A la uneLes Experts

Le VC est-il un poison pour l’entrepreneur? par Pascal Emmanuel Gobry

Pascal Emmanuel Gobry est le fondateur de Noosphere une société d’études de marché spécialisée dans le domaine des medias sociaux

Crédit photo:  François Tancré – Eventpixr 

 

Le thème du VC échauffe vite les esprits et on se retrouve vite à poser des dogmes, alors que c’est un sujet complexe qui a bien besoin de nuance. Je suis analyste financier concentré sur le monde des startups, j’ai accompagné des startups y compris dans des opérations de financements, et j’ai co-créé aussi bien une boîte financée par investisseurs qu’une boîte bootstrappée, donc c’est un sujet auxquels j’ai pas mal réfléchi.

JXO parle du Inc 500, classement US des boîtes avec la plus forte croissance, et remarque à très juste titre que presqu’aucune de ces boîtes n’est financée par le capital-risque (et d’ailleurs, presqu’aucune de ces boîtes ne se retrouve sur TechCrunch). C’est très important de garder à l’esprit que l’entrepreneuriat à forte croissance, ce n’est pas juste les startups dont on entend toujours parler, et qu’il est loin de forcément nécessiter du VC.

Cela étant dit, un autre classement donne une image différente: le Nasdaq 100, ou les plus grosses capitalisations boursières du Nasdaq. Là, c’est l’inverse: presque toutes les boîtes ont fait appel au capital risque à un moment donné, y compris et surtout toutes les success stories dont on entend parler tous les jours (Amazon, Yahoo, Google, YouTube, Facebook, Twitter……la liste est très longue).

Comment réconcilier ça? Est-ce que le VC est “bon” ou “mauvais”? Question qui n’a aucun sens. Ca dépend. Enormément.

Voilà ce que j’en pense, humblement et rapidement.

Pour certaines entreprises, il faut absolument du capital-risque.

Tout d’abord, il faut être clair: pour certaines entreprises, le capital-risque est à la fois bon et nécessaire. Ce sont des entreprises qui sont dans des cas limités mais importants, qui sont selon moi les suivants:

