DECODE QUANTUMDecode Quantum l'émissionPODCAST

A la rencontre d’Alain Aspect, Prix Nobel de Physique 2022

[DECODE Quantum] Une émission animée par Fanny Bouton, Olivier Ezratty en co production avec FRENCHWEB.FR

En co-production avec Fanny Bouton et Olivier Ezratty, FrenchWeb vous propose Decode Quantum, une série pour découvrir la révolution quantique au travers d’échange avec les acteurs clés de la filière quantique dans le monde.

S’il est un nom qui est revenu à chacune de nos rencontres dans cette série consacrée au sujet du Quantique, c’est celui d’Alain Aspect, qui vient aujourd’hui de recevoir le prix Nobel de Physique 2022 pour son travail sur « l’intrication quantique »: un phénomène tellement étrange et peu probable que même Albert Einstein n’y croyait pas. Et qu’il qualifiait d’ »effrayant ».

Nous ne pouvions pas avec Fanny Bouton et Olivier Ezratty ne pas consacrer une émission spéciale à ce dernier, un numéro que nous avions enregistré en 2021, qui était et encore plus aujourd’hui à ne pas manquer!

Alain Aspect, la lumière et le doute
Une conversation au long cours avec l’un des pionniers de l’intrication quantique

Il a longtemps été cité sans jamais encore y être venu. Dans cette édition du Dicode Quantum, Alain Aspect est enfin invité. Une présence symbolique, presque inévitable, tant son nom traverse l’histoire de la physique quantique contemporaine. Pendant plus d’une heure, avec Fanny Bouton et Olivier Ezratty, le physicien retrace son itinéraire, des bancs du lycée d’Agen jusqu’aux laboratoires d’Orsay, où il fit vaciller les derniers bastions du déterminisme einsteinien.

Une intuition née d’un livre, pas d’un professeur

Alain Aspect grandit dans un village du Lot-et-Garonne, fils d’instituteur. Il découvre la science à travers Jules Verne, et entre à l’École normale supérieure de Cachan un peu par hasard, en poursuivant une bourse IPES. À Orsay, il découvre « un bonheur absolu d’aller écouter les cours », mais constate une faille : la physique quantique y est mal enseignée. Ce n’est qu’au Cameroun, pendant son service militaire, qu’il découvre réellement la discipline. Il y lit l’ouvrage de Claude Cohen-Tannoudji, Bernard Diu et Franck Laloë, qu’il qualifie d’élément déclencheur : « J’ai vu ce qu’était vraiment la physique quantique. »

Ce livre l’éclaire, mais ne l’enferme pas. Contrairement à d’autres, il n’a jamais été confronté à un professeur lui expliquant que « tous les problèmes sont réglés ». Une lacune devenue ouverture : « On ne m’avait pas lavé le cerveau. »

Le déclic Bell

L’histoire scientifique d’Alain Aspect bascule en 1974. Revenu du Cameroun, il cherche un sujet de thèse et découvre, dans un dossier prêté par Christian Imbert, le célèbre article de John Bell de 1964. Une lecture fondatrice. Il rencontre Bell à Genève, qui l’écoute puis lui demande : « Do you have a permanent position in France? » Aspect s’étonne. Bell explique que s’engager dans ce type de recherche est perçu comme marginal. Mais, rassuré par le statut de fonctionnaire de son interlocuteur, il l’encourage.

De cette rencontre naît un programme expérimental inédit. Il ne s’agit plus de s’interroger sur la validité du formalisme, mais de tester, dans les faits, les conséquences des inégalités de Bell. Aspect choisit de modifier dynamiquement les polariseurs, pendant le vol des photons. Un défi technique. Il doit tout construire, ou presque. Les dispositifs sont réalisés dans les ateliers de l’Institut d’Optique, ou empruntés à Saclay. Il travaille avec des techniciens, des ingénieurs du CNAM, des opticiens d’Eindhoven.

Trois expériences et un basculement

Entre 1980 et 1982, Alain Aspect mène une série d’expériences. La première utilise un seul canal de mesure par polariseur. La seconde, plus complète, repose sur des cubes séparateurs de polarisation construits sur mesure. Elle permet une auto-normalisation des mesures. La troisième expérimentation introduit le changement d’orientation des polariseurs pendant le vol des photons, en quelques nanosecondes. Une prouesse technique rendue possible grâce à un modulateur acousto-optique fabriqué… dans de l’eau.

Ces expériences sont saluées comme une confirmation expérimentale de l’intrication. Elles tranchent avec précision un débat qui opposait depuis 1935 les partisans d’une réalité physique objective, chère à Einstein, et ceux qui, comme Bohr, soutenaient que la mécanique quantique ne décrivait que les résultats d’expériences, sans prétendre dire quoi que ce soit sur ce que « sont » les objets mesurés.

Aspect, pour sa part, refuse le dogmatisme. Il critique ceux qu’il appelle les « intégristes de l’interprétation de Copenhague ». Selon lui, chacun devrait pouvoir se forger ses images mentales, même si elles ne sont pas canoniques : « Il n’y a aucune raison d’interdire aux gens d’essayer de se construire des images mentales cohérentes. »

D’Einstein à Pascal, une ligne directe

Alain Aspect revendique son attachement à une lecture réaliste du monde, fidèle à l’esprit d’Einstein. Il rejette l’idée selon laquelle Einstein aurait été dépassé. « Il suffit de lire ses articles entre 1905 et 1925 pour comprendre qu’il avait vu plus loin que tout le monde. » Pour lui, Einstein cherchait une physique qui relierait le formalisme statistique de la mécanique quantique à un niveau plus profond de description, comme la physique statistique relie les comportements des gaz à ceux des molécules.

Ce goût pour l’expérimentation, le concret, se prolonge dans les choix d’Aspect. Dès la fin des années 80, il pousse ses étudiants à ne pas opposer recherche fondamentale et innovation. Il soutient des initiatives entrepreneuriales comme Muquans ou Pasqal, fondée notamment par son ancien doctorant Antoine Browaeys. « Si on peut apporter un peu de richesse à notre pays, ce n’est pas sale », dit-il avec malice.

Mémoire quantique et défis à venir

L’entretien se clôt sur une série d’enjeux contemporains. La mémoire quantique est selon lui l’un des points critiques actuels. Sans mémoire efficace, pas de réseau quantique longue distance, pas de cryptographie quantique à grande échelle.

Alain Aspect se montre prudent sur l’avènement de l’ordinateur quantique universel : « Pour moi, l’échelle de temps, c’est plusieurs décennies. » En revanche, il croit au potentiel des simulateurs quantiques, des capteurs ultra-précis, et à l’émergence de protocoles robustes dans des architectures hybrides, combinant photons volants et atomes de Rydberg.

Il invite les jeunes chercheurs à s’intéresser aux zones frontières, notamment à la transition entre le monde quantique et classique, et à la « localisation à plusieurs corps », domaine encore mal compris, et potentiellement fertile en ruptures.

Un optimiste lucide

Alain Aspect reste attaché à une vision européenne, mais ouverte. Il rappelle que la science reste fondamentalement collaborative, malgré les plans nationaux : « Si tu n’as rien à apporter, on ne te parle pas. Il faut être à la table le jour du résultat. » Pour cela, dit-il, il faut que chaque pays « mette au pot ».

La leçon finale n’est ni une formule ni une doctrine. Elle tient en un mot : excitation. Celle de l’esprit face à un problème bien posé. Celle du chercheur face à l’inconnu. Celle, intacte, d’Alain Aspect, 50 ans après avoir lu un papier de John Bell, dans un bureau d’Orsay, et décidé que là était sa voie.

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