
À quoi bon une superintelligence si elle ne peut rien faire de ses mains ?
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Des milliards investis, des modèles toujours plus puissants, des milliards de tokens digérés chaque jour, des prouesses linguistiques saluées par les marchés… et pourtant, rien ne bouge sur la table, aucun objet déplacé, aucun plat préparé, aucune petite réparation.
À quoi bon une superintelligence si elle ne peut rien faire de ses mains ? Cette question, posée comme une provocation, résume l’intuition fondatrice de Figure, la startup de robotique humanoïde dirigée par Brett Adcock. Tandis que le monde numérique vit une révolution avec l’émergence de l’intelligence artificielle générale (AGI), le monde physique reste largement hors de portée.
L’AGI est (presque) là, mais elle vit dans une boîte
L’AGI, dans sa forme actuelle, est une intelligence de serveur, elle conseille, planifie, écrit, calcule. Elle simule des agents, fait des démonstrations éclatantes en ligne, mais dès qu’il s’agit d’interagir avec le réel comme déplacer une chaise, ouvrir un tiroir, ou trier une pile de colis, elle se heurte à une limite fondamentale, elle n’a pas de corps.
Dans l’imaginaire collectif, l’AGI est souvent perçue comme dématérialisée. Or, une intelligence qui ne peut ni toucher ni sentir, ni observer en situation réelle, reste une intelligence abstraite, une sorte de cerveau sans nerfs, sans muscles, désincarné. Pour Brett Adcock, cela n’est pas seulement une limitation mais c’est un danger.
“Si nous ne résolvons pas le problème du robot humanoïde, l’AGI finira par nous utiliser comme mains. Elle nous demandera, ou nous forcera, à faire ce qu’elle ne peut pas faire elle-même.”
L’humanoïde ne doit pas être vu comme un gadget mais nécessité
Pourquoi l’humanoïde, et pas simplement des bras robotiques, des drones ou des RPA ? Parce que le monde a été construit pour l’humain. Taille, portée, articulation, logique spatiale, interaction sociale tous les objets et les espaces sont calibrés pour des corps bipèdes d’environ 1 mètre 70, capables de marcher, d’attraper, de comprendre des gestes.
Figure, comme Tesla avec Optimus, Agility Robotics ou Sanctuary AI, s’est lancé dans le développement d’un corps générique pour une intelligence générique, un robot capable de faire à peu près tout ce qu’un humain fait, dans un entrepôt, un foyer, un hôpital, un robot qui peut être commandé en langage naturel, mais surtout qui apprend en observant, en exécutant, et en corrigeant.
Une question d’échelle industrielle, pas seulement de science
Le verrou n’est plus uniquement technologique, Figure a déjà démontré que ses humanoïdes pouvaient travailler pendant plus d’une heure en continu dans des tâches logistiques, avec un modèle embarqué (Helix) gérant la totalité du mouvement. Les colis sont triés à un rythme de 3,5 secondes chacun. Les interactions se font en langage naturel ou par SMS.
Le défi est désormais industriel, comment produire 100 000 robots en quatre ans, à des coûts compatibles avec une adoption massive. L’usine “Baku” est en route et propose le modèle Figure 3 90 % moins cher que son prédécesseur, le design a été pensé dès le départ pour la fabrication en série, pas question pour le fondateur de la startup d’en faire un protype exposé dans la vitrine R&D.
Et surtout, chaque robot apprend, à la différence des systèmes figés, les humanoïdes de Figure capturent des données, progressent, partagent leurs modèles. Plus ils sont nombreux, plus ils deviennent intelligents, c’est une boucle fermée entre le cloud, la perception, l’action et l’apprentissage.
Le monde réel comme dernière frontière
Dans un monde où le numérique a déjà tout colonisé, il reste un continent à conquérir, celui du monde tangible. Si les agents numériques ont transformé notre façon de chercher, d’écrire ou de concevoir, ils n’ont pas changé nos gestes.
Faire le café, vider le lave-vaisselle, déplacer des charges, poser une poutre, servir un repas, installer un panneau solaire. Tant que l’IA ne sait pas faire cela, elle reste limitée, l’humanoïde est l’interface manquante entre intelligence computationnelle et transformation concrète.
“Il ne suffit pas de penser le monde. Il faut aussi savoir le manipuler”, résume Adcock.
Fondée en 2022 par Brett Adcock, Figure est une startup américaine spécialisée dans la robotique humanoïde autonome. Elle conçoit des robots bipèdes capables d’exécuter des tâches physiques dans des environnements industriels et domestiques, à l’aide de modèles d’IA embarqués. En février 2024, l’entreprise a levé 625 millions d’euros auprès de Microsoft, OpenAI, Nvidia et Jeff Bezos, portant son financement total à 695 millions d’euros. Cette levée vise à industrialiser la production de sa troisième génération de robots humanoïdes, plus performants et moins coûteux, et à préparer leur déploiement à grande échelle dans les entrepôts, les usines, puis les foyers.
Figure s’inscrit dans une course technologique de plus en plus active, face à des acteurs comme Tesla (Optimus), Sanctuary AI (Canada), Agility Robotics (propriété d’Amazon), 1X Technologies (Norvège, soutenu par OpenAI), ou encore Apptronik (robot Apollo). Tous misent sur la combinaison entre intelligence générale et capacité à agir dans des environnements non structurés. Contrairement à certains concurrents qui ciblent des robots spécialisés (livraison, exosquelettes, assistances verticales), Figure parie sur un humanoïde généraliste, à l’image du corps humain, capable d’exécuter une large palette de tâches sans adaptation logicielle ou matérielle spécifique.
Dans un marché encore jeune mais fortement capitalisé, Figure se distingue par son intégration verticale ( conception, IA, fabrication) et sa stratégie claire : produire 100 000 robots d’ici 2029, standardiser l’intelligence motrice, et incarner l’AGI dans le monde physique.
La Chine n’est pas en retrait, bien au contraire, elle avance vite, et souvent à grande échelle. Plusieurs projets de robotique humanoïde y émergent, portés par des acteurs privés ou publics, dans un cadre national clairement affiché : devenir leader mondial de la robotique intelligente d’ici 2030.
Parmi les plus avancés :
- Fourier Intelligence, avec son robot GR-1, présenté comme un assistant médical ou domestique, capable de marcher, manipuler des objets et même danser.
- UBTech Robotics, soutenu par Tencent, développe Walker X, un humanoïde orienté maison connectée.
- Xiaomi, avec CyberOne, cible une convergence robotique–domotique à l’échelle grand public.
- Hanson Robotics (implantée à Hong Kong), bien que plus médiatique qu’opérationnelle, maintient sa position d’acteur vitrine.
Ces initiatives bénéficient d’un soutien politique explicite, la robotique humanoïde est inscrite dans le 14e plan quinquennal comme un secteur clé, au croisement de la souveraineté technologique, de l’automatisation industrielle et du vieillissement démographique.
Mais selon Brett Adcock, l’acceptabilité de ces robots hors de Chine reste un point de blocage majeur :
“Les robots chinois auront beaucoup de mal à être acceptés dans les foyers ou les entreprises occidentales. La confiance, la sécurité des données, la souveraineté logicielle sont des enjeux décisifs. Et ce sont des questions plus sensibles encore que pour les smartphones ou les voitures.”
Les entreprises chinoises ont l’avantage de l’intégration verticale, des chaînes d’approvisionnement locales et d’une réglementation favorable. Mais elles devront encore prouver qu’elles peuvent déployer à l’international des humanoïdes sûrs, interopérables et culturellement acceptés.