Jean-Louis BénardLes Experts

Télétravail et crise sanitaire : les pièges à éviter et les recommandations à suivre

Par Jean-Louis Bénard, expert FrenchWeb

En quelques jours, vous avez vu comme moi votre mur d’actualités LinkedIn ou Twitter se couvrir d’annonces de la Tech sur le coronavirus. A croire que tout le monde travaillait depuis des années sur des solutions pour aider à sortir d’une crise sanitaire… En tête de pont, le télétravail. Le secteur des plateformes de collaboration, de communication (dont je fais partie) joue naturellement un rôle important dans l’accompagnement des entreprises sur ces sujets. On pourrait croire que munies de ces solutions les entreprises vont pouvoir appréhender cette crise avec une certaine sérénité. Les adeptes du télétravail y voient aussi l’occasion de créer un mouvement durable : « les entreprises vont bien être obligées de faire confiance à leurs collaborateurs ».

Je fais du télétravail depuis 10 ans, pratiquement à mi-temps. Mettre les gens en télétravail leur donnant simplement des outils digitaux, surtout dans le contexte actuel, c’est plus que de la confiance. C’est un peu comme les faire sauter d’un avion avec un parachute en espérant qu’ils trouveront le moyen de l’ouvrir. Le télétravail est une solution mais il est difficile à mettre en oeuvre, tant pour les collaborateurs que pour les entreprises. La plupart de ceux qui le recommandent chaudement ne le pratiquent pas eux même de manière intensive ou travaillent dans des structures non représentatives de la très grande majorité des entreprises françaises.

Car donner pour exemple des entreprises technologiques, qui fonctionnent 100% en télétravail, c’est induire un biais considérable. Entre des collaborateurs souvent expérimentés, passionnés par un métier digital (addictif pour les développeurs), qui ont choisi de construire leur vie autour du télétravail, et des collaborateurs parachutés travailleurs à distance dans une situation de crise, il y a une montagne.

Le télétravail est effectivement pour les entreprises une formidable opportunité de faire face à une crise de cette ampleur. Au-delà, il permet de réduire considérablement le stress dû aux transports, de désengorger les centres urbains en facilitant des modes de vie alternatifs. Mais pourquoi est-ce que le télétravail est si difficile?

Disposer d’un environnement « compatible »

Pour tenir en home office, il est essentiel d’avoir un espace séparé où l’on peut s’installer pour travailler, et dont on peut sortir pour arrêter de travailler. Cela paraît curieux, mais c’est pourtant très important. Sinon il n’y a plus de frontière entre la vie privée et la vie professionnelle. Dans cet espace il faut une table, une chaise sur laquelle on peut être assis une journée (oubliez la chaise de cuisine qui casse le dos au bout d’une heure). Lorsqu’on est un couple en télétravail dans un petit appartement, c’est souvent un premier défi.

Gérer ses enfants

Pour les parents qui doivent gérer leurs enfants à la maison, la disponibilité d’une personne, nounou, grands parents pour assurer la garde ne résout pas toutes les difficultés. Notamment si les enfants ont entre 2 et 8 ans. Le fait que Papa ou Maman soit à la maison mais qu’en fait ils ne soient « pas là pour eux » durant des plages horaires significatives est très difficile à appréhender à cet âge. Cela génère un niveau de frustration élevée, des colères, des pleurs, généralement pile au moment où vous avez cette fameuse web conference importante avec votre client. La tentation est grande de débrayer pour s’occuper de ses enfants. Et c’est ainsi qu’un glissement peut s’opérer. Vie personnelle et vie professionnelle s’entremêlent, sans qu’il y ait une frontière claire. Résultat : stress, épuisement mental, impression permanente de ne rien faire correctement.

Lutter contre « l’hyper-synchronisme »

Collaborateurs et managers se retrouvent à distance, munis d’un Microsoft Teams, d’un Slack ou autre, sans possibilité de se voir physiquement. Le réflexe naturel, c’est d’utiliser de manière intensive la communication synchrone. Chat, notifications, réponses aux notifications. Le manager montre qu’il est là, qu’il soutient, le collaborateur montre qu’il est au poste, qu’on peut lui faire confiance. Résultat : personne n’avance. Nous y reviendrons, il faut alterner des séquences de travail synchrone avec des séquences de travail « profond » où l’on n’est pas interrompu.

Garder la motivation et le sentiment d’appartenance

Un outil de collaboration permet de travailler avec les autres. Mais il ne garantit pas que le collaborateur garde sa motivation dans la durée. Dans un contexte de crise, son besoin de comprendre le sens de son travail, de casser l’isolement, de ressentir un sentiment rassurant d’appartenance à une entité est décuplé. Ce n’est pas un outil qui adresse le sujet. C’est une approche de communication adaptée, top-down et bottom-up, éditorialisée, synchrone et asynchrone, visuelle, interactive, qui l’adresse. Nous y reviendrons.

