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[Portrait] Jean-François Porchez, un typo caractère créatif

Dans un sketch de Coluche, ce serait l’histoire d’un mec. Branle-bas de combat, il quitte le lycée en terminale, avant même de décrocher son sacro-saint baccalauréat. Mention parcours classique impossible, du chemin, il en a pourtant parcouru depuis. Pour gage, son travail est partout : là où vous marchez, sur ce que vous lisez et sur ce que vous achetez. Du magasin à chez vous, ses créations ne font qu’un pas et trouvent refuge dans votre quotidien. Ce matin, en prenant le métro parisien, peut-être avez-vous regardé les panneaux de la RATP pour vous orienter. C’était lui. Peut-être avez-vous vu aussi les dernières campagnes Sephora ou Louis Vuitton. C’était encore lui. Air France ? Encore un coup à lui. La Poste aussi, c’est lui. Et les fromages Kiri aussi, c’est lui. Bon, autant arrêter la liste ici, car ce serait bien trop long. Lui n’est ni président, ni publicitaire, il est typographe. Jean-François Porchez, la cinquantaine à l’aise, les mains dans les poches, peut s’enorgueillir d’un sacré palmarès. Le bras long, il a fait tomber dans son escarcelle les plus grandes marques, des plus populaires aux plus luxueuses, pour qu’il dessine les caractères de leur logotype ou les alphabets d’accompagnement.

« Une forme d’expression puissante »

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Dernières release ? « Yves Saint-Laurent Beauté (filiale de L’Oréal) pour les packaging et la communication, Sephora, pour qui nous avons développé un caractère destiné à toutes les campagnes de publicité, et aussi Louis Vuitton, pour qui nous avons conçu des alphabets destinés aux sacs personnalisés aux initiales des acheteurs » lance-t-il, dépliant de sitôt une toile monogrammée sur lesquelles reposent lesdites lettres imprimées en jet d’encre, façon peinture. La forme des lettres – résumé ô combien simpliste du métier – est aussi importante que leur composition. « Un caractère n’est pas éphémère, c’est fait pour durer longtemps. Souvent, ce n’est pas un succès au moment de la sortie, mais il peut le devenir des années après ». Halte à ne pas confondre deux compétences souvent mises dans le même panier. « Le typographe n’est pas le créateur du caractère. C’est celui qui les choisit, les utilise et travaille la mise en page. Il est très proche du graphiste. Celui qui crée le caractère, c’est le type designer ». Un peu comme le décorateur d’intérieur n’est pas ébéniste, l’un sélectionne, l’autre fabrique.

C’est la confrontation entre cette difficulté et l’atteinte d’un design vibrant qui m’anime

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L’atelier de Typofonderie, la société fondée par Jean-François Porchez, en région parisienne. © Tous droits réservés.

En même temps, M. Porchez porte les deux casquettes. D’un côté, il a fondé Typofonderie, qui commercialise des alphabets entiers ; de l’autre, il a lancé ZeCraft qui répond spécifiquement à des commandes d’entreprises. La rigueur dans cette séparation des jobs est appliquée aussi à chacune des productions. Fermeté oblige, concevoir une typographie est un travail d’arrache-pied, une bouffée d’air chaud pour l’inspiration suivie d’une longue période de rigueur intellectuelle quasi militaire. « Pour produire un alphabet, les premières idées, les premiers dessins, ce qui va constituer la matrice directrice (une dizaine de lettres en majuscule et en capitale), il faut compter 24 à 48 heures. C’est la phase la plus excitante. C’est après que ça se corse : il peut y avoir un à six mois pour qu’un regular ou un bold soit peaufiné à perfection, car il faut aboutir à 200 à 1 500 glyphes. Cette période, c’est comme gravir une montagne en plein hiver avec le blizzard. Mais c’est la confrontation entre cette difficulté et l’atteinte d’un design vibrant qui m’anime. On a besoin de l’un pour arriver à l’autre ».

Côté formalité, chaque création est soumise au code de la propriété intellectuelle. Pour Typofonderie, des licences d’usage sont cédées aux clients qui s’acquittent d’une licence en ligne et téléchargent les fontes. Pour ZeCraft, et les alphabets sur mesure, des droits exclusifs sont accordés pour un temps donné, de 2 ou 3 ans renouvelables à la durée totale des droits d’auteur, tel le caractère créé pour le BHV Marais. Dans d’autres cas, une licence non exclusive est même cédée immédiatement. C’est le cas de la famille de caractères Parisine pour la RATP, ou du Deréon, une famille de caractères qu’il a créée pour la marque de vêtements de Beyoncé, qui sera disponible sur le site au terme de sa période d’exclusivité.