  • Les secteurs à fortes économies d’échelle. C’est logique. Si on est dans un secteur où il faut avoir une certaine taille pour devenir rentable, on n’a pas le choix, il faut faire appel au capital-risque. Amazon est restée 8 ans sans être rentable (1995-2003) et est aujourd’hui peut être LA plus grosse success story du net (oui, plus que Google, sur le long terme, à mon avis). Elle a réussi à construire des avantages comparatifs, des économies d’échelle, une marque, etc. qui en font un navire de guerre redoutable. A noter qu’Amazon est la seule boîte de la “première génération” du Net à toujours être leader de son marché aujourd’hui. L’histoire d’Amazon aurait tout simplement été impossible sans le capital risque. (Et ce même si Amazon, en tant que retailer, a un BFR négatif et donc un financement bien plus aisé que la plupart des boîtes.) Amazon avait besoin d’établir un leadership dans un nouveau marché, d’éduquer le marché au e-commerce, et n’aurait jamais pu le faire en restant rentable. (Et ce même indépendamment du fait qu’Amazon s’est lancé avec la bulle internet.)
  • Les secteurs à effet de réseau. L’effet de réseau désigne le fait que la valeur de certains produits ou services augmente au fur et à mesure que d’autres personnes l’utilisent. Si vous êtes la seule personne à avoir un téléphone, le téléphone ne sert à rien. Si tout le monde a un téléphone, il devient vital d’avoir le téléphone. Par définition, si vous êtes dans un marché à effets de réseau, il faut d’abord pouvoir construire le réseau avant d’être rentable (sauf très rares exceptions). Un modèle de place de marché n’est rentable qu’à partir d’un certain volume d’affaires, etc. Presque toujours, si vous êtes dans une mécanique d’effets de réseau, il vous faudra faire appel au VC. Les secteurs à effet de réseau se prêtent aussi particulièrement bien au financement VC, qui a besoin de rendements extrêmes, puisque les secteurs à effet de réseau tendent à être des monopoles naturels. PayPal a levé presque $200 millions de VC avant d’être rentable, et il ne pouvait pas en être autrement, lorsqu’on considère qu’un système de paiement nécessite une masse critique d’utilisateurs pour être utile, et se finance par des petits pourcentages sur chaque transaction. Il est tout simplement impossible de créer un système de paiement sans faire appel au capital-risque. PayPal est aujourd’hui une énorme success story et un super business.
  • Les marchés de “ruée vers l’or.” Si une rupture technologique ou un autre phénomène (baisse de barrières réglementaires…) ouvre soudain un nouveau marché, on assistera à une dynamique de ruée vers l’or entrepreneuriale, ce qui est parfaitement naturel. Ce qui est aussi naturel est que cette ruée vers l’or va casser les prix et que les entreprises auront besoin de sources de financement extérieures pour survivre et arriver au bout. Je pense par exemple à la ruée vers l’or des régies publicitaires sur mobile à partir de 2007 avec l’arrivée de l’iPhone. Très vite, ceux qui ont levé du VC ont cassé les prix pour prendre des parts de marché et ont tiré leur épingle du jeu. Il était tout simplement impossible à une boîte de survivre sans financement par private equity. On peut dire qu’un entrepreneur ne devrait pas se lancer dans une ruée vers l’or qui fera évidemment beaucoup de dégâts—mais une ruée vers l’or attirera toujours des entrepreneurs, tout comme l’eau coule vers le bas. On peut dire que ceux qui cassent les prix “trichent”, mais c’est pas vrai. Optimiser sa structure de financement n’est pas tricher. “Quel tricheur, il est meilleur que moi!” Tatatata.
  • Les marchés à “tickets d’entrée” élevés. Je pense notamment aux biotech, où il faut beaucoup dépenser avant d’avoir un produit, et où les barrières réglementaires font qu’il faut passer énormément de haies avant de placer un produit sur le marché. Mais c’est le cas de n’importe quel projet qui demande beaucoup de R&D, de nombreux secteurs réglementés où des investisseurs extérieurs seront nécessaires, etc. De manière moins “nécessaire” mais très répandue en pratique, c’est aussi le cas de marchés avec des problématiques de financement importantes, par exemple avec cycles de vente longs, etc.

Et puis, même si on n’a pas besoin de VC, on peut parfaitement légitimement avoir envie de VC.

Par exemple:

