
Shenzhen, nouvelle capitale mondiale de l’ère robotique
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Longtemps perçue comme l’atelier du monde, Shenzhen s’impose désormais comme le centre nerveux de la prochaine révolution industrielle. La ville n’est plus seulement une plateforme d’assemblage à grande échelle mais elle devient le lieu où s’inventent, s’itèrent et se déploient les systèmes robotiques qui redéfiniront la production mondiale. Et à l’origine de cette dynamique, un plan de transformation ambitieux : Made in China 2025.
Une densité manufacturière sans équivalent
Shenzhen concentre un écosystème industriel unique composé de fabricants de composants, assembleurs, laboratoires d’ingénierie, startups deeptech, investisseurs publics et privés, tous réunis dans un rayon logistique court. Cette proximité entre design, prototypage et production permet des cycles d’itération ultra-rapides, qui accélèrent le développement de produits robotiques complexes. Un modèle de précision qui n’est pas sans rappeler la silicon valley.
Cette capacité d’intégration verticale donne un avantage déterminant. Des entreprises comme Unitree Robotics, spécialisée dans les quadrupèdes et humanoïdes à bas coût, ou UBTech, orientée vers la robotique humanoïde industrielle, peuvent concevoir, tester et produire un robot en quelques mois. Ainsi Agibot, créée en 2023, avait déjà fabriqué près de 1 000 unités dès la fin de 2024, la vitesse devient ici un facteur structurel de domination industrielle.
Made in China 2025 : la genèse d’un basculement
Lancée en 2015, la stratégie Made in China 2025 vise à faire passer la Chine d’une économie fondée sur la main-d’œuvre à faible coût à une puissance technologique et industrielle souveraine. Parmi les dix filières prioritaires identifiées, la robotique occupe une place centrale.
Trois leviers structurent cette stratégie :
- La montée en gamme technologique dans les composants, les systèmes, et les logiciels embarqués.
- L’autonomie industrielle via une intégration verticale poussée (objectif : 70 % de contenu domestique dans les chaînes critiques d’ici 2025).
- L’investissement massif, notamment par les autorités locales et nationales.
Shenzhen, appuyée par les autorités de Guangdong, s’est imposée comme le territoire pilote de cette politique.
Des robots qui construisent des robots
Dans l’usine KUKA de Guangdong (désormais propriété du groupe Midea), les lignes d’assemblage robotisées visent un rythme de production d’un robot toutes les 60 secondes. Cette dynamique est renforcée par les avancées de sociétés comme EFORT, qui construit actuellement un super-site de production de 100 000 unités par an, ou Siasun, dotée de plus de 200 000 m² d’infrastructures industrielles.
Chez Xiaomi, une “lights-out factory” assemble des smartphones à une cadence de un par seconde, sans intervention humaine. Ces usines autonomes, longtemps conceptuelles, fonctionnent déjà, préfigurant une production robotique auto-réplicative.
Des composants stratégiques maîtrisés localement
L’un des enjeux clés de la robotique est le contrôle de la chaîne de valeur. Shenzhen et ses satellites industriels maîtrisent désormais la fabrication de nombreux composants critiques :
- Les réducteurs de haute précision (gearbox) sont produits localement par Leaderdrive, qui domine le marché chinois des engrenages Harmonic Drive.
- Le LiDAR, crucial pour les robots mobiles, est porté par Hesai Technology, en fort développement dans l’industrie robotique et automobile.
- Les aimants permanents nécessaires aux moteurs de précision proviennent en majorité de groupes comme JL MAG, Jingci et Ningbo Yungsheng, tous basés en Chine.
- Les batteries lithium-ion, utilisées dans les robots mobiles et humanoïdes, sont fournies par CATL, leader mondial, ou BYD, également actif dans l’automatisation de ses propres lignes de production.
Cette maîtrise s’étend aux moteurs, actionneurs, drives et microcontrôleurs, composants dont la standardisation et la disponibilité à bas coût facilitent la mise à l’échelle des nouveaux projets.
Un écosystème en expansion permanent
Au-delà des humanoïdes, Shenzhen couvre l’ensemble du spectre robotique :
- DJI, mondialement connu pour ses drones civils, développe aussi des robots éducatifs (RoboMaster) et reste un exemple de réussite industrielle construite sur l’itération rapide.
- Estun Automation, acteur intégré, conçoit plus de 90 % de ses composants en interne.
- Des start-up comme Agibot ou Unitree expérimentent des modèles économiques directs (robots humanoïdes commercialisés à moins de 20 000 dollars), contournant les cycles classiques de R&D longs et coûteux.
La logique dominante est de concevoir localement, produire localement, livrer globalement.
Une vision industrielle en mouvement
Ce que Shenzhen incarne, c’est un modèle industriel post-taylorien, fondé sur la modularité, l’autonomie opérationnelle, la robotisation avancée et la vitesse. La robotique n’est pas un sous-secteur mais elle est l’infrastructure productive transversale, intégrée à tous les métiers industriels et bientôt aux services (logistique, construction, santé, éducation).
En 2023, le ministère chinois de l’Industrie a publié un plan quadriennal dédié à la robotique humanoïde, visant la production industrielle de masse dès 2025. Shenzhen est à la fois le site de cette ambition et son accélérateur naturel.
Shenzhen, le coeur tech de la Chine
Shenzhen est devenue le laboratoire, l’usine et la vitrine de la nouvelle économie robotisée. En dix ans, la ville est passée de la sous-traitance à l’auto-production autonome. Ce n’est plus un simple centre industriel mais l’incarnation de la stratégie industrielle d’un État et l’agilité d’un marché.
Pour aller plus loin, nous vous invitons à découvrir ce documentaire sur la tech en Chine