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Contenus gratuits ou payants: quel est le vrai enjeu?

Une tribune de Bertrand Duperrin, Head of People and Delivery pour Emakina

Internet nous a habitué au (presque) tout gratuit et un mouvement massif tendant à rendre davantage de contenus payants inquiète les utilisateurs qui y voient l’arrivée d’un web à deux vitesses discriminatoire. Mais le principal enjeu de l’abandon de la gratuité n’est pas une certaine forme d‘égalité dans l’accès à l’information, mais plutôt une exposition généralisée à la désinformation pour certains.

Vers un web 100% payant ?

Demandons-nous d’abord pourquoi la question semble ressurgir d’un seul coup. La réponse est simple : l’impact des nouvelles réglementations relatives aux données personnelles sur les modèles économiques des médias en ligne.

Il n’y a pas de miracles : un média est une entreprise qui doit gagner de l’argent et pour y parvenir, elle a deux possibilités. Soit elle fait payer l’accès à son contenu, soit elle demande à son audience une participation non financière qu’elle saura monétiser auprès d’autres acteurs.

Dit en d’autres termes : soit vous payez pour accéder à un contenu, soit l’accès est gratuit mais dans ce cas, le média capte et monétise vos données personnelles sous une forme ou une autre. Ce que l’on résume souvent par « si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit« .

Sans rentrer dans les détails, les nouvelles règles relatives à la protection des données et la manière dont certains grands acteurs comme Apple ou Google (entre autres) se les approprient fait que, pour les éditeurs, il sera de plus en plus difficile de monétiser leur audience. D’où la crainte (justifiée ou non) de beaucoup de voir se généraliser un modèle payant d’accès aux contenus.

Un monde idéal : le web tout gratuit pour tous

Le web est donc né gratuit par définition et cette liberté d’accès à l’information pour tous fait partie de ses principes fondateurs. Il représente en quelque sorte un monde idéal où l’accès au savoir est général et gratuit.

Mais dans les faits, le web a connu des espaces privés (payants ou non) dès les premiers jours. Au temps pour l’accès général. Puis les espaces payants sont devenus la norme qu’on paie avec de l’argent ou avec des données. Au temps pour la gratuité.

Mais à ces quelques nuances près, le web des premiers temps était tout de même proche de cette conception idéale d’un monde de savoirs et de personnes connectées.

La gratuité nous fait oublier la valeur

A partir du moment où tout ou presque est gratuit, cela nous fait oublier une donnée fondamentale du problème : quelle est la valeur de l’information à laquelle on accède ?

En passant, j’ai choisi d’utiliser le mot valeur, d’autres auraient certainement préféré qualité, je n’ai pas de préférence.

Par valeur, je ne parle de pas de valeur monétaire mais de valeur intrinsèque. Je pense à ce qu’apporte l’information à la personne, est-ce qu’elle répond à une question, à un problème, et d’une certaine manière, enrichit le savoir de celui qui y a accède.

Lorsque tout est gratuit, on a uniformément accès à une information dont la valeur peut aller de très forte à très faible. Cela ne pose absolument aucun problème au lecteur qui n’a qu’à faire le tri, sachant que l’information ne lui coûte rien… à part peut être le temps nécessaire à trier le bon grain de l’ivraie.

On commence à parler de la valeur lorsque le modèle payant commence à se répandre.

Un monde logique : la corrélation entre le prix et la valeur

A partir du moment où quelque chose est payant se pose la question de savoir si cela vaut le prix qu’on le paie.

Le lecteur / consommateur étant un tout petit peu rationnel, il ne va pas payer pour avoir accès à une chose à laquelle il peut accéder gratuitement par ailleurs. Et le prix qu’il sera prêt à payer variera logiquement avec la valeur qu’il donne à l’information.

C’est donc logiquement qu’on a vu se généraliser un modèle où l’information simple, sans valeur ajoutée, non exclusive, était accessible à tous et où une information plus exclusive, élaborée, ayant demandé un effort de production plus important, était payante. Les deux modèles pouvant d’ailleurs coexister sur un même média, l’un servant de produit d’appel pour vendre l’autre.

C’est une approche somme toute logique que personne, à ma connaissance, ne pense à remettre en cause tellement elle semble naturelle :

  • C’est gratuit : tu paie avec tes données et tu as une valeur faible à moyenne.
  • C’est payant : tu paies avec ton portefeuille et tu as une valeur moyenne à élevée.

