DECODE QUANTUMEXPERIENCESLE CLUB FRENCHWEBWHY QUANTUM MATTERS

Calcul quantique : comment la France structure sa souveraineté technologique

WHY QUANTUM MATTERS, en partenariat avec OVHcloud

À l’occasion d’une semaine exceptionnelle pour l’écosystème deeptech, marquée par France Quantum (le 10 juin à Station F) et VivaTech (du 11 au 14 juin, Porte de Versailles), l’émission Why Quantum Matters a réuni deux figures clés du paysage quantique français. Sabine Mehr, représentante du GENCI (Grand Équipement National de Calcul Intensif), structure centrale du calcul haute performance en France, est venue partager les coulisses de la stratégie nationale d’acquisition et d’intégration de calculateurs quantiques. À ses côtés, Fanny Bouton, Quantum Lead, PM, R&D open innovation chez OVHcloud et co fondatrice de France Quantum, a apporté un éclairage sur les usages industriels et les dynamiques à l’œuvre dans le secteur.

La semaine s’annonce dense avec France Quantum qui accueillera plus de 1000 participants pour des tables rondes, keynotes et présentations de cas d’usage, et VivaTech qui consacrera quant à lui une zone entière, la Quantum Zone, à l’écosystème quantique, avec de nombreuses startups françaises présentes, des démonstrations pédagogiques, et des discussions sur les prochaines étapes de la stratégie nationale.

Une stratégie publique de long terme

Créé en 2007 sous l’impulsion du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, GENCI joue un rôle central dans la mise à disposition de ressources de calcul haute performance (HPC) à la communauté scientifique et industrielle. Son mandat s’est récemment élargi à l’intégration de calculateurs quantiques dans les centres de calcul nationaux (TGCC au CEA, IDRIS au CNRS, CINES pour les universités). Sabine Maire rappelle que cette mission s’inscrit dans une logique de service public : « notre rôle est d’acquérir les supercalculateurs, de les installer dans les centres nationaux, et de les rendre accessibles à la recherche ouverte ».

Avec l’évolution rapide des technologies, GENCI intègre désormais des partitions IA massivement parallélisées (GPU), mais aussi des systèmes quantiques, dans le cadre du programme HQI (France Hybrid HPC Quantum Initiative), en partenariat avec le CEA. Le quantique n’est pas abordé comme une rupture, mais comme une brique complémentaire à haute valeur ajoutée.

Des machines concrètes, des alliances européennes

Deux machines sont en cours de déploiement. Ruby, basée sur la technologie à atomes froids de la startup Pasqal, est en phase finale d’installation. Lucy, une machine photonique développée par Candela, doit être livrée fin 2025. Ces investissements s’inscrivent dans un programme européen porté par EuroHPC, permettant de mutualiser les financements et d’ouvrir l’accès aux chercheurs européens.

« Ces systèmes sont vus comme des coprocesseurs intégrés au calcul classique », précise Sabine Mehr. Le projet HPCQS, mené conjointement avec l’Allemagne, a permis d’initier cette approche. L’idée est d’enrichir les capacités de simulation, sans prétendre à une substitution immédiate. GENCI veille aussi à ce que ces systèmes soient sélectionnés en lien avec les forces scientifiques nationales : « nous avons une communauté photonique très puissante en France, d’où le choix de Quandela ».

Une rencontre entre deux cultures

Le déploiement de ces machines est aussi un processus de transformation organisationnelle. Les startups quantiques, issues du monde académique, doivent adapter leurs systèmes aux exigences industrielles d’un centre de calcul. À l’inverse, les équipes d’exploitation HPC découvrent des architectures radicalement différentes. « Ce sont des ovnis dans les salles machines », résume Sabine Mehr. « Mais il y a eu une vraie volonté des deux côtés d’apprendre, une curiosité mutuelle ».

Cette collaboration s’étend au niveau européen. À la demande d’EuroHPC, six pays ont fusionné leurs projets pour élaborer un programme commun d’intégration HPC-quantique. La France a été désignée coordinatrice. « Il n’y avait rien sur le papier qui garantissait que cela fonctionnerait, mais la volonté partagée a permis d’y arriver », ajoute-t-elle.

Recherche ouverte, industrie engagée

L’accès aux ressources de calcul distribuées par GENCI est gratuit, mais soumis à une condition : les résultats doivent être publiés. La « recherche ouverte » ne se limite pas aux laboratoires publics. Elle concerne aussi les industriels et les startups qui acceptent de contribuer à la connaissance collective. « Le petit obstacle, c’est que certains confondent encore recherche ouverte et recherche académique », note Sabine Mehr. Pourtant, des entreprises comme EDF, TotalEnergies ou Thales, dotées de fortes cultures de simulation numérique, utilisent déjà ces ressources.

Le défi réside dans l’identification des parties d’un code HPC complexe pouvant être transférées sur des unités quantiques, même partielles. Cela nécessite un effort de montée en compétences, une adaptation des algorithmes et une anticipation technique. « On a besoin que des utilisateurs industriels acceptent de tester, même si la technologie n’est pas encore mature. Cela permet de faire remonter des retours précieux aux constructeurs. »

Un écosystème qui se structure

Sur le stand HQI de VivaTech, le GENCI accueille cette année treize startups. Un espace dédié aux “Maisons du Quantique” présente les écosystèmes régionaux, tandis que des conférences et démonstrations pédagogiques sont proposées au grand public. L’objectif est double : montrer la diversité des trajectoires professionnelles possibles dans la filière, et favoriser l’appropriation de la technologie.

La France dispose aujourd’hui d’un écosystème cohérent et visible. « Non seulement nous avons plusieurs technologies hardware portées par des startups, mais aussi un ensemble d’acteurs industriels prêts à proposer des cas d’usage, à publier, à collaborer », explique Sabine Mehr. Le pays bénéficie d’un tissu interconnecté, de la recherche à l’industrialisation.

Un moment à ne pas manquer

Pour Fanny Bouton, le principal frein reste culturel. « On a tendance à attendre que ça marche », constate-t-elle. Or, le calcul quantique s’inscrit dans un temps long. « Il faut monter les équipes, développer les algos, sécuriser les machines. Si l’on ne consomme pas nos propres technologies européennes, elles disparaîtront. »

À l’international, la Chine et les États-Unis ont déjà mis en place des financements massifs. La France, elle, possède un atout temporaire : être parmi les premiers à structurer une filière nationale souveraine, en lien avec l’Europe, reste à transformer cet avantage en adoption réelle.

Suivez nous:
Bouton retour en haut de la page