  • L’assurance. Lever des fonds quand on n’en a pas besoin, c’est une politique d’assurance. Ceux qui ont eu la prévoyance de lever des fonds avant la crise de 2008 s’en sont bien mieux sortis, et ont même réussi à capitaliser sur les opportunités de la crise, alors que beaucoup n’ont pas eu cette chance. Alors oui, on peut faire un matelas de cash à partir de ses profits, mais tout le monde n’a pas cette possibilité, notamment en période de croissance où le cash est souvent consommé par un BFR accru. On peut faire appel à des lignes de crédit, mais ça n’est pas ouvert à tout le monde, et vous faites quoi si vous êtes en novembre 2008 et que votre contrepartie c’est Lehman Brothers? Ne rigolez pas, y’en a à qui c’est arrivé. Et puis une assurance a quand même de la valeur quand on n’en a pas besoin. Zynga a été rentable toute son histoire, mais a levé $1 milliard avant son introduction en Bourse. Pourquoi? Politique d’assurance. Et puis du cash c’est pratique pour faire des acquisitions. Cash is king est une des règles d’or de l’entrepreneuriat, et ce cash peut venir de son equity.
  • La crédibilité. Dans de nombreux secteurs, une entreprise doit avoir une certaine crédibilité. Je pense notamment à la vente aux grands comptes, qui est un Verdun et où les acheteurs veulent être sûrs que leur interlocuteur sera encore là dans plusieurs années. Le meilleur moyen d’asseoir cette crédibilité est d’avoir des investisseurs extérieurs réputés au capital. Oui, ce n’est pas absolument nécessaire: SAS est un exemple (très solitaire…) de grosse boîte de soft industriel qui a toujours été bootstrappée. Mais ça peut être utile et ce n’est pas stupide de le penser. On peut dire que c’est “pas juste” que lever des fonds booste la crédibilité d’une boîte indépendamment de la valeur de son produit ou service, mais c’est comme ça.
  • La diversification. Par définition, dans la plupart des cas les actifs d’un entrepreneur sont entièrement concentrés dans sa boîte. Au bout d’un moment, beaucoup d’entrepreneurs voudront se diversifier et “monétiser” une partie de la valeur qu’ils ont créé. Beaucoup d’entrepreneurs ont des familles… A noter qu’une grosse motivation de la revente d’une boîte (choix que JXO déconseille aussi) est souvent cette volonté de monétiser la valeur qu’on a créée. A choisir, il semble mieux d’en monétiser une partie et de pérenniser l’entreprise. Se diversifier permet souvent aussi à l’entrepreneur de prendre de meilleurs choix pour l’entreprise: quand on a tous ses oeufs dans le même panier, on peut surprotéger ce panier de manière irrationnelle… A noter que les fondateurs de Vente Privée, qui sont des gros apôtres de la rentabilité, du financement par le client, et tous le reste, se sont diversifiés au bout d’un moment en revendant une partie de leur boîte à un fonds, ce qui est parfaitement légitime.
  • L’envie, tout simplement. Certains entrepreneurs veulent tout simplement leur petit business dans leur coin, pour avoir de l’indépendance et nourrir leur famille. D’autres veulent conquérir le monde entier. Nous sommes tous un peu à divers points de ce spectre. Si on a l’ambition de changer le monde, pourquoi ne pas mettre un tigre dans son moteur? Oui (j’y viens…) le VC a beaucoup de problèmes et il faut faire très attention, mais on peut vouloir s’associer à un super investisseur, prendre avantage de son réseau, et booster la capacité de son entreprise, etc. Ce n’est pas forcément nécessaire, mais ça peut être légitime.

Tous ces cas de figure sont des cas où le VC peut ajouter de la valeur à l’entrepreneur. Cela étant dit, il y a beaucoup de problèmes avec le VC, et beaucoup d’entrepreneurs qui font des bêtises avec le VC.

Les problèmes du VC

Tous les problèmes du VC ne sont pas la faute du VC. Il y a beaucoup de problèmes d’entrepreneurs aussi:

