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Pas d’IA sans nucléaire, Emmanuel Macron relie souveraineté énergétique et compétitivité technologique

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Invité à l’Imperial College dans le cadre du sommet franco-britannique sur l’intelligence artificielle, le Président Emmanuel Macron a développé sa vision sur l’avenir de l’IA européenne et sa capacité à sécuriser des ressources critiques. Dans un raisonnement révélateur d’une maîtrise du sujet, il a rappelé que parmi elles, l’énergie occupe une place centrale, au même titre que les puces ou les capacités de calcul. Une prise de position qui ancre la stratégie IA de la France dans un cadre matériel et industriel, bien au-delà des débats sur la régulation ou l’éthique entendus habituellement.

Un raisonnement infrastructurel

Si vous ne produisez pas sur le long terme une énergie pilotable, bas carbone et compétitive, vous n’avez aucune chance de rester dans la course”, affirme Emmanuel Macron face à une assemblée de chercheurs, entrepreneurs et responsables politiques. Le président français ne dissocie plus le développement de l’intelligence artificielle des infrastructures qui la rendent possible. “Avoir des capacités de calcul dans un data center est extrêmement exigeant en termes d’énergie.”

Dans cette perspective, la production d’électricité devient un facteur clé de souveraineté numérique, et sur ce terrain, Emmanuel Macron estime que la France dispose d’un atout stratégique : “En 2024, nous avons exporté 90 térawattheures, en grande partie grâce à notre programme historique dans le nucléaire.” Ce chiffre, rarement mis en avant dans le cadre des politiques d’innovation, devrait désormais s’imposer comme un indicateur de résilience industrielle.

Le choix du nucléaire s’inscrit dans une tendance plus large, face à l’explosion des besoins liés à l’IA, plusieurs pays accélèrent la sécurisation de leurs ressources énergétiques bas carbone. Aux États-Unis, des accords de long terme entre les géants du cloud et des producteurs d’énergie nucléaire se multiplient. Les Émirats arabes unis, de leur côté, déploient une stratégie intégrée avec G42, qui associe calcul intensif, cloud souverain et approvisionnement énergétique localisé. Dans ce paysage, la France entend faire de son mix électrique un levier d’attractivité technologique, reste à corriger les fragilités actuelles du parc nucléaire français mais aussi investir dans un programme nucléaire et en aménager le calendrier pour être en phase avec les nouveaux besoins générés par l’IA. Selon le rapport de RTE publié en juin 2025, 15 réacteurs sur 56 étaient encore à l’arrêt pour maintenance prolongée. Le coût de relance du programme nucléaire (EPR2, SMR) dépasse largement les prévisions initiales, avec des retards critiques sur certains chantiers. La France reste donc énergétiquement excédentaire à court terme, mais cette “avantage comparatif” est plus qu’instable.

L’IA, une industrie lourde

Le lien entre IA et énergie est d’autant plus structurant que la montée en puissance des modèles de fondation s’accompagne d’une explosion des besoins en calcul. “Quand vous représentez 20 % de la demande mondiale en entraînement de modèles, mais seulement 3 à 5 % des capacités de calcul, vous êtes en situation de dépendance critique”, alerte Emmanuel Macron. Il fait ici référence au retard structurel de l’Europe sur les infrastructures d’entraînement, et à la nécessité de rattrapage, tant côté matériel (puces, serveurs, packaging) que logiciel.

Cette exigence énergétique croissante pousse les États à revoir leur stratégie industrielle. Macron évoque ainsi la construction d’“AI factories” en France, alimentées en priorité par une énergie maîtrisée, non carbonée, et qui soit faiblement soumise aux tensions géopolitiques. Le nucléaire, redevenu central dans les politiques énergétiques françaises, retrouve ainsi une nouvelle justification dans le contexte numérique, reste à savoir de quel nucléaire il s’agit tant le besoin en énergie va augmenter rapidement en puissance en cas de déploiement d’AI factory et que le calendrier du programme français est calé sur des échéances lointaines.

