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Génération cobaye : grandir dans l’expérience à ciel ouvert des réseaux sociaux

Une génération testée sans consentement

Ils avaient 10, 12 ou 14 ans quand ils ont ouvert leur premier compte Instagram, Snapchat ou TikTok. Ils étaient encore enfants lorsqu’ils ont plongé dans un univers numérique façonné par des algorithmes qu’ils ne comprenaient pas. Aucun d’eux n’a signé de formulaire de consentement. Aucun n’a été averti des risques. Et pourtant, ils ont tous servi de matière première à une gigantesque expérience comportementale à l’échelle mondiale.

Cette génération, c’est celle qui a grandi avec un smartphone dans la poche et des plateformes sociales comme principale interface sociale. Une génération qu’on n’a pas protégée, mais qu’on a observée. Génération Z. Génération connectée. Génération cobaye.

Une expérience sans protocole, sans comité d’éthique, sans limite

Depuis quinze ans, les réseaux sociaux testent des fonctionnalités sur des millions d’utilisateurs en temps réel. Fil d’actualité, notifications, scroll infini, vidéos courtes, filtres beauté : tout est optimisé pour retenir l’attention, influencer le comportement et maximiser l’engagement. Ces itérations permanentes, calibrées sur les données comportementales, ont transformé les jeunes en sujets d’expérimentation algorithmique.

Contrairement à une étude clinique ou à une recherche universitaire, cette expérimentation n’est ni encadrée, ni transparente. Elle n’a pas pour objectif la connaissance, mais la rentabilité. Elle ne vise pas à comprendre les jeunes, mais à les manipuler plus efficacement.

Des effets documentés, des responsabilités éludées

Les conséquences sont désormais connues et mesurées :

  • 📉 Chute de la santé mentale chez les adolescents, en particulier les jeunes filles.
  • 📲 Augmentation des comportements compulsifs liés au téléphone (vérification, scroll réflexe).
  • 🧠 Diminution de la capacité de concentration et de la tolérance à l’ennui.
  • 🤳 Construction de l’estime de soi à travers des indicateurs de validation sociale (likes, followers).
  • 🌪️ Exposition accrue à des contenus violents, extrêmes ou malsains via des boucles algorithmiques.

Des chercheurs comme Jonathan Haidt et des lanceuses d’alerte comme Frances Haugen ont montré que ces effets n’étaient ni ignorés ni involontaires. Les plateformes ont eu accès aux données. Elles ont vu l’impact. Elles ont choisi de ne pas agir.

Une génération assignée à résidence numérique

Ce qui distingue la génération Z de ses aînés n’est pas seulement son degré de connexion, mais l’impossibilité de s’en extraire. Là où les adultes ont adopté les réseaux à l’âge adulte, les jeunes y ont été socialisés. Ils n’ont pas connu d’avant. Pour eux, se déconnecter, c’est s’effacer socialement.

Les plateformes sont devenues des espaces de validation, de socialisation, de reconnaissance. Elles sont intégrées à l’école, à la vie amoureuse, à la culture. Sortir du système, c’est se couper de ses pairs.

Et pourtant, ils sont de plus en plus nombreux à mettre en question cette architecture : Emma Lembke, fondatrice de Log Off, le résume ainsi : « Nous n’avons pas choisi d’être les sujets d’un des plus grands tests psychologiques de l’histoire moderne. »

Une fracture générationnelle inversée

Les rôles traditionnels sont bousculés. Ce ne sont plus les adultes qui protègent les enfants, mais les jeunes qui alertent sur un système qui les détruit. Les professeurs perdent la bataille de l’attention. Les parents sont dépassés par des outils qu’ils ne maîtrisent pas. Et les politiques peinent à rattraper des plateformes transnationales, opaques et surpuissantes.

Face à cela, des voix s’élèvent. Des coalitions émergent. Le mouvement Activate Media, aux États-Unis, propose un incubateur de plateformes co-construites par les jeunes. Des initiatives de digital detox, d’éducation à l’attention et de droit à la déconnexion se multiplient.

Mais ces mouvements restent minoritaires, freinés par l’inertie des pouvoirs publics et l’indifférence lucrative des plateformes.

Sortir du statut de cobaye : repenser la conception des plateformes

On ne réforme pas une expérience en cours. Il faut changer le protocole. Et cela commence par cinq principes fondamentaux :

  • Co-construction : associer les jeunes à la conception des produits qu’ils utilisent.
  • Souveraineté attentionnelle : placer le bien-être au cœur des métriques de succès.
  • Éthique de design : interdire les mécaniques addictives par défaut.
  • Transparence algorithmique : rendre visible le fonctionnement des systèmes de recommandation.
  • Régulation économique : taxer ou interdire les modèles fondés uniquement sur l’exploitation publicitaire des comportements.

La génération Z ne veut pas revenir à un monde sans technologie. Elle veut des technologies qui ne la maltraitent pas.

Il est encore temps de changer de rôle

Les cobayes n’ont pas donné leur accord. Ils n’ont pas été informés des risques. Ils n’ont pas les moyens de sortir seuls de l’expérience. Ce n’est donc pas à eux de porter seuls la charge de la solution.

Le rôle des adultes, des régulateurs, des annonceurs et des développeurs est de sortir cette génération de l’expérimentation forcée à laquelle elle est soumise. Ce n’est pas une faveur. C’est une responsabilité.

Si nous ne faisons rien, nous resterons les témoins passifs d’un désastre psychologique prévisible. Si nous agissons, alors peut-être, cette génération ne sera plus une génération cobaye, mais la première à reconquérir sa souveraineté numérique.

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