  • Le tropisme de la levée de fonds. C’est pour ça que ce que dit JXO est sain: il y a une vraie pathologie dans le monde entrepreneurial, particulièrement du net, avec le tropisme de la levée de fonds. Google a levé des fonds, Facebook a levé des fonds, donc il faut lever des fonds. Quand on lève des fonds on peut balancer un joli communiqué de presse avec des “noms” dedans, on peut voir son nom en belles lettres dans TechCrunch/FrenchWeb/Les Echos/etc., ça fait plaisir. Et puis ça flatte l’égo de l’entrepreneur. On n’ose pas communiquer sur le chiffre d’affaires ou la rentabilité, mais dire “On a levé auprès de Sequoia/Kleiner/Accel” ça vous pose un homme. Il y a un automatisme dans certains secteurs de l’univers entrepreneurial dans le fait de chercher à lever des fonds qui est malsain. Oui, le VC est indiqué voire nécessaire dans certaines situations biens précises, mais ce n’est pas toutes les situations. Et surtout il ne faut pas se lancer dans une dynamique de levée de fonds avant de se poser les bonnes questions. Je pense que derrière ce tropisme il y a une peur, la peur de l’entrepreneur qui se lance: peur de ne pas trouver de clients, peur de ne pas être rentable, peur de “scaler” son business, etc. Peur parfaitement naturelle—entreprendre c’est tutoyer sa peur—mais qu’il faut affronter en face au lieu de la nier. Lever des fonds, c’est se rassurer: ouf, maintenant j’ai 6 mois/1 an pour devenir rentable au lieu d’1 mois. Ouf, maintenant j’ai un coach-copain-sympa qui va m’aider pour tous ces trucs que je comprends pas. Ouf, maintenant les problématiques où je ne suis pas forcément expert (selon l’entrepreneur, finance/marketing/RH/scaling…) j’ai quelqu’un pour m’accompagner. Au lieu d’affronter ces peurs sereinement et naturellement, on les botte en touche en se disant que la levée de fonds sera un baume pour tout ça. C’est si humain, mais c’est malsain, et c’est pour ça que JXO et son entreprise sont sains: ils forcent l’entrepreneur à voir les choses différemment et à affronter vraiment ces problèmes qui peuvent être masqués/bottés en touche par une levée. JXO a parfaitement raison de parler du besoin de développer une culture de la vente chez les entrepreneurs et de les pousser à arriver à se développer d’abord par les clients avant de réfléchir à se financer auprès d’intermédiaires financiers. D’ailleurs la levée de fonds ça permet d’esquiver ses peurs en amont: une levée de fonds, c’est extrêmement chronophage, mais justement: ça permet de se dire qu’on avance, alors même que son temps pourrait être passé dans des problématiques moins glamour, genre produit, clients, etc. Je l’ai vu, ça. Ce tropisme est un vrai problème, et il faut le remettre en question.
  • Le biais de la sexytude. C’est un peu ce que je viens dire plus haut. Lever des fonds, c’est sexy. Y’a des gros chiffres (“X millions d’euros!”), des bons noms (“Simoncini! Niel! PKM! Granjon!”), alors forcément, ça donne envie. Lever du VC peut être nécessaire ou sage, mais il ne faut pas être leurré par la sexytude.
  • Le biais de la construction d’empire. L’entrepreneur est par nature un optimiste. Si on n’est pas optimiste, on n’est pas entrepreneur. Comme le disait un de mes profs (entrepreneur) en parlant de la constitution du business plan, grâce à Excel on peut tous être milliardaires. On se voit “on top of the world”, dans son gratte-ciel à New York, avec 50000 employés et 50 bureaux de par le monde. Dans ce cas-là, évidemment que lever plein de fonds c’est logique: il y aura tellement de croissance qu’y en aura pour tout le monde et que ça sera super. Mais lorsque la boîte passe par sa phase “canard boîteux” (et il y a toujours une phase “canard boîteux”) et qu’il faut faire une deuxième levée de fonds dilutive, ça c’est moins super. Lorsque la boîte tangue vraiment et qu’il faut réfléchir à une revente et que les droits de préférence du VC font que l’entrepreneur se retrouvera avec rien après X années de semaines de 80 heures, c’est beaucoup beaucoup moins super.

Mes les problèmes ne sont pas dûs seulement aux entrepreneurs. Loin de là. Le VC a beaucoup de problèmes intrinsèques et graves.

  • Tout d’abord, le VC c’est de la nitroglycérine. La métaphore de Mark Suster, 2X entrepreneur et VC, est parfaite: lever du VC, c’est mettre une fusée au cul de sa voiture. Si la voiture est pointée vers le ciel, elle décole. Si elle est pointée vers le mur, elle explose. Il va sans dire que très, très peu de voitures peuvent se transformer en fusée sans exploser. Le modèle du VC est un modèle à très fort risque et très forte récompense. Pour être considéré comme rentable, c’est-à-dire avoir un TRI net of fees supérieur à un benchmark de marché, un fonds VC doit rendre à ses investisseurs cash sur cash au moins 3X les montants investis. Etant donné qu’on considère généralement que dans le meilleur des cas seuls 1/3 des participations seront successful, ça veut dire qu’un bon investissement doit rendre au moins 10X le capital investi. Si ça se passe bien, ça se passe très bien. Si ça se passe mal, ça se passe très mal. On pense à la phrase attribuée à George Washington sur l’Etat: comme le feu; un serviteur dangereux et un maître terrifiant.

