Coûts du télétravail: malgré la loi, une situation très variable d’une entreprise à l’autre
AFP
« Passer en télétravail ne doit pas être un coût pour le salarié ». Depuis la semaine dernière, la ministre du Travail, Elisabeth Borne, martèle ce message. Mais ce « principe général » fait l’objet de discussions juridiques et reste complexe à mettre en oeuvre.
Quel cadre juridique ?
« Le principe est simple, c’est que passer en télétravail ne doit pas être un coût pour le salarié », a affirmé mardi Elisabeth Borne sur Sud Radio. Et dans l’accord national interprofessionnel (ANI) du 26 novembre, « ce principe est réaffirmé », a-t-elle ajouté, en renvoyant sa mise en oeuvre à « une discussion au sein de chaque entreprise ». L’avocat Pierre Warin, fondateur du cabinet Melville Avocats, abonde en ce sens. « La loi pose un principe général » selon lequel « tous les frais engagés par un salarié pour l’exécution de son travail doivent être pris en charge par son employeur », explique-t-il à l’AFP.
Ce principe a été « précisé par un accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 qui est toujours en vigueur », ajoute-t-il. Conclusion: « le salarié a un droit au remboursement de ses frais ». Mais l’avocate Déborah David a une vision sensiblement différente: « l’article du code du travail concernant le télétravail a été modifié en septembre 2017, et notamment la clause qui prévoyait la prise en charge par l’employeur de tous les frais engagés par le salarié a été supprimée ».
Par conséquent, selon elle, « il n’y a pas d’automaticité » du remboursement des frais, y compris dans le contexte actuel de pandémie, cela doit faire l’objet d’un accord ou d’une charte au sein de l’entreprise. « S’il n’y a rien dans l’accord collectif, il n’y pas d’obligation de prendre en charge les frais », confirme une autre spécialiste du droit du travail, Déborah Fallick. Mais il y a bien « un principe jurisprudentiel selon lequel le salarié n’a pas à supporter les coûts pour son travail ». En l’absence de cadre juridique clair, « c’est un contentieux qui va émerger », conclut-elle.
Comment chiffrer le coût ?
A supposer que l’entreprise s’engage à rembourser les frais des salariés, comment calculer ces derniers ? Le coût supporté peut être très variable, fait de surcoûts (absence de cantine, chauffage, électricité, eau, achat de matériels…) mais aussi d’éventuelles économies (moins de frais de transport, économies sur les repas…). Le cabinet ConvictionsRH a publié cette semaine une étude sur « l’indemnisation du télétravail » qui montre une grande disparité au sein des entreprises, avec une prise en charge des frais quotidiens pouvant aller de moins de 20 euros à 200, dans les cent organisations étudiées.
L’Urssaf (Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations) propose sur son site une méthode d’évaluation des frais réels supportés par le salarié reposant notamment sur la proratisation des frais fixes et variables (loyer, taxes foncière et d’habitation, chauffage…). Les entreprises peuvent également décider d’une allocation forfaitaire, dont l’Urssaf fixe par défaut le plafond à 10 euros mensuels -exonérés de cotisations- par jour de télétravail hebdomadaire. Les partenaires sociaux peuvent décider de relever ce plafond. La coût du télétravail « est très difficile à calculer », convient Fabrice Angei, membre du bureau confédéral de la CGT. La centrale est « pour la prise en compte la plus totale possible », pouvant aller jusqu’au remboursement d’une partie du loyer du salarié.
Quelles évolutions ?
Dans les faits, et faute de cadre clair, la situation est très variable d’une entreprise à l’autre, et peu favorable aux salariés des plus petites. L’ANI du 26 novembre « n’a rien réglé. Le législateur laisse aux partenaires sociaux le soin de se mettre d’accord. Mais dans les petites entreprises où il n’y a pas de représentants, c’est hors de propos de considérer qu’il va y avoir une prise en charge des frais », tranche Me Fallick.
La question va nécessairement être remise sur le métier, alors que perdure la crise sanitaire et que le télétravail va s’installer dans la durée, selon Fabrice Angei. « Pour vaincre les réticences salariales et patronales sur le télétravail, il faut qu’il s’opère dans le cadre le moins dégradé possible », note-t-il. Des négociations vont s’ouvrir dans les branches, par exemple dès vendredi dans l’Assurance, selon un communiqué de la Fédération FEC-FO, qui veut mettre à son menu la prise en charge des frais liés au télétravail.