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[DECODE] Quand l’Institut Montaigne sert la communication de Deliveroo et Uber…

La guerre fait rage entre Deliveroo et ses livreurs. Cet été, la plateforme britannique a une fois de plus décidé de changer la manière dont elle calcule la rémunération de ses livreurs. L’écart de trop pour ces travailleurs indépendants qui s’estiment exploités par la licorne anglaise, parfois au péril de leur vie. Quelles sont les raisons de cette contestation ? Pourquoi Deliveroo fait-il évoluer sans cesse sa tarification ? Quels sont les enjeux auxquels sont confrontés les plateformes de livraison de repas ? Quelle est leur influence économique et politique ? Focus sur la situation actuelle de Deliveroo. 

Aujourd’hui, première des trois parties : Quand l’Institut Montaigne sert la communication de Deliveroo et Uber…

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Fin juillet, les rues de Paris tombent dans leur sommeil estival, pendant que les Parisiens profitent de quelques semaines de vacances au soleil, loin du tumulte qui les secoue à nouveau depuis la reprise. Cette période plus calme est souvent propice aux hausses des prix de l’électricité, de l’essence… mais pas seulement. En effet, c’est aussi le moment choisi par Deliveroo pour revoir sa grille tarifaire.

Cette année n’a pas dérogé à la règle. Le 29 juillet, l’entreprise britannique a ainsi envoyé un mail à ses livreurs pour les informer de la mise en place d’une nouvelle tarification des courses, qui sera appliquée dans les deux jours suivants. Exit le prix minimal de 4,80 euros la course à Paris (un peu plus faible dans les autres villes) et une rémunération en fonction de la distance parcourue, place désormais aux courses rémunérées en fonction de la durée de livraison, et non en kilomètres. Dans ce cadre, Deliveroo classe les courses en trois catégories : moins de 10 minutes (express), de 10 à 20 minutes (moyenne distance) et plus de 20 minutes (longue distance).

Deliveroo dénonce «un faible nombre d’activistes»

Cette décision a déclenché la colère des livreurs à vélo de Deliveroo, qui estiment que cette nouvelle grille tarifaire favorise les courses les plus longues, désormais mieux payées, au détriment des livraisons de courte distance. Deliveroo ne dit pas autre chose et assure même que l’évolution de la grille tarifaire «était réclamée par les livreurs» et va permettre d’offrir une «meilleure tarification, plus juste, avec plus de 54% des commandes payées davantage». Une hérésie pour les livreurs à vélo de la plateforme britannique qui estiment de leur côté que cette grille tarifaire va entraîner une diminution de leur rémunération. Selon le Collectif des livreurs autonomes de Paris (Clap), cette baisse des revenus est de l’ordre de 30 à 40%. Pour rappel, les auto-entrepreneurs travaillant pour l’entreprise anglaise étaient payés à l’heure en 2015, avant d’être rémunérés à la course en 2017. Depuis l’an passé, la rémunération des coursiers était indexée à la distance effectuée, mais ceci appartient déjà au passé. C’est le temps de la course qui fait loi dorénavant.

Excédés par ces changements à répétition de la tarification des courses, des livreurs ont exprimé leur ras-le-bol fin juillet dans plusieurs villes françaises, notamment à Paris mais aussi à Toulouse, Bordeaux, Nantes, Nice ou encore Besançon. En plus de rassemblements de livreurs, notamment Place de la République à Paris, ces derniers ont multiplié les actions pour obliger Deliveroo à revoir sa position. Grève perlée, blocage de restaurants, appel au boycott de l’application… Autant de moyens pour mettre en lumière les conditions de travail des coursiers travaillant pour la plateforme britannique. 

Face à la contestation naissante, Deliveroo a réagi début août en assurant que ce «mouvement de grève n’est pas représentatif de la flotte de livreurs», la licorne britannique avançant que «moins de 100 personnes, soit moins de 1% de l’ensemble de la flotte» avaient pris part à ce mouvement initié par «un faible nombre d’activistes». Activiste, un terme fort mais justifié aux yeux de Deliveroo. «Ce ne sont pas des livreurs partenaires, ils ne travaillent pas pour Deliveroo», assure un porte-parole de Deliveroo France. Qui sont-ils dans ce cas ? Réponse de la plateforme : «Je vous laisse deviner…» Le mystère restera donc entier.

L’Institut Montaigne, première adresse d’En Marche 

Toujours est-il que l’Institut Montaigne, think-tank libéral, va dans le sens de Deliveroo, en évoquant des «opposants politiques» derrière lesquelles on retrouve «le Clap et Jérôme Pimot, qui se sont imposés comme représentants de fait des livreurs à vélo dans le débat public». D’après l’Institut Montaigne, «leur représentativité est loin d’être avérée» et «leur revendication principale, politique et juridique – la salarisation des livreurs – n’est pas cohérente avec les doléances des travailleurs». Des propos qui font sourire le principal intéressé. «Vous savez quelle est la première adresse de LREM (NDLR : «En Marche !» lors du lancement du mouvement lancé en 2016) ? C’est l’Institut Montaigne ! Alors je ne suis pas surpris de la manière dont ils nous perçoivent, et encore moins de leurs recommandations pour orienter le débat autour des plateformes numériques et des travailleurs indépendants», explique Jérôme Pimot, ancien livreur chez Take Eat Easy et Deliveroo qui a fondé le Clap.

