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AI Act : le texte que tout le monde défendait… tant qu’il ne s’appliquait à personne

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Il était présenté comme un modèle, le premier cadre législatif structuré sur l’intelligence artificielle au monde, un texte ambitieux, porté par la Commission européenne, applaudi par les États membres, les ONG, les entreprises technologiques européennes, mais à l’approche de son entrée en vigueur, l’AI Act se retrouve au cœur d’un retournement de situation et se heurte désormais à la dure réalité de son application, que chacun désormais juge trop coûteuse, trop floue, et incomplète.

Nous pouvons spoiler sans regret la conclusion du dernier épisode, ceux qui le défendaient à bras le corps , demandent aujourd’hui… qu’on appuie sur pause avec la plus grande diligence.

Du consensus à la fronde

Si les critiques s’accumulent depuis plusieurs semaines, le point de bascule s’est joué la semaine passée, avec une lettre ouverte signée par 33 entrepreneurs, fondateurs de startups européennes, qui appelle à “geler l’horloge réglementaire”, suivie le 4 juillet par cinquante dirigeants de grands groupes européens (Airbus, Publicis, TotalEnergies, BNP Paribas, AXA, Siemens…) qui se sont joint à l’appel. Tous dénoncent désormais une mise en œuvre trop rapide, sans garde-fous, et à haut risque juridique pour leurs entreprises.

“Procéder sans clarté peut laisser les entreprises bloquées entre interprétations contradictoires, compromettre l’innovation et décourager les investissements”, écrivent les signataires.

Le piège technique de l’AI Act

L’AI Act repose sur un principe simple, tout système IA classé comme “à haut risque” doit démontrer sa conformité à une série d’exigences (transparence, sécurité, supervision humaine, robustesse…). Pour cela, il s’appuie sur des standards techniques censés offrir un cadre de référence commun.

Mais ces standards, rédigés par le CEN et le CENELEC, ne seront pas prêts avant 2026. Les entreprises devront donc prouver leur conformité… sans référentiel. Et en l’absence de “présomption de conformité”, le poids de la preuve repose sur le producteur.

Pour une startup, cela signifie mobiliser des équipes juridiques, auditer chaque ligne de code, et documenter des processus évolutifs. Coût estimé: 200 000 € par an.

Le paradoxe Mistral, défendre la régulation pour peu qu’elle ne s’applique qu’aux autres

Le cas de Mistral AI, valorisée à plus de 2 milliards d’euros et perçue comme le champion français de l’IA open source, est emblématique. La startup, dont le cofondateur Arthur Mensch figure parmi les signataires de l’appel à une pause dans l’application de l’AI Act, avait pourtant été présentée comme l’un des bénéficiaires naturels du cadre européen. Le texte devait offrir un espace réglementaire protecteur pour les acteurs émergents face aux GAFAM.

Aujourd’hui, si Mistral ne rejette pas la régulation, la startup alerte sur les effets d’une application mal calibrée, notamment pour les modèles open source. Dans sa version actuelle, l’AI Act ne distingue pas clairement les obligations applicables aux GPAI selon qu’ils soient propriétaires ou ouverts. Cette ambiguïté pourrait exposer des projets communautaires à des contraintes juridiques similaires à celles imposées à des géants comme OpenAI ou Google DeepMind, sans en avoir les moyens. Le paradoxe est à nouveau là, une régulation pensée pour équilibrer le jeu risque, faute d’ajustements, de pénaliser les acteurs qu’elle entendait protéger.

Bruxelles encerclée par ses propres startups, industriels, et États membres

La fronde ne vient pas que des startups, plusieurs États membres expriment désormais des réserves explicites sur l’AI Act, en particulier sur son calendrier d’application et sa faisabilité technique. Depuis le 1er juillet, le Danemark, qui assure la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, s’est aligné sur la demande de pause. La ministre au Numérique Caroline Stage s’est faite porte-parole de 44 entreprises danoises appelant à un gel de la mise en œuvre. La Suède a appuyé cette position, par la voix de son Premier ministre Ulf Kristersson, qui plaide également pour une pause réglementaire. En Italie, des voix critiques s’élèvent au sein de l’écosystème tech et associatif, dénonçant le flou juridique et les effets dissuasifs du texte sur l’innovation. En Allemagne, si le gouvernement reste officiellement favorable à l’AI Act, les géants industriels comme Siemens, SAP, Mercedes-Benz ou Lufthansa se sont publiquement ralliés aux appels à un ajustement du texte. Ce front nordique et industriel élargi isole progressivement la Commission, prise entre l’urgence politique et la pression économique.

Une régulation conçue en surplomb de la réalité économique

La critique la plus sévère formulée par les signataires, témoigne du manque de lucidité européenne, l’AI Act a été pensé comme si l’Europe était déjà leader mondial de l’IA. Devons nous rappeler notre dépendance à l’égard des États-Unis pour ses puces, de la Chine pour certains composants, que nos startups sont structurellement plus petites, moins capitalisées, moins outillées juridiquement

Réguler ce que l’on ne maîtrise pas, sans outiller ceux qui doivent appliquer la règle, revient à décourager ceux qu’on prétend protéger.

La Commission temporise, sans rassurer

Face à la pression, la Commission européenne tente de rassurer et Thomas Regnier, porte parole de la CE a indiqué différentes mesures:

  • Un “AI Act Service Desk” va être lancé pour accompagner les entreprises.
  • Un “Digital Simplification Omnibus Package” est à l’étude.
  • Le code de conduite GPAI, prévu pour août 2025, pourrait être repoussé à fin 2025.

Mais cela reste flou, et surtout, les règles contraignantes de l’AI Act restent valides juridiquement. Les entreprises devront les respecter même en l’absence de standards officiels, Thomas Regnier a été plus que clair à ce sujet: « a legal text is a legal text. Legal deadlines are legal deadlines. Adopted by our co-legislators. »

Ce n’est pas en dessinant le terrain qu’on crée une équipe gagnante.

Si l’AI Act n’est pas rejeté sur le fond, sa mise en œuvre, précipitée, déséquilibrée et juridiquement risquée, fait basculer l’écosystème dans l’incertitude. Bruxelles voulait donner à l’Europe un rôle de leader moral mais risque surtout de produire un effet inverse :  la lenteur de son adoption industrielle, l’exode de ses talents qui iront développer leurs projets sur des terres moins contraintes, et finalement la frilosité de ses investisseurs.

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