
Earn-out : les dix clauses anti-manipulation à exiger
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Dans le langage policé des opérations de M&A, l’“earn-out” fait figure d’équilibriste. Il rassure un acquéreur qui doute des projections du vendeur, et offre à ce dernier la promesse d’un prix aligné sur la performance réelle de sa société. Sur le papier, l’idée paraît simple, une partie du prix est payée plus tard, selon des résultats à venir, en pratique, c’est une zone grise où tout se joue dans les détails de l’accord.
Car une fois la société intégrée, l’entrepreneur cédant perd la main. Le contrôle de la comptabilité, des recrutements, des politiques tarifaires ou des priorités budgétaires passe dans le camp de l’acquéreur, et c’est là que les manipulations commencent, souvent sans qu’elles ne violent formellement le contrat.
Quand l’earn-out devient un jeu de pouvoir
Un earn-out, c’est la clause qui fait et défait les amitiés post-deal, sans cadre précis, l’acquéreur dispose de dizaines de leviers pour “lisser” la performance, décaler des charges, transférer des clients, ou imputer des management fees. L’enjeu, pour le vendeur, n’est donc pas de “croire” en la bonne foi de son repreneur, mais de verrouiller juridiquement chaque point sensible.
1. La loyauté avant tout
Tout commence par une clause de gestion loyale. Elle oblige l’acquéreur à administrer la société de façon ordinaire, sans décision ayant pour effet de réduire artificiellement la base de calcul du complément de prix. Ce n’est pas une clause symbolique, c’est celle qui fonde toutes les autres, et fixe un principe de bonne foi qui pourra être mobilisé en cas de dérive.
2. L’EBITDA, mais version “contractuelle”
Vient ensuite le cœur du sujet, la définition du résultat. Il faut avoir en tête qu’un EBITDA “comptable” est une passoire. Il est nécessaire de définir un EBITDA “contractuel”, ligne par ligne, retraitement par retraitement.
Les coûts de siège, les changements de méthodes comptables ou les produits exceptionnels doivent être listés et neutralisés. Sans cela, la simple décision d’imputer une redevance intra-groupe peut effacer la performance du vendeur.
3. Les méthodes comptables ne doivent plus bouger
Le changement de politique de facturation ou d’amortissement est une autre manière subtile de jouer sur la performance. Une clause de stabilité comptable impose de conserver les méthodes en vigueur au moment du closing, sauf accord écrit du vendeur. Sans cela, une simple décision du siège peut réduire l’EBITDA sans qu’aucune faute ne soit commise, et par conséquent imputable.
4. Le veto, outil de survie
Pendant la période d’earn-out, le vendeur doit garder un minimum de pouvoir sur les décisions structurantes. C’est l’objet des droits de veto comme les recrutements significatifs, les investissements lourds, les campagnes marketing ou les changements de fournisseurs. Sans ce garde-fou, la direction du groupe pourrait gonfler artificiellement les charges pour “assainir” le résultat avant la fin de la période de calcul.
5. Empêcher la cannibalisation commerciale
Autre point à avoir en tête, les intégrations rapides sont souvent le pire ennemi du vendeur. Un grand groupe peut rediriger les clients historiques de la cible vers d’autres filiales, modifier la politique commerciale, ou baisser les prix pour reprendre la main sur le marché. La clause de non-cannibalisation interdit ces transferts. Elle impose à l’acquéreur de ne pas détourner la clientèle, les contrats ou les équipes pendant la période d’earn-out.
6. Figer le périmètre
Autre levier classique, fusionner, scinder ou absorber la société cédée pour brouiller les comptes. La clause de périmètre figé interdit toute modification de structure sans accord du vendeur. Une fusion partielle, un transfert d’équipe ou une cession de ligne d’activité peuvent suffire à rendre tout calcul de performance impossible.
7. Voir les chiffres pour comprendre
La transparence n’est pas un luxe, et le vendeur doit obtenir un reporting régulier, mensuel ou trimestriel, sur les indicateurs de performance, ainsi qu’un droit d’audit exercé par un expert indépendant. Sans accès aux chiffres, impossible de détecter à temps les écarts ou les manipulations. Et une fois la période écoulée, les recours deviennent compliqués à opérer.
8. Prévoir le recours à un expert tiers
Parce qu’aucun deal n’est à l’abri d’un désaccord, le contrat doit prévoir l’intervention d’un expert tiers dont la décision sera finale et contraignante. Cette clause, souvent négligée, évite de plonger dans des procédures judiciaires longues et incertaines. Elle permet également de régler rapidement les différends techniques sur le calcul du complément de prix, sans casser la relation entre les parties.
9. Neutraliser les synergies
Les grands groupes invoquent souvent des synergies pour justifier une intégration rapide. Or ces synergies qu’ils s’agisse de mutualisation de coûts, de fusion de services, d’économies d’échelle, faussent le résultat de la cible. Une clause de neutralisation impose d’exclure ces effets du calcul de l’earn-out, afin que la performance reflète uniquement le périmètre cédé.
10. Prévoir le droit à la réputation
Dernier réflexe, moins juridique mais tout aussi crucial, bien vérifier le track-record de l’acquéreur. Certains ont la réputation de ne jamais payer les earn-out, d’autres d’honorer leurs engagements. Les contrats les mieux rédigés ne remplacent pas la confiance.
Un earn-out bien conçu aligne plus qu’il ne divise. Il a pour objectif de préserver la confiance au moment où l’information devient asymétrique, et où la tentation de reprendre la main grandit.
				