 

Bien sûr, il peut y avoir des cas « hybrides », mais ils ne survivent pas longtemps et les règles du marché les ramènent à la raison.

  • Faible valeur payée avec de l’argent : le client ne va pas payer longtemps.
  • Payé avec de l’argent mais abondance de publicité et doute sur l’utilisation des données : problème de confiance, le client est à risque.
  • Valeur élevée uniquement payée avec de la donnée : le média va finir par se rendre compte qu’il donne de la confiture aux cochons et qu’il a tout à gagner à mieux segmenter son offre.

Un monde improbable : le tout payant

Avec la difficulté annoncée de monétiser les données personnes des lecteurs, se pose la question de la survie d’un modèle gratuit au profit du tout payant.

C’est techniquement possible mais hautement improbable.

Le passage à un modèle tout payant est davantage un problème pour les éditeurs car personne n’est prêt à payer pour une partie de l’offre et la question de sa pérennité se posera si elle n’arrive plus à être assez monétisée dans un modèle gratuit.

Mais cette configuration est, je le rappelle, hautement improbable.

 

Elle a toutefois entrainé deux types de réaction si je me fie à ce que j’ai pu lire / entendre dans mes réseaux :

  • C’est la fin de l’information gratuite : je l’ai dit, c’est hautement improbable
  • Il y aura une fracture entre une élite qui peut payer et ceux qui ne peuvent pas et auront accès à une information de moins bonne qualité : c’est déjà le cas non ? Et puis moins de 10€ par mois pour le Monde en version numérique, je ne pense pas que cela réserve l’accès à un contenu de qualité à une « élite ».

Mais ces inquiétudes fondées sur le prix à payer qui créerait une rupture d’égalité dans l’accès à des contenus de valeur détourne le sujet de ce qui devrait être, à mon sens, le vrai sujet d’inquiétude aujourd’hui. Je parle de l’accès gratuit à des contenus à valeur négative.

Le contenu à valeur négative : un vrai sujet de société

Car toutes les réflexion exposées plus haut partent d’un principe : tout contenu, toute information, a une valeur qui va de faible à élevée, mais qui est toujours positive.

Quoi qu’on lise, cela nous enrichit : parfois très peu, parfois énormément. Mais jamais on ne perd en s’exposant à de l’information. Jamais ? En êtes-vous si sûr ?

Ce qui personnellement m’inquiète le plus n’est pas qu’un passage à un modèle majoritairement payant crée une sorte de rupture d’égalité dans l’accès au savoir, ou à une information de qualité, c’est qu’il laisse toute une partie de la population exposée principalement à des contenus à valeur négative.

Quand je parle de contenu à valeur négative, je ne parle plus de contenus qui enrichissent peu ou beaucoup la personne mais de contenu qui trompent, désinforment, font régresser. Inutile d’en dire plus, je pense que vous êtes tous familiers avec le sujet des fake news. Mais entre ceux qui ne savent pas séparer le bon grain de l’ivraie et ceux qui y croient ou ont envie d’y croire, on ne peut pas faire comme si le sujet n’existe pas.

Aujourd’hui, on peut dire que l’offre « gratuite » inclut des contenus à valeur positive comme négative.

Le monde catastrophe : le gratuit réservé aux contenus à valeur négative

Le vrai problème d’un passage majoritaire au payant n’est donc pas la disparition d’une offre gratuite mais que cette offre gratuite devienne dans sa quasi totalité à valeur négative. Si on sent déjà aujourd’hui l’impact des fake news, là on basculerait dans une configuration vraiment dangereuse.

Le vrai problème n’est pas tant de payer pour avoir de la qualité, mais le fait qu’en ne payant pas, on n’a même pas une qualité moindre mais on reçoit une valeur négative !

Ah si… il peut y avoir pire. Faire payer de l’information à valeur négative pour la rendre crédible. Là, on aurait tout perdu. Mais en est-on si loin ?

L’expert:

bertrand-duperrinBertrand Duperrin est Head of People and Delivery pour Emakina, agence digitale présente dans 13 pays. Durant toute sa carrière il a officié au croisement entre la technologie, la mise en performance des talents et la performance de l’organisation. Auparavant il a occupé des postes de directeur dans le monde du Conseil en Management ou dans l’édition de logiciel. Il est également passionné par l’industrie du voyage en général et l’aérien en particulier.

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