À horizon 2030, certains scénarios estiment que les seuls centres de calcul européens pourraient consommer l’équivalent énergétique de 10 à 15 % du parc nucléaire français.

Le foncier, angle mort de la stratégie IA

Un point essentiel, mais absent de l’intervention présidentielle, réside dans l’absence de propositions foncières à la hauteur des ambitions industrielles affichées. Les infrastructures nécessaires au déploiement de l’intelligence artificielle (data centers, clusters de calcul, plateformes de stockage) exigent des terrains vastes, raccordables au réseau électrique à très haute tension, souvent situés en périphérie des grandes villes ou à proximité d’unités de production d’énergie pilotable. Or, en France comme dans plusieurs pays européens, la rareté du foncier logistique et les contraintes réglementaires associées rendent ces implantations particulièrement complexes. ZAN, normes ICPE, classements environnementaux, permis d’aménager à rallonge, les procédures s’allongent, les arbitrages se figent, et certains projets stratégiques risquent d’être reportés ou abandonnés sous la pression de recours ou d’un excès de précaution environnementale. Plusieurs acteurs évoquent un « écologisme de blocage », où la peur de l’artificialisation ou de l’empreinte carbone court-termiste empêche l’implantation de technologies à fort potentiel industriel et climatique à long terme. À rebours, d’autres zones du globe, des Émirats à certaines régions des États-Unis, mettent en place des corridors fonciers “fast track”, avec des régimes dérogatoires et une gouvernance unifiée pour accélérer l’implantation des infrastructures IA. Sans une révision de son approche foncière, l’Europe risque de concevoir une souveraineté numérique qu’elle n’aura ni l’espace ni les conditions pour faire émerger.

Autonomie stratégique: le triptyque compute, énergie, capital

En reliant intelligence artificielle et production électrique, le chef de l’État esquisse une vision systémique de la souveraineté technologique européenne. La sécurité énergétique n’est plus seulement un enjeu climatique ou industriel, mais un prérequis pour faire émerger des champions technologiques. À ses yeux, la dépendance actuelle vis à vis de fournisseurs américains ou taïwanais (NVIDIA, TSMC, Foxconn) doit être progressivement atténuée par des investissements dans les semi-conducteurs, les supercalculateurs et les sources d’énergie.

Nous construisons des usines d’IA, nous attirons des investisseurs, mais aujourd’hui encore, plus de 80 % du packaging des puces est réalisé par NVIDIA”, précise-t-il. La volonté d’attirer ces acteurs sur le sol européen, comme le montre le partenariat entre Mistral AI et NVIDIA, vise à remonter la chaîne de valeur sans renoncer à des alliances stratégiques.

Cette approche s’inscrit dans la lignée du plan France 2030 et des initiatives européennes autour de l’Alliance sur les semi-conducteurs, du cloud européen et de la High-Performance Computing Joint Undertaking (EuroHPC). Elle souligne une conviction partagée dans plusieurs capitales, sans maîtrise des couches physiques (puces, énergie, refroidissement, foncier)  l’innovation logicielle restera significativement dépendante.

Une vision posée, un chantier encore à consolider

En replaçant l’intelligence artificielle dans les réalités matérielles de l’énergie, et du calcul, Emmanuel Macron esquisse une souveraineté technologique fondée sur des actifs tangibles. Cette perspective, qui dépasse les seules considérations algorithmiques, répond à une transformation de l’IA en industrie lourde, structurante, et intensément capitalistique. Mais entre les ambitions exprimées et leur réalisation concrète, plusieurs conditions restent à réunir, aligner les calendriers énergétiques, ne pas occulter la question fondamentale du foncier, et consolider la chaîne de valeur dans une coopetition effrénée. À l’heure où d’autres puissances avancent sans délai ni obstacle sur ces chantiers, seule comptera la capacité de la France et de l’Europe à transformer cette vision en réalisations concrètes, véritable indicateur de l’autonomie stratégique que le Président Macron ambitionne.

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