CHINA CONNECTTRENDS

La revanche des géants, comment Pékin relance Alibaba, Tencent et ByteDance pour servir sa stratégie IA

📩 Pour nous contacter: redaction@frenchweb.fr

Longtemps dans le viseur du pouvoir central, les géants technologiques chinois retrouvent de l’influence. Alibaba, Tencent et ByteDance relancent leurs stratégies de croissance externe et multiplient les initiatives dans les technologies critiques. Ce retour s’inscrit dans un virage assumé des autorités, qui souhaitent faire de la tech privée un levier de souveraineté industrielle.

Du gel réglementaire à la réactivation industrielle

Entre 2020 et 2022, le secteur technologique chinois a connu un coup d’arrêt brutal. Accusés de favoriser la concentration des pouvoirs économiques, les grands groupes ont été contraints de geler leurs projets de fusions, de réduire leur exposition médiatique et de se recentrer sur leurs activités principales. Ce cycle répressif, symbolisé par la disparition médiatique de Jack Ma et le démantèlement d’Ant Group, visait à reprendre le contrôle sur l’expansion du capital privé.

Depuis 2023, le pouvoir central a infléchi sa position. Le contexte économique, la compétition avec les États-Unis, et l’émergence de nouveaux enjeux liés à l’intelligence artificielle ont conduit Pékin à revaloriser les grandes entreprises technologiques. Leur puissance d’investissement, leur capacité d’exécution et leur maîtrise des plateformes sont redevenues des atouts. Les signaux politiques vont désormais dans le sens d’un soutien encadré.

Acquisitions ciblées et repositionnement stratégique

Le redémarrage est tangible, ainsi Tencent a multiplié les acquisitions, dans le podcasting, avec Ximalaya, dans la musique, avec une prise de participation dans une major sud-coréenne, dans le gaming, avec la reprise de Kuro Games. ByteDance renforce ses compétences industrielles avec l’acquisition d’un fabricant d’écouteurs et accélère ses investissements dans la robotique et l’edtech.

Alibaba, plus prudent, restructure ses actifs historiques en se désengageant de la grande distribution, tout en se positionnant dans les infrastructures stratégiques. Un plan massif d’investissement dans les datacenters, les puces et les capacités de calcul a été engagé. Le groupe revient également sur le terrain international, via une joint-venture e-commerce avec un acteur sud-coréen.

Ces opérations s’accompagnent d’une évolution des modes d’intervention. Plutôt que des acquisitions intégrales, les groupes privilégient les consortiums d’investissement, les prises de participation minoritaires et les partenariats structurés. Ce choix permet de minimiser le risque réglementaire et d’optimiser la lecture politique des deals.

L’IA comme catalyseur du retour en grâce

Ce retour offensif s’inscrit dans une nouvelle priorité nationale qui a pour objectif de faire émerger une filière chinoise de l’intelligence artificielle compétitive à l’échelle mondiale. L’essor fulgurant de startups comme DeepSeek, Moonshot AI ou MiniMax a révélé un potentiel domestique important. Les géants historiques y voient une opportunité de diversification, mais aussi une obligation politique implicite : accompagner l’État dans la construction d’un écosystème souverain.

Les investissements dans ces « AI Dragons » sont multiples, avec des financement direct, des développement de modèles propriétaires, la construction d’infrastructures IA. Le tout dans un objectif stratégique de sécuriser les briques critiques de la chaîne de valeur technologique (compute, données, entraînement, modèles, diffusion) et de réduire la dépendance aux technologies américaines.

Vers une nouvelle maturité du capitalisme technologique chinois

Ce mouvement de réactivation ne se limite pas aux acquisitions, les conditions de marché s’améliorent également. On observe ainsi le retour des introductions en bourse à Hong Kong ou Shanghai, le recours accru aux émissions obligataires, le désendettement progressif des conglomérats. Les entreprises structurent désormais leur développement sur des bases plus durables, avec une logique d’efficience et de souveraineté.

En parallèle, les marchés visés évoluent et la croissance intérieure ralentit, poussant les groupes à se tourner vers l’Asie du Sud-Est, la Corée du Sud, voire le Moyen-Orient. L’expansion internationale ne repose plus sur des prises de position agressives, mais sur des partenariats économiques, des transferts technologiques et des alliances locales.

Un capitalisme technonationaliste assumé

La phase actuelle ne marque pas pour autant un retour à la liberté totale, les géants chinois restent sous surveillance. Mais leur rôle a changé et ils sont devenus des instruments de projection stratégique. Pékin ne cherche plus à les affaiblir, mais à les rendre utiles et alignés, elles servent le pouvoir et ne dictent plus l’agenda économique,

Cette mutation traduit l’émergence d’un modèle spécifique que l’on pourrait appeler le capitalisme discipliné, recentré sur les technologies fondamentales, instrumentalisé pour répondre aux ambitions industrielles de long terme. L’État encadre, mais mobilise et les géants obéissent, tout en continuant à se développer. Si la ligne de crête reste étroite, la dynamique est relancée, à un moment clé de l’histoire de la tech mondiale.

Bouton retour en haut de la page