Cette structure du VC crée de nombreux biais:

  • “Do More Faster” C’est le titre d’un livre de Brad Feld, un des meilleurs VC US. Pour un VC, une de ses participations doit toujours “Do More Faster.” Etant donné la structure financière d’un fonds VC, le VC aura toujours un intérêt à ce qu’un de ses investissements ait le profil de risque le plus élevé possible. Un VC est diversifié sur un portefeuille d’au moins une dizaine de participations, et pour que son portefeuille soit rentable, il faut qu’une minorité de ces participations ait un succès disproportionné. Un entrepreneur a ses participations concentrées sur une seule boîte. Le conflit d’intérêts est évident. Le profil de risque, ou le point sur le continuum risk/reward, qui sera meilleur pour le VC ne sera pas forcément le meilleur pour l’entrepreneur, et le “clash” peut être destructeur. Il est possible de résoudre ce conflit. Mais il est aussi possible que ce conflit détruise la boîte.
  • L’horizon de temps. Un fonds VC dure en général 10 ans. Une boîte peut durer plusieurs siècles. Un entrepreneur peut être dans la même logique de sortie qu’un VC. Mais ça peut aussi ne pas être le cas. Lorsqu’un fonds tendra vers la fin, le VC voudra “harvester” son portefeuille et générer des exits. Le calendrier ne sera pas forcément le meilleur pour l’entrepreneur. Un VC pourra vouloir forcer une vente ou une autre sortie (IPO, revente à investisseurs suivants…), ce qui est moins grave mais peut ne pas être le meilleur calendrier pour l’entrepreneur et l’entreprise.
  • Le pattern-matching et la contrôlite aiguë. Le pattern-matching se réfère au fait que les êtres humains discernent toujours des modèles. “Quand on fait X, il arrive Y.” C’est absolument naturel, et c’est ce qui fait de nous des animaux qui pensent. Mais ça peut créer un biais. Or un VC est quelqu’un qui a été aux boards de dizaines d’entreprises et a vu plein de situations. S’il est un bon pattern-matcher, il peut être un conseiller en or. Mais s’il est un mauvais pattern-matcher, ou un pattern-matcher trop excessif (“Quand on fait X, il arrive TOUJOURS Y”) ça peut être grave. S’il a un siège au board et en plus a de la contrôlite, parce qu’il considère que son expérience le rend plus pertinent que l’entrepreneur (qui est pourtant celui qui est sur le terrain), le clash peut être sévère. C’est d’ailleurs la différence entre un bon VC et un mauvais VC. Et JDC est d’ailleurs le VC que je connais qui est le plus honnête là-dessus, et est le seul VC que je connaisse à avoir admis publiquement un échec là-dessus qui l’a rendu plus sage. Mais JXO a un point: le modèle de conseil de sa structure Melcion aligne peut être mieux les intérêts de ce point de vue: l’entrepreneur est quelqu’un qui n’en fait qu’à sa tête (et lorsqu’il veut aller dans le mur, personne ne peut l’en empêcher). Il a besoin de conseils, mais peut être moins de garde-chiourmes qui veulent le fouetter s’il ne va pas dans le bon sens.

En plus des biais inhérents au VC en général, le VC est particulièrement dangereux en ce moment étant donné que le secteur est en grave crise existentielle à l’heure actuelle.

