
La Chine mobilise ses entreprises publiques pour financer l’IA
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En Chine, la commande publique supplante le capital-risque dans l’IA générative
L’État chinois est devenu en 2024 le premier acheteur de technologies d’intelligence artificielle générative sur son territoire. Selon les données de Sinolytics, 931 appels d’offres ont été émis par des entreprises d’État (SOEs) supervisées par Pékin pour l’acquisition ou le déploiement de grands modèles de langage (LLMs). À eux seuls, ces marchés publics représenteraient plus de 60 % de la demande domestique dans la GenAI.
Une substitution assumée au capital-risque
Cette politique industrielle repose sur le constat que dans un contexte de restrictions d’accès aux technologies étrangères et de prudence croissante des investisseurs privés, les fonds publics deviennent le moteur principal de diffusion de l’IA. Là où le capital-risque se concentre sur des cas d’usage à monétisation rapide (chatbots commerciaux, assistants de code), l’État mise sur le long terme, la souveraineté technologique et l’amorçage d’un marché interne de masse.
Les champions nationaux comme DeepSeek, Moonshot AI, Baichuan, sont les premiers bénéficiaires de cette politique. Selon des sources internes relayées par Sinolytics, 45 % des SOEs avaient déjà intégré un modèle DeepSeek dans leurs systèmes métiers début 2025, principalement dans des fonctions back-office ou de support à la décision.
Des cas d’usage standardisés, une rentabilité sous pression
Les projets financés via la commande publique se concentrent sur des priorités stratégiques fixées par Pékin :
- assistants de connaissance (72 % des projets),
- génération automatisée de code,
- analyse de données,
- automatisation des processus administratifs.
Ces usages, souvent similaires d’une entité à l’autre, visent une industrialisation rapide, mais laissent peu de place à l’exploration ou à l’innovation radicale. La logique productiviste domine, les modèles doivent fonctionner, s’intégrer vite, et s’adapter aux contraintes des grandes structures bureaucratiques.
Mais cette approche a un coût, pour remporter les marchés, de nombreuses startups sont contraintes de proposer des tarifs largement inférieurs aux standards commerciaux. Des dirigeants du secteur évoquent désormais des « victoires à perte », nécessaires pour rester dans la boucle de financement étatique.
Incubateurs sponsorisés et infrastructures mutualisées
Au-delà de l’achat de licences, l’État soutient la structuration d’un écosystème verticalisé. Des structures comme Mosu Space (Shanghai) ou le Model Power Camp (Shenzhen) servent de catalyseurs : compute subventionné (jusqu’à 1 000P de puissance fournie par SenseTime), accès à des jeux de données semi-publics, mentorat d’acteurs privés comme Huawei Cloud, et accompagnement par des fonds chinois comme IDG Capital ou ZhenFund.
L’objectif est de produire un flux constant d’applications spécialisées, testées en environnement réel, et directement réutilisables dans les entités publiques ou parapubliques.
Vers un bloc technologique localisé
Cette stratégie répond aussi à l’impératif géopolitique de réduire la dépendance aux fournisseurs américains, notamment NVIDIA (pour les GPU) ou OpenAI (pour les modèles de référence). En subventionnant massivement la filière, la Chine entend bâtir un bloc technologique endogène, interopérable et soutenu par une demande captive.
Le résultat est un écosystème singulier, fermé sur lui-même, mais cohérent, capable d’amortir les sanctions étrangères par un repli stratégique sur un marché intérieur structuré par l’État.