L’expérience utilisateur typographique 2.0

Avant les grands contrats et la panoplie des références actuelles, l’histoire de Jean-François Porchez, fils d’un militant politique mendésiste et proche des Verts, commence beaucoup plus tôt lorsqu’il quitta la « boîte à bac » dans laquelle il était inscrit. « J’ai travaillé quelques années à la Fnac pour dépanner. Je savais que je ne continuerais pas, mais ça m’a aidé à trouver ma voie. Fan de musique, j’avais accès à tout le catalogue. Et peut-être plus que la musique elle-même, ce sont les pochettes de disques qui m’ont marqué, fasciné ». Il s’amuse jusqu’à les reproduire lui-même. « Puis, elles m’ont convaincu que le graphisme pouvait être une forme d’expression puissante, qui ne se limite pas à la publicité ». Bye bye la vente de disques et les petits boulots à droite à gauche, le jeune homme reprend ses études. Ce sera les arts graphiques, dans une école associée à la Ville de Paris (qui n’existe plus aujourd’hui).

« C’est comme à la présidentielle, on vote souvent contre un candidat, jamais pour quelqu’un. Les arts graphiques, ce n’était pas une passion en soit, plutôt un choix par défaut, contre le reste, car je ne voulais rien faire d’autre ». Dès sa seconde année dans le supérieur, les principes généraux déjà dans les bagages, les prémices de son métier se dessinent aussi vite que les lettres qu’il imagine. L’étudiant répond déjà à des demandes. « La typo m’a accroché, car il y a quelque chose d’abstrait : une forme qui n’évoque rien en tant que telle, mais qui transmet malgré tout de l’émotion. La forme devient lettre, mais évoque quelque chose de plus subtil. C’est l’aspect fonctionnel et émotionnel qui me plaît ». Depuis ses premiers pas dans le milieu, le métier a bien changé. Le papier a cédé la main à l’écran, le crayon à la souris, au stylet électronique aussi, et l’atelier d’artiste s’est converti aux Mac. Pourtant, Apple ne fait pas référence en la matière à en croire J-F.

C’est Microsoft qui en a peut être fait le plus pour la typo sur le web

« La visibilité n’est pas idéale avec l’Helvetica (utilisé par la firme). La simplicité de l’interface iOS est détruite pas l’usage d’un caractère qui est la symbolique d’un design sobre, mais l’antithèse d’un caractère lisible. C’est Microsoft qui a peut être fait le plus pour la typo sur le Web. En 1996, ils ont sorti le Georgia et le Verdana qui se sont révélés être les caractères les plus performants pour la lecture sur écran. Puis, avec Vista, ils ont sorti le Calibri… Ils ont vraiment innové, car c’est un caractère ouvert et accessible à tous, avec un très bon dessin. Adobe et Google aussi ont beaucoup innové. A contrario, la dernière fois qu’Apple a investi la typo, c’était avec le système 7. C’est dire… ».

Sur le Web depuis 1997

M. Porchez peut développer des heures entières sur l’impact d’Internet dans la typographie. Déjà, en 1997, à l’heure où Wanadoo, Infonie, Club Internet et autres CompuServe ne comptaient que quelques centaines de milliers de foyers connectés, il ouvre son premier site Web avec un nom de domaine, pour garder contact avec les confrères anglo-saxons qu’il rencontre lors de conférence. Deux ans plus tard, alors que les internautes hésitent encore sur Amazon, il se lance dans l’e-commerce avec téléchargement de fonts sécurisé.

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Les activités sont séparées : Typofonderie commercialise des polices pour tous, et ZeCraft répond aux commandes spécifiques. © Tous droits réservés.