Garder l’alignement

Même si le collaborateur garde sa motivation, le télétravail risque de lui faire perde l’alignement. Pourquoi ? Beaucoup d’entreprises vivent dans un monde d’objectifs « flous ». Ce sont des discussions informelles, entendues dans l’open space, à la machine à café qui permettent un recadrage du travail effectué. Ce qui n’avait pas été bien compris (ou ce qui avait été mal énoncé) est ajusté sur la base de ces échanges presque fortuits et pourtant essentiels. Lorsqu’ils disparaissent, chacun creuse à la mine, mais pas forcément dans la bonne direction. De l’énergie perdue, de la démotivation qui surgit car il faut refaire. Lorsqu’en plus l’entreprise est confrontée à un contexte difficile imposant des virages rapides, le risque de perdre l’alignement des collaborateurs est élevé.

Gérer les onboardings

Dans ce contexte, gérer l’arrivée de nouveaux collaborateurs constitue un véritable défi. Beaucoup d’entreprises s’appuient sur des processus d’onboarding plus ou moins formels. Gérer la montée en compétence, mais aussi la transmission de la culture, des valeurs, de la stratégie, en télétravail et dans un contexte de crise est extrêmement difficile.

Voici quelques recommandations à l’attention des managers, que je livre ici avec tous les avertissements nécessaires. Ce n’est qu’une vue parmi d’autres, issue de mon expérience personnelle et de ce que nous mettons en place dans notre entreprise. Elle ne prétend pas répondre à toutes les difficultés ni à tous les contextes.

1 – Proposer à chaque collaborateur d’aménager un espace de travail dédié dans son logement

Nous l’avons vu, c’est essentiel pour maintenir une frontière pro/perso. Chez Sociabble, juste avant la mise en télétravail de l’ensemble des collaborateurs, nous leur avons proposé d’emmener leur second écran. Les chaises c’est souvent plus compliqué, même si cela peut avoir du sens.

2 – Imposer la vidéo pour toutes les communications synchrones

La différence entre communication vidéo et audio est énorme. En vidéo, vous percevez beaucoup plus facilement les émotions de l’autre, la multitude de signaux faibles qui vous permettent d’ajuster votre message comme vous le faites dans la vraie vie. Mais imposer la vidéo, c’est aussi donner à chaque collaborateur une raison de faire sa toilette, de s’habiller, d’être présentable. Une aide indispensable pour ne pas finir en pyjama toute la journée. Pour les collaborateurs qui ne souhaitent pas faire découvrir à leur entreprise leur logement, il est possible sur la plupart des logiciels de communication unifiée de flouter l’arrière-plan ou de mettre un fond virtuel.

3 – Démarrer la journée avec un meeting d’équipe rapide

15-20 minutes suffisent pour faire l’équivalent du « stand-up meeting ». Chacun raconte rapidement ce à quoi il va consacrer sa journée, ses réussites de la veille, ses difficultés. Cette réunion peut déboucher sur des meetings individuels si besoin, l’objet n’est pas de faire une réunion fleuve mais bien de lancer la journée. C’est aussi donner au collaborateur l’occasion de se lever et de garder un rythme horaire. De manière plus globale, il est essentiel de mettre en place des routines hebdomadaires, synchrones et asynchrones, qui apportent de la stabilité au collaborateur. Une rigueur quasiment militaire dans les habitudes est importante.

4 – Préserver pour chacun des plages de « travail profond »

L’usage du chat et des messages synchrones intempestifs doit être régulé, pour permettre aux gens de travailler sur des sujets de fond sans être interrompu en permanence. On privilégiera des temps de « check-in » réguliers, permettant de descendre toutes les questions en attente.

5 – La confiance n’exclut pas la visibilité

Chacun doit fournir un reporting assez clair de son activité. Cela peut se faire par exemple sous forme d’un rapport d’activité partagé avec le reste de l’équipe dans un canal de la plateforme de collaboration prévu à cet effet, qui permet à chacun d’apprendre très rapidement ce qui s’est passé. Dans notre entreprise, nous l’avons mis en hebdomadaire, il est obligatoire pour tous les collaborateurs incluant les managers, et ce depuis le premier jour de l’entreprise. Il s’avère encore plus utile dans cette configuration de télétravail.