  • Le VC est surinvesti depuis 10 ans. La bulle internet produit encore ses effets. La bulle a créé un surflux de capital dans le VC, qui commence seulement maintenant à se résorber étant donnée la durée de vie très longue des fonds VC. Il faut rajouter à ce phénomène, en Europe, le fait que le VC est subventionné jusqu’à la gueule par les fonds d’Etat (CDC, etc.) et de l’Union européenne, ce qui aggrave encore le problème. Et ce avec plusieurs conséquences graves…
  • Les fonds zombies d’abord. Il y a de nombreux fonds qui sont zombies. Ils existent. Ils ont pignon sur rue. Mais ils ont des rendements pourris et n’arriveront plus à lever d’argent et sont appelés à mourir. Mais ils refusent de mourir pacifiquement. Ils continuent de se comporter comme des vrais fonds VC, à faire parler d’eux, à faire pitcher des entrepreneurs, peut être même à investir leurs derniers millions pour essayer de toucher le ticket de Loto qui leur donnera une deuxième vie. Mais ces fonds sont des zombies et un entrepreneur qui les acceuille à son capital se retrouvera à traîner un âne mort.
  • Les fonds sont trop gros. Ca a deux conséquences. Tout d’abord, de rémunération et donc de conflits d’intérêts. Un VC se rémunère de deux manières: un management fee, qui est un pourcentage de la taille totale du fonds versé chaque année, et un success fee, qui représente un pourcentage de chaque sortie. Au départ, le management fee ne servait qu’à couvrir les coûts du VC, qui ne gagnait du “vrai” argent que s’il générait des success fees (et donc du rendement et donc des belles participations). Mais les fonds sont devenus tellement gros, qu’aujourd’hui de nombreux VC peuvent vivre grassement sur leurs management fees sans avoir besoin de générer de success fees. Ca aggrave tous les problèmes du VC. D’abord, crucialement, la compétence clé pour de nombreux VCs devient, non plus d’aider des entrepreneurs à créer des success stories, mais à réussir à lever des fonds toujours plus gros, c’est-à-dire en pratique flatter des banquiers et des bureaucrates, ce qui est une orientation psychologique bien différente de celle que doit avoir un investisseur entrepreneurial. Ensuite, mathématiquement, plus le fonds est gros, plus il faut générer de grosses exits pour réussir à rentabiliser le fonds. Le problème de risk/reward que j’évoquais plus haut s’aggrave. Enfin, si on a un gros fonds et qu’on veut lever un autre gros fonds pour se gaver de management fees, il faut, comme le dit le dicton du private equity, “put money to work.” Les investisseurs du VC veulent voir qu’il signe des gros tickets, sinon pourquoi remettre beaucoup d’argent dans la machine? Le VC a un intérêt à investir beaucoup d’argent dans ses participations, non pas en fonction des besoins de l’entreprise, mais en fonction de la taille de sons fonds; et pas pour le succès de l’entreprise, mais pour le succès de sa stratégie de levée de fonds. Un marché où ce sont les acheteurs qui poussent le prix à la hausse est un marché très malsain. Malsain pour une entreprise, qui peut lever trop, trop tôt, à une valorisation trop élevée, mettre trop de “nitro” dans son moteur et aller dans le mur. Il faut signaler que c’est bien à cause de ce constat que JDC a créé ISAI, qui est un fonds “micro-VC” plus restreint et donc plus aligné avec l’entrepreneur.
  • Certains VCs sont juste mauvais. Autre problème de la bulle: il y a eu un rush de gens dans l’industrie qui n’auraient pas dû y être. Avec l’apparition des méga-fonds, le VC a attiré beaucoup de gens dont le talent était de lever des fonds, pas d’aider des entrepreneurs, c’est-à-dire en pratique des banquiers et autres financiers qui n’ont pas du tout la bonne mentalité pour aider des entrepreneurs. Des mecs qui vont virer le CEO à la première opportunité venue, ne pas avoir de patience avec un entrepreneur “quirky” avec une vision bizarre, être focusé uniquement sur les metrics financiers, etc. etc. etc. Parfois ces gens sont seulement incompétents. Parfois ils sont incompétents et méchants. Ces gens-là ont les résultats que leur incompétence augure, mais à cause de la durée de vie des fonds, sont encore là. A polluer. A détruire de la valeur. Et à tromper des entrepreneurs. Tous les VC ne sont pas comme ça, évidemment. Mais beaucoup le sont. Peut être même la majorité (surtout en France). On ne peut pas parler du VC et de l’entrepreneur sans parler de ça.