L’early adopter, newbie des new techs, teste, apprend quitte à essuyer quelques ratés. Mais il anticipe le tournant. « A la fin des années 1990, Internet était composé de sites en flash qui nécessite un plugin Adobe ou codé pour Internet Explorer, sans suivre les normes du W3C. On était dans une notion de Web statique, qui n’était que la représentation numérique d’une page papier. Depuis, le Web s’est approprié les grilles typographiques et ses logiques de hiérarchie (issu de la séparation des contenus intrinsèques aux principes du HTML et XML, h1, h2, h3, h4, h5 et h6). D’un coup, la typo n’était plus que de la déco, mais une structure à part à part entière participant à la « user experience ». Les gens du Web ont insufflé quelque chose de très fort ». Parmi ceux-ci, regard plongeant, il évoque avec gratitude Tal Leming (Type Supply), Erik van Blokland (LettError) ainsi que Jonathan Kew de la fondation Mozilla pour le Woff, le Web Open Font Format, un format libre et ouvert qui a, selon lui, libéré des caractères imposés par Microsoft ou Apple.

Les codes, l’histoire

Adepte du net, J-F s’adapte aux nouvelles tendances. Mais sous le capot, on ne la lui fait pas. Tout le monde parle du flat design. Révolution ? Non non : « le flat design a toujours existé, c’est la typographie suisse des années 50-60, dit-il dépliant hâtivement une carte du métro de New York de l’époque comme preuve irréfutable. Cela a commencé avec l’Helvetica, sorti en 1957, qui a initié le mouvement. La RATP aussi utilisait depuis longtemps un Helvetica. J’ai ensuite travaillé avec eux pour rendre les indications plus lisibles, toujours utilisées aujourd’hui. Une font lisible, c’est celle aux formes ouvertes. C’est le propre du design de simplifier les choses ».

Côté créativité, tel un musicien face à une myriade de titres déjà composés, le typo affronte un essaim de polices dans « un petit métier où l’on se connaît tous ». Pour trouver  l’inspiration, les idées lui vont, viennent et se consument comme les flux et reflux des tendances typographiques. D’où l’importance d’en connaître l’histoire. L’artiste, dont les œuvres sont sujettes aux droits d’auteur, parle aussi de l’évocation que lui insuffle la naissance d’une forme encore abstraite, en devenir de tangibilité et de portée universelle. Car il en est question. « Dans le secteur du luxe par exemple, les typos sans empattements de type géométrique dominent. Il s’agit par exemple du caractère Avenir créé par Adrian Frutiger en 1991, disponible avec Mac OS et iOS, ou du Gotham, créé par Tobias Frere Jones en 2000 et employé pour la campagne présidentielle d’Obama en 2007-2008. Cela ne tient qu’à une chose : tous les deux sont directement influencés par le logotype Chanel et la période art-déco des années 1930. Schématiquement : le luxe a des typos qui renvoient au luxe français, qui évoque la France, et donc Chanel, qui fait figure de référence. L’inspiration, souvent pragmatique, requiert la connaissance de références historiques pour déterminer ce dont le client à besoin – sans que lui ne le sache nécessairement – selon son positionnement et son histoire. Il y a une vision historique, sociologique et psychologique ».

En dehors de son métier, cet admirateur de Pierre Soulages, qui ne rechigne pas pour autant Henri Matisse ou Aristide Maillol « parce que l’on n’est pas dans la reproduction, mais déjà dans l’interprétation des corps », transmet. Enseignant à l’École de communication visuelle, emmenant ses élèves en road trip à New York, avec au tournant des rencontres au Type Directors Club, une organisation de recherche et d’enseignement de la typo, il y a ouvert un master en design typographique « pour prêcher la bonne parole ». Dénicher un métier de niche. « C’est un professeur à la fois cool et très exigeant avec ses élèves. Parfois, c’est lui qui pose les questions pour faire rebondir les étudiants tout en laissant la place aux autres enseignants. Il applique la même dextérité et rigueur dans son travail que dans son rôle de professeur, ce qui est rare » détaille l’un de ses proches collaborateurs. « Il ne travaille que par passion. Je pense qu’il peut apporter encore beaucoup à la typographie en général et son enseignement » ajoute-t-il. Quant à Jean-François Porchez, dans sa vie de tous les jours, il ne jure que d’une chose : « je travaille sur du très long terme, j’ai donc une certaine stabilité. Je ne sais pas où je serai dans dix ans ni les noms des clients pour lesquels je serai amené à travailler. Mais je sais que je créerai encore des lettres ».

Olivier HARMANT

La conception des Typographies est aujourd'hui entièrement numérisée
La conception des Typographies est aujourd’hui entièrement numérisée. © Tous droits réservés.
Crédit photo : Olivier Harmant pour Frenchweb, tous droits réservés
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Un commentaire

  1. Merci Olivier pour l’interview!! Ca fait plaisir de voir de nouvelles perspectives de ce type.

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