En effet, Mediapart avait découvert que le mouvement lancé par Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, était hébergé à ses débuts au domicile de Laurent Bigorgne, qui n’est autre que le directeur de l’Institut Montaigne, think-tank réputé pour sa proximité avec les idées du Medef. La structure est d’ailleurs soutenue par de grandes entreprises, françaises, comme Airbus, BNP Paribas, Carrefour, Casino, Engie, Orange, LVMH, Sanofi ou encore Veolia, mais aussi étrangères, à l’image d’Amazon Web Services, Allianz, IBM, Microsoft ou… Uber. Or le think-tank a dévoilé en avril un rapport, baptisé «Travailleurs des plateformes : liberté oui, protection aussi», qui s’intéresse aux conditions de travail et aux droits des travailleurs indépendants, dont les chauffeurs de VTC opérant pour la plupart sous la bannière… d’Uber. 

Ce n’est pas le seul détail intrigant puisque le profil du rapporteur général qui a rédigé ce rapport, Charles de Froment, a de quoi étonner. Fondateur de Pergamon, une agence de relations publiques et de communication, ce dernier a en effet travaillé jusqu’en 2018 en tant que lobbyiste pour la start-up française Stuart, spécialisée dans la livraison express urbaine et rachetée par La Poste en 2017, remarque Marianne. Le magazine note aussi que les deux rapporteurs principaux ne sont pas totalement neutres, puisque Faustine Pô travaille également chez Pergamon, tandis qu’Edouard Michon évolue de son côté au sein d’Allianz, partenaire d’Uber pour proposer une assurance aux chauffeurs de la plateforme américaine, et donateur de l’Institut Montaigne. Autre contributeur parmi les assureurs, La Parisienne Assurances s’est alliée à la start-up belge Qover pour offrir une couverture sociale aux livreurs de… Deliveroo.

Un rapport mis en avant par le gouvernement

Malgré les liens étroits entre l’Institut Montaigne et Emmanuel Macron, l’implication de plusieurs rapporteurs dans certaines plateformes et la présence d’acteurs comme Uber parmi les soutiens du think-tank, l’étude de l’Institut Montaigne a bel et bien servi de socle au projet de Loi d’Orientation des Mobilités (LOM). Élisabeth Borne, ministre chargée des Transports, a d’ailleurs mis en avant plusieurs fois ce rapport, le qualifiant de «particulièrement édifiant» pour justifier la position du gouvernement en faveur des plateformes, au détriment des livreurs. 

Au coeur du projet de loi, figure en effet une disposition dans l’article 20 qui prévoit la mise en place de chartes sociales, dans lesquelles les plateformes pourraient clarifier les conditions de travail et les garanties de protection sociale. De cette manière, les plateformes seraient protégées contre la requalification des travailleurs indépendants en salariés. La mesure doit encore être approuvée par l’Assemblée nationale et le Sénat. A noter que Salwa Toko, la présidente du Conseil national du numérique (CNNum), s’oppose fermement à la mise en place de ces chartes, estimant qu’il ne s’agit pas d’une réponse appropriée car décidée sans consensus entre livreurs et plateformes.

Ces dernières sont justement accusées de faire le dos rond aux critiques de leurs prestataires, qu’ils soient chauffeurs de VTC ou livreurs à vélo. Actuellement dans l’oeil du cyclone, Deliveroo réfute les allégations selon lesquelles la société anglaise n’écoute pas ses livreurs et ne les consulte pas pour faire évoluer la tarification des courses. Pour la licorne britannique, ces accusations ne sont pas légitimes. «Nos livreurs sont satisfaits de cette nouvelle grille tarifaire. Nous les avions interrogés plusieurs semaines auparavant avec des sondages pour connaître leurs revendications et ajuster la tarification en conséquence. Sur les 1 000 à 2 000 livreurs répondants, 70% nous ont fait savoir qu’ils souhaitaient que les courses soient rémunérées selon le temps de la commande, et non en kilomètres. De plus, l’ancienne tarification ne prenait pas en compte le temps d’attente dans les restaurants, c’est désormais le cas», explique un porte-parole de Deliveroo France.

A suivre, deuxième partie : Deliveroo a-t-elle vraiment l’esprit Tech4Good ?

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2 commentaires

  1. Helllo l frenchweb,

    C’est vraiment très gênant dans la lecture les icônes des réseaux sociaux à gauche de l’écran. On comprend l’objectif de vitalité mais si on est tellement gênés dans la lecture qu’on renonce à lire , c’est embêtant non ?
    Bien cordialement

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