Donc vous voyez, c’est un sujet complexe où il faut être nuancé. Comme très souvent dans l’entrepreneuriat (et dans la vie) il n’y a pas de réponse toute faite.

Pour résumer:

  • Le VC est nécessaire pour certains types bien précis d’entreprises.
  • Le VC ne s’adresse qu’à une très petite minorité d’entreprises.

Le VC peut être bon pour l’entrepreneur si et seulement si:

  • Son entreprise, son opportunité ET son ambition (risk/reward) sont compatibles avec la structure du VC.
  • Si l’entrepreneur peut choisir un des (rares) BONS VCs, et pas un des (nombreux) mauvais.
  • Si l’entrepreneur peut structurer un deal qui aligne les intérêts de l’entrepreneur et du VC (contrôle, dilution, durée, etc.)

Tout cela étant dit, je peux peut être terminer par un compromis. Mon expérience du monde des startups m’a convaincu d’une chose: le meilleur moyen de lever du VC c’est de ne pas en avoir besoin. Le meilleur indicateur du succès à venir c’est le succès passé, et un VC voudra toujours investir dans le meilleur deal, c’est à dire le plus souvent un deal qui pourra se passer de lui. Une boîte rentable et qui arrive à financer sa croissance arrivera toujours mieux à se financer auprès de VC et aura toujours un meilleur deal qu’une boîte non rentable.

Donc peut être que la meilleure chose à faire pour un entrepreneur qui s’interroge sur le VC est d’abord d’appliquer les conseils “Melcion” pour développer sa boîte le plus sereinement et durablement possible, et ensuite se demander s’il est dans la petite minorité d’opportunités et de circonstances qui lui permettront éventuellement de faire un bon deal avec un VC.

(Disclaimer: comme un bon VC ;-) j’ai des conflits d’intérêts jusqu’à la gueule ici. Je considère JXO et JDC comme des amis. J’ai participé un peu au lancement des Pigeons avec JDC. Melcion est un de mes clients. Etc.)

Cet article a été rédigé par Pascal-Emmanuel Gobry et a été publié sur son tumblr.

Suivez moi
CATHAY INNOVATION EDUCAPITAL XANGE
A Global Venture Capital Firm Connecting Innovators Everywhere The largest European Edtech & Future of Work VC Today's disruption, Tomorrow's daily life
DECOUVRIR DECOUVRIR DECOUVRIR
Connaissez vous la DATAROOM de FRENCHWEB.FR notre base de données de startups et sociétés innovantes françaises: informations clés, fonds levées, chiffres d'affaires, organigramme, axes de développement. Accédez aux informations que nous avons collecté concernant plus de 2000 sociétés

23 commentaires

  1. l’une des règles de l’écriture est de ne pas utiliser des sigles sans les avoir auparavant utilisés dans leur version développée. Ici, si on ne connait pas le sens de « VC », aucune chance de pouvoir s’intéresser au reste de l’article.

  2. Sans doute un très bon article pour qui sait ce qu’est le « VC ». A aucun moment on en a la signification…
    Dommage…

    1. @Bertrand: Tout à fait.

