L’État à la traîne : la Cour des comptes dénonce l’échec de l’adoption de l’IA dans l’administration
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La Cour des comptes vient de publier une analyse exhaustive de la stratégie nationale pour l’intelligence artificielle. Alors que la France s’est hissée parmi les leaders européens en matière de recherche, d’infrastructures et d’innovation en IA, la Cour des comptes estime que l’État lui-même reste l’un des acteurs les plus en retard dans l’adoption de ces technologies. Ce décalage, qui s’accentue à mesure que le secteur privé accélère, menace directement la performance du service public et la capacité de l’administration à suivre le rythme des transformations technologiques.
L’institution rappelle que la France occupe désormais le troisième rang mondial en formation et recherche en IA et qu’elle s’est imposée comme le premier écosystème européen dans l’IA générative. Dans le même temps, plus d’un millier de startups actives dans ce domaine, l’extension du supercalculateur Jean Zay et la montée en puissance de clusters académiques témoignent d’un dynamisme scientifique et entrepreneurial indéniable. Pourtant, malgré ces atouts, l’État ne s’est pas modernisé au même rythme. La Cour constate que, entre 2023 et 2025, aucun budget spécifique n’a été consacré à la transformation de l’action publique par l’IA, alors même que cette objectif figurait au cœur de la deuxième phase de la stratégie nationale.
Le rapport souligne que la première phase de la SNIA, entre 2018 et 2022, avait permis de financer plusieurs projets pilotes destinés à tester l’usage de l’IA dans des missions publiques telles que la détection des fraudes, l’automatisation de procédures ou l’exploitation de jeux de données administratives. Mais ces initiatives sont restées cantonnées à des expérimentations locales, souvent portées par des équipes isolées, et n’ont jamais été déployées à l’échelle nationale. La Cour insiste sur l’absence d’effets structurants à savoir que les projets ont été menés sans vision d’ensemble, sans financement pérenne et sans articulation avec les réformes numériques conduites dans les ministères.
Privée de moyens spécifiques durant la période récente, la Dinum a cherché à compenser en développant des outils internes à faible coût, comme l’API Albert ou la plateforme Compar:IA. Ces outils ont permis d’introduire ponctuellement des capacités d’automatisation ou d’analyse textuelle, mais leur performance reste inégale. Certaines expérimentations menées dans le réseau France Services ont également mis en évidence des limites problématiques, notamment en termes de qualité des réponses, de fiabilité des modèles et de traçabilité des sources. La Cour souligne que cette stratégie, fondée sur l’internalisation et les prototypes, ne permet ni un passage à l’échelle crédible ni une adoption homogène dans les administrations.
L’un des constats les plus marquants du rapport concerne l’usage très limité de la commande publique, pourtant au cœur des politiques d’innovation de nombreux pays. L’État français, note la Cour, n’a pas mobilisé son pouvoir d’achat pour soutenir un écosystème souverain de solutions IA ni pour accélérer l’industrialisation des technologies issues des expérimentations. Cette inertie place les administrations dans une position fragile : elles restent dépendantes de solutions internes insuffisamment performantes, tandis que les acteurs privés avancent, eux, à grande vitesse.
Elle alerte également sur les conséquences sociales et organisationnelles de ce retard. Elle cite une étude indiquant que 38 % des emplois publics en France seront significativement impactés par l’IA générative dans les prochaines années. Ce bouleversement exige un pilotage stratégique et une anticipation des transformations métiers, faute de quoi l’État risque de se trouver en décalage avec ses propres agents et ses usagers. Le risque n’est plus celui d’un simple retard technologique mais celui d’une rupture fonctionnelle dans la capacité de l’administration à assurer ses missions.
Pour remédier à ces faiblesses, la Cour formule une recommandation centrale de créer un Secrétariat général à l’intelligence artificielle, directement rattaché au Premier ministre, chargé de coordonner l’ensemble des acteurs publics, d’allouer les moyens nécessaires et d’imposer un rythme d’exécution compatible avec l’évolution rapide des technologies. Cette gouvernance renouvelée doit s’accompagner d’une montée en puissance des équipes dédiées dans chaque ministère, d’un recours beaucoup plus systématique aux solutions d’IA existantes, d’une évaluation rigoureuse de leurs usages et d’un accompagnement massif des agents publics concernés.
La Cour appelle enfin à un changement de logique dans l’action publique, en faisant de l’adoption de l’IA un levier de qualité et d’efficience des politiques publiques, et estime indispensable de prioriser les projets capables d’améliorer significativement la lutte contre la fraude, l’automatisation de tâches répétitives ou la fluidité des parcours usagers. Elle invite également l’État à mobiliser beaucoup plus activement la commande publique innovante, afin de soutenir les solutions françaises et de garantir un niveau de performance conforme aux besoins des administrations.
En dressant ce rapport, la Cour des comptes rappelle que la France possède aujourd’hui toutes les composantes d’un leadership européen en IA. Reste désormais à aligner l’action publique sur cette ambition. Sans une accélération rapide de l’adoption de l’IA dans les administrations, l’État risque de devenir l’un des derniers acteurs à bénéficier des transformations qu’il appelle pourtant de ses vœux.
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