèle publicitaire

La stratégie d’acquisition à coups de publicités ciblées et de contenus sponsorisés sur TikTok, YouTube ou Instagram montre ses limites. L’efficacité marginale diminue. Le taux de conversion post-download stagne. Et surtout, les prix des enchères publicitaires s’envolent lors des pics de consommation, comme en fin d’année, érodant les marges. Le modèle de croissance par volume, dopé aux publicités et à la data, atteint un point de saturation. Ce phénomène n’est pas spécifique à Shein et Temu, mais il les affecte d’autant plus fortement que leur différenciation repose presque exclusivement sur le prix et la visibilité algorithmique.

La fidélisation, talon d’Achille du low-cost

Contrairement à Zara, H&M ou Uniqlo, qui bénéficient de marques établies, d’un réseau physique et d’une relation client plus structurée, Shein et Temu peinent à fidéliser. Leur croissance ne pourra plus reposer sur l’acquisition brute. Or, la rétention client implique des investissements dans la qualité produit, l’expérience post-achat et la perception de marque — domaines encore peu investis par ces deux plateformes.

Vers la fin de l’eldorado algorithmique ?

Le modèle prix ultra-compétitifs, logistique transfrontalière optimisée, croissance alimentée par les algorithmes publicitaires, qui fait prospéré Shein et Temu grâce aux failles du système douanier et à un arbitrage mondial des coûts, entre dans une zone de turbulence. La pression réglementaire, la saturation publicitaire et l’érosion de la rentabilité vont les amener à changer de direction

Sans inflexion stratégique — vers plus de localisation, de marque, et de qualité — la croissance low-cost pourrait s’avérer structurellement non pérenne.

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