      Moi, j’ai beau être traducteur anglais-français en plus de fondateur de startup, j’ai arrêté la lecture après « retailer » par conviction et je mets ce commentaire pour protester, bien que je sache que l’effort est vain. Le français est une belle langue, comme l’anglais (et beaucoup d’autres) ; ce n’est pas une langue attardée incapable d’exprimer les choses – il n’y a qu’à voir ce que l’anglais a repris au français ! Vaut mieux lui rendre hommage que d’en mélanger le lexique, la grammaire et la typographie avec ceux d’une autre langue dont l’hégémonie commence à déplaire à ses propres locuteurs.
      La forme s’est pour moi mise en travers du fond, pour ainsi dire.

  3. Article engagé! Certains Venture Capitalists (VC) s’y retrouveront…

  4. Envie de VC? cet article est à ch…. franchement, on ne vous a jamais dit qu’un bon article, est un article à la hauteur de ses lecteurs?

  5. Très bon article, nuancé (c’est ce qui fait sa qualité) et précis.
    Bravo!

  6. bootstrappée ? Serai-ilt vraiment trop dur de parler français plutôt que d’utiliser ces néologismes qui commencent à me hérisser le poil ?

  7. Je trouve les commentaires un peu durs. Si l’article était publié dans Nice Matin, oui il faudrait expliquer ce qu’est un « VC », mais là c’est FrenchWeb, ..euh pardon Toile française. Un peu dommage de s’arrêter à quelques points de forme en occultant la qualité d’un article de fond.

  8. L’article doit être intéressant, mais ne pas commencer par la base, c’est à dire expliquer ce qu’on entend par « VC » c’est une erreur.
    Je n’ai pas poursuivi la lecture à cause de ça.
    Les anglicismes à tout va, je trouve aussi que ça pique un peu les yeux, mais c’est la règle dans le terrible monde de la « win » aujourd’hui…

  9. Merci Nicolas de calmer le jeu. C’est peut-être une question de génération. Messieurs, tous ces termes qui vous semblent si étranges, vont être de plus en plus utilisés chez les Francophones. L’Internet n’a pas de frontières et l’anglais est malheureusement pour vous la langue dominante dans ce monde. Mais vos remarques représentent j’espère un décalage générationnel. J’ai 25 ans et aucun problème avec tout ça, au contraire.

  10. Très bon article. Ceux qui ont déjà levé, s’y retrouveront. Ceux qui ne l’ont pas encore fait aussi. Ceux qui n’y comprenne rien, c’est peut-être que cet article ne s’adresse pas à vous.
    Un peu comme la pub Omo à laquelle je n’ai jamais adhéré.

    Vivement que l’anonymat soit proscrit. Cela évitera les défouloirs.

  11. Article vraiment intéressant. C’est assez rare d’avoir des articles « d’analyse » sur Frenchweb plutôt que de simples articles informatifs ou descriptifs.
    Je rejoins certains commentaires précédents sur l’usage inapproprié ou abusif d’anglicismes ou d’abréviations. VC passe encore (bien que préciser Venture Capital aurait probablement aider certains lecteurs) mais JXO ou JDC sont complètement hors de propos. Ils sont loin d’être des SJ ou des ZZ et même dans ces deux cas, la correction veut que l’on cite leurs noms une première fois.

  12. Très « good » article, on y perçoit une réflexion de fond issue d’un bon « BG » personnel.
    PS: « BB »= background pour les vieux qui n’auraient pas saisi l’acronyme ;-)

  13. Au delà des anglicismes et des abréviations, l’article est quand même très mal écrit, il faut être motivé ! 
    « A noter que les fondateurs de Vente Privée, qui sont des gros apôtres de la rentabilité, du financement par le client, et tous le reste, se sont diversifiés au bout d’un moment en revendant une partie de leur boîte à un fonds, ce qui est parfaitement légitime. » 
    C’est dur.
    Dommage car le contenu est très intéressant. A sa décharge, l’auteur de l’article n’est pas journaliste…à quand des articles de fond écrits par les journalistes de Frenchweb?

Bouton retour en haut de la page
Share This