6 – Donner du sens, favoriser l’alignement et le sentiment d’appartenance en s’appuyant sur de la communication synchrone et asynchrone

J’ai toujours été convaincu qu’il fallait séparer collaboration et communication d’entreprise. La communication, qu’elle soit top down ou bottom up, s’éditorialise. L’ordre des éléments compte. Les contenus doivent être visuels, impactants. Photo, video, audio. Pas noyés dans les messages/notifications projet. Les nouvelles importantes concernant la situation, les choix stratégiques de l’entreprise doivent être immédiatement visibles, épinglées dans le newsfeed, accessibles aussi par des notifications mobile qui sortent du lot. Il faut pouvoir prendre le pouls avec des sondages, vérifier que les messages sont bien passés avec des quiz. Une partie de cette communication doit se faire par le biais de live streaming avec réponse en direct aux questions, mais une bonne partie doit être gérée en asynchrone, éditorialisée par les équipes de communication. Vivante, passionnante. La communication asynchrone permet aussi de gérer la complexité de fuseaux horaires multiples.

C’est un travail difficile pour le top management et les équipes de communication en temps normal. Ça l’est d’autant plus en situation de crise. C’est pourtant indispensable. Car le pire est de laisser les gens dans l’incertitude. Comme en temps de guerre, il ne faut pas laisser le doute s’installer.

7 – Clarifier, subdiviser et quantifier les objectifs

La distance n’autorise pas le flou sur les objectifs. Que ce soit au niveau de l’entreprise, du département, de l’équipe, des individus, il faut des objectifs clairs, sous peine de voir les gens partir dans la mauvaise direction. Sans basculer dans le micro- management, il faut subdiviser ces objectifs pour les rendre encore plus lisibles. Abandonner le powerpoint pour donner des consignes, et favoriser le texte écrit – mode Jeff Bezos – pour que tout soir clair. Les échéances, elles aussi, doivent être plus limpides que jamais.

8 – Limiter les conversations privées dans la plateforme collaborative

Le désalignement se nourrit de conversations qui ne sont pas accessibles au plus grand nombre. Plus on bannit les chats privés en faveur de conversations dans des canaux publics accessibles à l’équipe voir à l’entreprise, plus on favorise le désilotage, et l’amélioration continue.

9 – Travailler les process d’onboarding

L’onboarding en télétravail et en situation de crise est, nous l’avons dit, un exercice périlleux. C’est l’occasion de revoir les process associés, de les documenter, et de s’appuyer plus que jamais sur une plateforme e-learning. Un gros travail, pas simple a appréhender dans l’urgence, mais qui facilite la scalabilité de l’entreprise, et la reprise d’activité post-crise.

10 – Vérifier l’efficience de sa digital workplace pour le télétravail

La mise en place de ces dispositifs impose une digital workplace solide. Au regard de ce qu’on a listé, les composantes critiques sont:

  • Un repository de documents partagés, éditables en mode collaboratif via une suite « cloud office », avec des possibilités d’édition offline et de resynchronisation, plus versionning et backup sécurisé.
  • Un outil de collaboration permettant de travailler sur les projets et documents.
  • Une solution de communication top-down et bottom up pour diffuser les informations importantes, la stratégie, les valeurs, prendre le feedback du terrain (sondages et quiz), humaniser les messages par le biais notamment de la photo, de la video. Pour le mobile comme pour le desktop.
  • Une solution de communication unifiée pour pouvoir passer des appels audio et surtout vidéo.
  • Un outil de gestion des tâches / planification « simplifiée »
  • Une plateforme e-learning

11 – Ne pas oublier le fun, même dans les moments difficiles

La situation est grave, mais les collaborateurs ont besoin d’espoir, de positif. Être organisé, structuré, gérer les choses avec rigueur ne veut pas dire qu’il ne faut pas laisser la place à des slots de détente, des partages de moments drôles, notamment par le biais de la plateforme de communication, des sondages, du contenu photo/vidéo créé par les utilisateurs.

Cette situation de crise dont on ne connait la durée est terrible. Mais comme tout défi c’est une occasion pour l’entreprise de progresser. La collaboration et la communication ne sont pas toujours très bonnes au bureau, souvent compensées par la proximité, la machine à café, etc. Cette mise au télétravail généralisée impose de progresser, de se poser les bonnes questions. Une fois la crise passée, nous aurons tous appris, grandi.

L’expert

Jean-Louis Bénard est co-fondateur et CEO de Sociabble, une plateforme utilisée dans plus de 80 pays, qui permet aux entreprises de bien informer et d’engager les collaborateurs, pour qu’ils deviennent des ambassadeurs. Il est également Chairman de Brainsonic, une agence qu’il a fondée en 2003. Auteur ou co-auteur de plusieurs ouvrages, dont «Extreme Programming» (Eyrolles), il est par ailleurs investisseur dans plusieurs startups françaises.

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